Celeste: « Avec la quarantaine, j’ai pu avoir l’esprit clair sur ce que je voulais vraiment »

Celeste, entre frissons soul et bangers pop.
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Sur les radars du succès depuis un moment, la chanteuse anglaise sort son premier album, Not Your Muse, entre classicisme soul et grands effets pop, habité par une voix aussi sensible que spectaculaire.

Le plan était censé se dérouler sans accrocs. Il y a un an, le panel de professionnels rassemblé par la BBC l’avait même prédit: Celeste serait la star de 2020. Buzzée depuis des mois, la chanteuse voyait la route du succès s’ouvrir devant elle, large et bien dégagée: un vrai boulevard. Sauf que, bardaf, le virus a débarqué. La machine, bien huilée, s’est enrayée. « Au mois de mars, j’avais bloqué deux semaines pour achever le disque, se souvient l’intéressée. Il a fallu tout annuler. »

Jusque-là, la jeune femme avait tracé patiemment sa route -un premier titre lâché sur SoundCloud en 2014, une signature sur le label de Lily Allen deux ans plus tard, avant de débarquer sur la major Polydor, recueillant notamment les louanges d’Elton John. Avec un premier album prévu pour le printemps 2020, sa trajectoire aurait dû s’accélérer. Finalement, Not Your Muse n’est arrivé que le mois dernier. Aujourd’hui, pourtant, à l’entendre, la pandémie fut presque une… chance. « Juste avant le confinement, j’avais une telle pression que je ne suis pas certaine que j’aurais réussi à mettre en place les conditions pour faire les choses bien. C’est en cela que la quarantaine est arrivée au bon moment. Je me suis retrouvée avec trois mois supplémentaires pour finir. J’ai pu avoir l’esprit clair sur ce que je voulais vraiment. »

La voie rapide

Née en 1994 du côté de Los Angeles, Celeste Epiphany Waite est rentrée en Europe avec sa mère anglaise quand elle a eu trois ans. Elle a grandi à Brighton, où elle s’est intéressée très tôt à la musique, mais sans jamais réellement suivre de cours -on note une formation en « music technology » au lycée. « Pendant longtemps, j’ai dû trouver des trucs pour réussir à communiquer avec des musiciens qui parlaient un langage que je ne maîtrisais pas. Aujourd’hui, je bosse avec un groupe qui m’a vraiment beaucoup aidée. Je peux mieux mettre des mots sur ce que j’ai en tête. » Il ne s’agit pas seulement de se faire comprendre des musiciens. « Il y a aussi les gens du label, les « gatekeepers » qu’il a fallu convaincre, leur expliquer pourquoi la musique que j’avais en tête pouvait être traduite d’une manière qui ne concerne pas seulement une niche (sourire). »

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La jeune femme revendique son amour pour la soul, le r’n’b, le funk, le blues ou encore le jazz. Héritière d’une certaine tradition britannique de chanteuses soul, elle fait volontiers penser à Adele (le tube Stop This Flame) ou Amy Winehouse (Love Is Back). Avec son premier album, Celeste montre cependant qu’elle peut aussi échapper aux carcans prédéfinis pour elle. Notamment en démarrant son album avec Ideal Woman et Strange, deux titres dépouillés qui n’ont pas besoin de grands effets pour séduire. « Je construis mes concerts un peu de la même manière, en commençant avec des titres plus lents et sombres. J’aime l’atmosphère que ça installe. Et puis, un morceau comme Ideal Woman est un peu particulier. Je l’ai écrit à la manière d’une conversation que j’aurais avec un ami. Je trouvais important de créer cette proximité dès le départ. »

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Peut-être parce que son image a parfois tendance à créer l’inverse? Avec sa voix impressionnante et son look travaillé, Celeste peut éventuellement dégager une certaine distance. « Ah oui, vous trouvez? Je ne sais pas… Ce que je remarque, c’est vrai, quand je dois faire par exemple des shootings photo, c’est qu’on s’attend souvent à voir arriver quelqu’un de très assuré, peut-être même un peu excentrique. Mais c’est comme ça, je ne peux pas y faire grand-chose. C’est le jeu quand vous vous retrouvez dans l’oeil du public. Au final, vous êtes un « produit », même si j’essaie de livrer la version la plus authentique de moi-même. »

Comment éviter les méprises? Comment répondre aux attentes sans se perdre? C’est sans doute la principale bataille de Celeste, et l’un des fils rouges de son album. C’est le sens de Not Your Muse, quand elle chante: « You’ve mistaken me for your masterpiece« , rajoutant plus loin: « I’ll hold my pose/But I’m not your muse« . Une déclaration qui n’est évidemment pas anodine. « Disons qu’après l’emballement de l’an dernier, j’ai senti la pression pour convertir cette attention médiatique en un mégasuccès planétaire. Quitte à ce que certains imaginent me faire emprunter une route plus rapide, en changeant mon son pour quelque chose de plus pop. Il a fallu trouver un terrain d’entente. Ça n’a pas été simple. Il y a eu des moments où la direction que l’on voulait me faire prendre rentrait en collision avec ce que je suis, au point de commencer à ruiner ma confiance. Aujourd’hui, la situation est plus saine… »

Celeste:

Si le potentiel mainstream de la musique de Celeste est évident, elle ne suit en effet pas les codes pop du moment. Du moins pas à la lettre. Jeune mais lookée vintage, zigzaguant entre hymne grand public, classicisme revendiqué, romantisme soul et phrasé jazzy, la chanteuse a pris le parti de louvoyer. Quitte à entrer en friction avec un business qui a tendance à préférer des messages clairs à destination de publics cibles précis… A fortiori quand on est métisse, mais ramenée souvent à sa seule identité noire, quand bien même Celeste a grandi essentiellement du côté blanc de sa famille? « C’est vrai que l’industrie ne sait pas toujours comment vous « vendre ». On essaie de trouver un moyen pour qu’un maximum de personnes puissent s’identifier à vous, sans toujours saisir les nuances de votre expérience en tant que « mixed race ». » Alors qu’on vient la chercher pour un test Covid obligatoire avant une prestation télé, Celeste conclut: « On me questionne souvent ces temps-ci sur Black Lives Matter. Pour moi, le mouvement a surtout permis d’ouvrir une vraie conversation sur le racisme implicite. Pas seulement celui, spectaculaire, qui est montré à la télé ou au cinéma. Mais aussi toutes les petites vexations inconscientes, les barrières invisibles. Quelque part, la « terminologie » s’est étendue. On peut mettre plus facilement des mots sur des choses parfois difficiles à expliquer pour quelqu’un qui ne les vit pas.« 

Celeste, Not Your Muse, distribué par Universal. ****

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