Caroline Music, le revenant

© Jean-Philippe Antoine
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Caroline renaît de ses cendres en face de l’Ancienne Belgique. Il vendra dorénavant CD, vinyles et occasions. Rock’n’roll is not dead…

Le 25 octobre dernier, après 31 ans de bons, loyaux et musicaux services, le Caroline Music Passage Saint-Honoré fermait cruellement ses portes. A deux minutes de là et à quelques maisons seulement du Goupil-o-phone où l’enseigne est en train de renaître, Dédé, le gérant, se souvient. Il se souvient des allers-retours incessants sur Londres où il partait il y a 35 piges s’approvisionner une fois par semaine avec ses valises et la malle de nuit. « J’allais chez Rough Trade et compagnie… C’était d’ailleurs très gai. Le lendemain, les clients étaient aux portes du magasin dès l’ouverture et se battaient pour savoir ce qu’on avait ramené. »

Après le bateau, ça a été l’avion. Les commandes. « C’était la démerde. On a même fait quelques trajets dans de petits coucous deux places en partance de Grimbergen fin des années 70. On atterrissait sur une pelouse au nord de Londres. On chargeait à mac… Ça nous faisait parfois un peu flipper. Mais bon, le père du premier patron avait pas mal de potes dans l’aviation. Il était pilote de ligne. »

C’est lui qui, au tout début, en 74, ramène les disques de New York. Le Caroline est alors installé rue de l’Athénée. Il ne fait que de l’import. Essentiellement du funk et de la dance… Et vend principalement aux boîtes de la Côte et de Bruxelles.

« L’ouverture rue Marché aux herbes a coïncidé avec l’explosion punk. Les firmes ne nous prenaient pas au sérieux. On allait chercher les disques aux States, en Angleterre, aux Pays-Bas. Mais les choses se sont mises à changer. »

Le Caroline devient au fil des années la référence pour tous les amateurs de musiques indépendantes de Bruxelles et d’ailleurs. Il ouvre des magasins à Liège, Namur, Lille, Huy, Wavre, Uccle Bascule… Il a même sa boutique à l’ULB fin 70, début 80. « Mais quand les lieux ont cessé d’être gérés par des associations d’étudiants, le loyer est devenu impayable. Quand un magasin ferme, c’est souvent la même histoire. Un changement de proprio, une hausse conséquente de loyer ou de charges… »

Dédé se rappelle de cette époque où chaque magasin avait sa spécialité. Le populaire, le rock à la Grateful Dead, l’import, le blues, le jazz. « Tout ça s’est perdu avec l’installation des grandes chaînes. Ceux qu’on appelle dans le jargon les Bruns, les Rouges et les Bleus: la Fnac, le Media Markt et le Free Record Shop. La faillite de Sonica a fait mal également. Mais des petits magas avec une âme comme Veals & Geeks et Elektrocution voient le jour… »

De tout mais du bon

« Rock’n’roll suicide ». L’inscription sur le panneau des concerts en vitrine du magasin bouclé à jamais passage Saint-Honoré résonne comme une épitaphe. « La galerie ferme pendant quatorze mois pour transformation, explique Dédé. Ils veulent en faire un espace de luxe. On nous proposait une surface plus petite et des loyers doublés. » Intenable. Il a cherché pendant plusieurs mois et en vain des alternatives dans le quartier. Mais même quand l’exploitant principal a décidé de ne pas continuer, il s’est entêté.

Ouvrir un magasin de disques en 2013, pour beaucoup c’est, si pas du suicide, à tout le moins se tirer une balle dans le pied. Sauf que Dédé ne se voit pas faire autre chose et qu’il le sait pertinemment: on n’engagera plus dans le disque un mec de 58 piges. « Je crois encore surtout à la vente de détail. A un magasin différent sur Bruxelles. Je ne le ferais pas si j’habitais Hasselt ou Mons. En Europe, beaucoup d’indépendants rouvrent depuis deux ou trois ans. Proposent à la fois du neuf, du vinyle et de l’occasion. »

Avec le Goupil-o-phone, situé sur le boulevard Anspach, juste en face de l’Ancienne Belgique, il a trouvé l’emplacement et le partenaire apparemment idéal.

« Le Passage Saint-Honoré n’avait plus de passage que le nom. Il était devenu plutôt sinistre. Ici, 80 personnes défilent devant la vitrine à la minute. Avec une population d’un million d’habitants et 400.000 navetteurs par jour, il y a la place pour un magasin de disques indépendant comme le nôtre. J’ai dû négocier pendant cinq semaines pour que les compagnies pratiquent les mêmes tarifs. Pour faire le break, on doit vendre une centaine de plaques par jour. »

Ce qui n’a rien d’utopique. Caroline n’aura certes plus 27.000 références en magasin mais l’esprit va demeurer le même. « Nous opérerons une sélection. Selon les critères habituels. Un peu de tout mais du bon. Tout sera possible à la commande. Nous en recevions encore entre 70 et 80 journalières avant de mettre la clé sous le paillasson. Nous étions essentiellement sur le CD tandis que le Goupil faisait surtout de l’occase et du vinyle pour lesquels il a sa clientèle. Il va pouvoir la diversifier. Nous développerons par ailleurs le vinyle neuf et le catalogue de fonds. Certes, nous allons vivre une période de transition. Il faudra prévoir des réajustements mais nous verrons où nous en serons dans six mois. Le mariage peut fonctionner. »

Les derniers chiffres qu’il a consultés sont plutôt du genre à le rassurer. 29% des consommateurs se renseigneraient sur le Web avant de casquer mais seuls 17% des compacts discs seraient achetés en ligne. Et dix millions de CD ont tout de même encore été vendus en Belgique en 2011.

Le Caroline nouveau ouvrira sept jours sur sept. De 10h à 19h jusqu’au samedi. De 12h à 18h le dimanche. « 40 % de notre chiffre se fait sur les heures de table en semaine. » Rock’n’roll will never die. Ou pas tout de suite.

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