Ça roule à Esperanzah!
Le festival de musique, arts de la rue et cinéma de Floreffe était sold out samedi. 12.000 pacifistes sont venus se presser calmement dans les murs de l’abbaye pour profiter de la programmation variée et sans défaut de ce festival engagé.
« Comment ça va bieng, Esperanzah !? », lance Gari Greu, des Massilia Sound System. Le groupe marseillais était enfin de retour pour jouer un concert allumé sur la scène principale du festival Esperanzah! Il était temps, après – non pas 7 ou 8 ans comme le pensait Gari à voix haute sur la scène – mais 11 ans d’absence que le « Commando Fada » revienne. De l’avis du groupe de reggae, « Namur, ça fait du bien! », même si la bande de 30 ans d’âge déplore ne pas avoir reçu de bière belge de la part de l’organisation. Le coup de gueule ne dure que le temps d’un dialogue préparé à l’avance, puis on apprend que les six gars ont ramené de leur Sud natal quelques litres de Pastis pour trinquer avec leur public. Qui pouvait prédire que la saynète allait vraiment donner lieu à une distribution de breuvage à l’anis généralisée? Pas les premiers rangs, en tout cas, qui n’en croyaient pas leurs yeux en recevant leur gobelet. La surprise passée, Massilia Sound System reprend sa conversation avec les engagés venus pour eux des quatre coins de la Belgique et de la France. Le groupe tient à offrir une « spéciale dédicace à Esperanzah! pour son militantisme » puis flatte la foule. « D’ailleurs, vous êtes pas devant la télé; il n’y a quasiment pas de téléphone qui filment… applaudissez-vous! ». À ce stade, ce sont eux les marionnettistes et les fans obéissent sans broncher, s’asseyent quand il faut s’asseoir; se couchent quand Mossu T leur dit de se coucher. « Qu’est-ce qu’il y a? T’as plus de place? » demande Papet-J à un jeune homme visiblement embêté de ne pas pouvoir participer à l’expérience. « Couche-toi sur les autres! » lui conseille le ragga MC. Après autant d’années passées sur scène, les Massilia connaissent par coeur les ficelles des concerts réussis. Faire chanter le public, par exemple, marche à tous les coups. Surtout quand la marque de fabrique de Marseille entonne Tout le monde ment et encourage l’auditoire à s’essayer à l’exercice salutaire qui consiste à insulter le Parlement qui, comme tout le monde et le gouvernement, ment. « Essayez, ça fait du bien », insiste Mossu.
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Le public rayonne, effectivement. Mais le concert est déjà fini. Les Massilia, satisfaits d’avoir mis le « òai » (désordre, en marseillais) s’en retournent en coulisse sous les yeux d’un public incrédule. Pas de retour? Non, décidément il n’y aura pas de rappel malgré les supplications du fan-club, dont Marie, Charlotte et Mathilde font partie. Elles sont venues à Esperanzah! pour les Massilia Sound System, mais aussi pour profiter de l’ambiance détendue caractéristique d’un festival de Floreffe complet dans tous les sens du terme. « Comme chaque année, l’ambiance est géniale. Ça fait dix ans qu’on vient. Mais cette année, le camping était complet donc on fait les trajets et on revient demain. »
À peine remis de sa frustration d’un concert « trop court », le monde se met en marche vers les sommets de l’abbaye, où un artiste d’une toute autre espèce se prépare à jouer.
The Avener (qui signifie « Palefrenier du Roi ») a finalement eu droit au Côté Jardin. Le DJ français a gentiment accepté de troquer sa place avec Melody Gardot (programmée au départ à 22 heures), qui réclamait davantage de temps et le Côté Cour, au risque de frapper un bon coup dans les traditions qui veulent qu’un DJ ne joue pas avant le coucher du soleil, et encore moins avant une chanteuse de Jazz.
En chemin vers la scène Côté Jardin, l’Orchestre International du Vetex occupe les Jardins Suspendus devant une cinquantaine de personnes. Le groupe est un digne représentant des arts de la rue à Esperanzah!, mis en valeur à côté de projections cinéma, de la musique de scène et des conférences pour l’engagement citoyen.
Il était légitime de se demander comment The Avener, un DJ d’électro-house, allait s’acclimater d’un tel rendez-vous bon enfant et vice-versa. La réponse s’est imposée d’elle-même à la lumière des spots multicolores révélant l’étendue d’un public pressé de la scène jusqu’au Village des enfants. Bras tendus vers le ciel étoilé, les festivaliers ont accueilli Fade Out Lines comme il se doit, prouvant que l’électro a aussi sa place dans un festival engagé.
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Aux alentours de 23 heures en ce samedi archi-soldout dont la limite des 12.000 festivaliers a été atteinte, il devient de plus en plus difficile de se mouvoir. Alors peu avant la fin du DJ set du Niçois, certains en profitent pour échapper au mouvement de masse en descendant vers la scène Côté Cour pour l’arrivée de Melody Gardot.
La chanteuse avait expressément demandé une scène plus accessible à la panoplie d’instruments qu’elle allait remonter d’un autre concert donné dans le Sud de la France.
L’heure avance et l’impatience se fait doucement sentir de la part d’un public dont la moyenne d’âge vient légèrement d’augmenter. La chanteuse de Jazz et Blues du New Jersey est encouragée à coup de déclarations d’amour en français, qu’elle parle relativement bien jusqu’à ce que l’anglais doive prendre le relais. Le son d’une trompette qu’on essaye une dernière fois avant de monter sur scène parvient des backstages et la foule au complet piaffe en attendant une chanteuse et son orchestre dont on espère beaucoup, puisqu’elle est en exclusivité belge à Esperanzah! cet été.
Quand elle arrive enfin, elle frappe fort en ouvrant le bal par la vengeresse Same To You, version rock.
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Quand elle passe à Esperanzah!, Melody ne fait pas les choses à moitié. Venue présenter son dernier album, Currency of Man, son jazz est assumé, son rock plus électrique et son blues, plus mélancolique. Mais il faut être prévenu; tout est démultiplié. Les frissons en entendant sa voix translucide mais aussi l’énervement devant ses manières de diva. Qu’on lui pardonne dès qu’elle lance le blues et jazz de She don’t know.
Elle parle volontiers, introduit son prochain morceau et les musiciens de talent qui finissent par prendre autant de place qu’elle sur les planches. Sur Bad News, la star, c’est bien le saxophone alto de Irwin Hall, qui nous plonge sans l’aide de fumigène dans les rues désertes d’une ville recouverte d’un épais brouillard. Puis Melody décide de secouer l’assemblée en explorant un registre plus rythmé « Just to get you groovin’. Just to get you dancin’ a lil’ bit », prévient-elle après avoir montré comment se balancer à la mode de Philadelphie. Sa voix suave résonne encore alors qu’elle lance déjà Preacherman. L’auditoire ne se doute de rien mais c’est après cette dernière chanson que l’auteure compositrice et interprète a décidé de tirer sa révérence.
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La chanson envoûtante laisse ce petit monde pantois quand les musiciens saluent et quittent la scène. En plein déni, le public va même dicter le retour du solide groupe en continuant à chanter en boucle l’air de la dernière chanson, jusqu’à ce que cette Melody revienne, bon sang. Et ça marche. Au compte-goutte, les vents, les cordes et les percussions refont leur apparition suivis de la chanteuse derrière ses vitres teintées (elle porte des lunettes de soleil depuis un accident qui l’a laissée hypersensible à la lumière), pour terminer en beauté avec It Gonna Come, où elle fait même se déshabiller les trois souffleurs. « Guys, are you feeling a little hot? »
La vague de chaleur n’a pas non plus épargné le public, qui reste devant la scène le sourire aux lèvres, encore sonné en attendant Grammatik. Avec un peu de chance, le DJ slovène entretiendra ce feu.
Ce n’est malheureusement pas le cas. Le temps d’évacuer les instruments et de les remplacer par les platines, le public est en descente, à tous les niveaux. Prenant son mal en patience, Nicolas, accoudé devant la scène, explique qu’il est venu de Lille pour Alpha Blondy en particulier (qui jouait vendredi), mais aussi pour l’ambiance. « Ce qui est bien à Esperanzah!, c’est que c’est un festival sans problème, contrairement à beaucoup de festivals français. Et puis, les lieux déchirent ».
Arrive Denis Jasarevic avec seulement quelques minutes de retard qui paraissent une éternité, accompagné de ses acolytes à la guitare électrique et au saxophone et trompette. La prestation commence sans inspirer confiance aux festivaliers qui se regardent, sourcils aux aguets, pendant dix minutes de morceaux joués en sourdine et entrecoupés de problèmes techniques. Une fois son live remis sur les rails, le DJ ose un « I can’t hear you motherfuckers! » presque drôle, quand on sait qu’il vient de jouer ses premiers morceaux devant un public qui devait tendre l’oreille pour les entendre. À présent audibles, les ingrédients de base sont réunis pour faire bouger sans pouvoir s’arrêter sur certains des meilleurs tubes remixés. Sans gène, Grammatik s’attaque au Minor Swing de Django Reinhardt, améliore le Kiss de Prince, et nous fait le coup du Smooth Criminal de Michael Jackson. Encore un peu de hip-hop sérieux, mais pas trop, et le DJ peut aller dormir avec la sensation du devoir accompli: l’Abbaye de Floreffe s’est bien transformée en un dancefloor géant.
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