Braxton & Hemingway, vieilles carnes
Enregistré en 2006, le coffret Old Dogs consacre les retrouvailles d’Anthony Braxton et du batteur mirifique de son légendaire quartette, Gerry Hemingway…
Leur première rencontre discographique remonte à 1983 quand Anthony Braxton, à la recherche d’une formation durable pouvant interpréter sa musique dans une certaine continuité, offre à Gerry Hemingway le siège de batteur d’un quartet qui deviendra, deux ans et quelques changements de personnel plus tard, un des combos essentiels de l’histoire du jazz moderne, l’égal de ceux d’Ornette Coleman (59-61) et de John Coltrane (1961-1965).
Lorsque le saxophoniste sonne l’heure de la dissolution en 1994, le batteur/percussionniste possède déjà tout un passé de leader, au sein de la formation BassDrumBone comme au sein de groupes dans lesquels figurent ou figureront des musiciens tels que le tromboniste Walter Wierbos, les saxophonistes Michael Moore, Frank Gratkowski, Ellery Eskelin, et mène, sous l’appellation Chamber Works ou Electro-Acoustics Works, une recherche personnelle. Il multipliera ensuite et jusqu’à nos jours les rencontres (avec George Graewe, John Butcher, Thomas Lehn, Rudresh Mahantappa ou même Cecil Taylor que croisera le saxophoniste un peu plus tard).
Anthony Braxton, pour sa part, s’est imposé depuis 1993 comme la superstar de l’avant-garde de la musique afro-américaine. Avec 400 compositions à son compteur, un nombre incalculable de CD publiés chaque année, des rencontres incessantes des deux côtés de l’Atlantique avec des musiciens d’une grande variété, il multiplie les performances solitaires comme les projets pharaoniques (deux coffrets de quatre disques de standards, un autre de neuf disques regroupant ses compositions jouées par un groupe de treize musiciens, l’enregistrement complet de sa musique pour piano par Geneviève Foccroulle).
En s’appuyant sur des formations au personnel changeant, composées de ses élèves de l’Université de Wesleyan, il aborde en toute liberté, vers 1995, une nouvelle phase de sa carrière appelée Ghost Trance Music (basée sur la répétition de lignes musicales aux variations infinies, le soliste gardant sa liberté à l’intérieur de ce cadre prédéterminé) qui a rendu encore un peu plus exponentielle une activité musicale sur laquelle l’âge (Braxton est né en 1945) et les ennuis de santé ne semblent pas avoir de prise.
Retrouvailles
Deux jours à Wesleyan pour quatre disques, comportant chacun une Invention improvisée exécutée soit le matin, soit l’après-midi. Aucune règle, sinon celle de jouer une heure d’affilée et de tenter, une fois de plus, d’éprouver, de repousser peut-être, les limites du langage, du son, des structures de la musique à travers « un kaléidoscope de timbres et de couleurs » (Graham Lock). Une aventure à deix, utilisant une large gamme d’instruments (la famille des saxophones, moins le ténor, pour Braxton) ou assimilés (à côté de la batterie et des percussions, les sampling d’Hemingway).
Le résultat est bluffant: chaque disque se révèle parfaitement distinct des autres (nos préférés? Le deux et le trois) et explore, en les sublimant, toutes les possibilités offertes par cette association restrictive et pourtant si riche. Jamais, peut-être, le saxophoniste n’a réussi à sonner de façon aussi convaincante aux saxophones basse et contrebasse, rarement batteur a su construire un univers percussif personnel si organiquement lié à la construction collective de la musique, pour une formidable réunion qui pourrait peut-être en entraîner d’autres. Nous pensons ici à la reformation du quartette tout entier, le temps d’un disque, d’une tournée…
Anthony Braxton et Gerry Hemingway, Old Dogs , Avant/Mode Records 9/12 (Codaex)
Philippe Elhem
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