Critique | Musique

Booba, sortie de ring

Booba, ici aux Ardentes 2019 © Olivier Donnet
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Pour son dixième et ultime album, Booba a tranché: à défaut d’un grand disque, il compte bien s’offrir un dernier numéro un, calibré pour affoler les streams. « Faut plus braquer, faut encoder »…

Il l’a dit, promis: cette fois, c’est la der pour Booba. Un dixième et ultime long format, non pas pour clore sa carrière – il a bien pris soin de nuancer -, mais bien mettre le point final à une discographie album qui aura fait du Duc de Boulogne « le plus grand rappeur » de l’Hexagone. Il y aura mis l’art et la manière. L’art, en sortant une tripotée de classiques, recalibrant à lui seul, à plusieurs reprises, la matrice du rap français. La manière aussi, pugnace et teigneux, flamboyant et outrancier. Dès Le bitume avec une plume, sur son premier solo, l’essentiel Temps mort en 2002, il annonçait: « Je voulais la gloire/J’ai eu la guerre ». De fait, pour Booba, le rap aura toujours été un sport de combat. Un ring où il aura souvent triomphé par KO, faisant preuve d’une longévité exceptionnelle. Avec la plupart du temps, un coup d’avance, comme quand il imposera l’usage de l’autotune dans une scène française encore frileuse. Il aura non seulement traversé la décennie « noire » du rap français – les années 2000, plombées par le téléchargement, le retour de flamme médiatique, et les guerres de clans. Mais également réussi à accompagner la bascule de 2015: quand, tout à coup, les rappeurs devinrent les rois du streaming et des hit-parades, Booba la quasi quadra a su faire tourner à son tour les compteurs. Au point de devenir une véritable figure pop, invité partout, de France Inter au plateau de Cyril Hanouna. Pas question de laisser tomber la rue ou la manie du clash, même exilé à Miami. Mais désormais, les bagarres n’auront plus lieu en bas de l’immeuble, mais au rayon duty-free d’un aéroport. Ou alors sur les réseaux, Booba mettant en scène son propre programme de téléréalité. La musique en effet ne suffit plus. Il faut accumuler les clics, affoler les compteurs.

La gerardepardivinisation de Booba

Au moment de descendre du ring, l’enjeu n’a pas changé. Pas le genre à se faire exploser dans une vidéo, façon Daft Punk, Booba s’est fixé un objectif: non pas « challenger » une dernière fois le rap jeu, ou proposer une ultime masterclass à la hauteur d’une discographie légendaire. Mais « simplement » s’offrir un dernier numéro un. En tant pis si cela implique de baliser au maximum la proposition. Est-ce vraiment une surprise? Après tout, cela fait un moment que Booba vise le score, plus que le beau jeu. Un moment aussi qu’il se Gérarddepardivinise: immense rappeur, petits rôles (avec, tant qu’on y est, une même fascination pour Poutine).

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Ultra porte donc mal son nom, extrême en rien, sinon dans son formatage. Quatorze titres en 40 minutes, la moitié ne dépassant par les trois minutes : l’ultime album de Booba a été pensé pour faire boucler les plateformes de streaming. Certes, à part Maes, il se passe de gros invité-vedette pour préférer mettre en avant les petits protégés de son label. Mais sans pour autant proposer vraiment de nouvelles directions – ou alors pour pousser un peu plus la formule piano-voix, bâclée sur Je sais, recyclant un freestyle de 2014; poussive sur le duo variétoche de Grain de sable, avec Elia.

Pour son ultime tour de piste, on sera éventuellement tenté de dépeindre un Booba plus mélancolique. Compétiteur, il voit clair sur l’échiquier rap (« Maintenant, on est trop », constate-t-il sur GP), et sur ses limites (« Crois-moi, la vie de rêve, c’est surcoté de fou » sur RST). Lucide, il est surtout conscient du temps qui passe (« Je regrette l’époque des cabines », sur L’Olivier; « Je suis trop vieux pour Snapchat », sur RST), baissant même la garde, avouant ne pas comprendre « cette haine qui m’alimente » (Bonne journée). Pour autant, c’est quand il serre les dents que Booba reste le plus percutant, planquant ses commentaires derrière l’égo trip. Comme sur le single 5G ou sur le conquérant GP, en ouverture, fanfaronnant « J’ai pas fini la school, mais j’ai fini San Andreas » ou encore « J’aime rien, je suis Parisien ». C’est presque trop facile. Car, même en roue libre, Booba garde le sens de la formule, mi-goguenard, mi-Audiard – « J’irai aux Restos du Coeur quand ils auront deux étoiles Michelin ».

Cela ne suffit pas à faire d’Ultra un grand disque, loin s’en faut. Encore une fois, ce n’était pas le but. « Je ne suis que le Top Singles, et le cours de l’euro », clarifie encore Booba sur Je sais. En l’occurrence, Ultra a cumulé quelque 9,2 millions de streams en 24 heures sur Spotify, occupant en France les 15 premières places de la plateforme de streaming musicale. « Les hommes mentent, les chiffres jamais », qu’il disait…

Booba, « Ultra », Distr. Tallac/Universal ***

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