Bony King: « C’est bizarre comme ton subconscient peut taper si juste »

Le Silent Days du titre fait référence à une année très calme de la vie de Bram Vanparys. Sans doute la plus silencieuse de sa vie. © ANNELIES VAN DINTER
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Avec Silent Days, le Bony King of Nowhere signe un bouleversant et très personnel disque de (pré-)rupture. Only lovers left alive…

Aux XVIIIe et au XIXe siècle, la Coupure était une voie commerciale navigable fort fréquentée qui reliait Bruges à Gand. Lorsque les premières maisons de maître apparurent le long de la rive, les ouvriers furent bannis. Et même littéralement chassés jusqu’au début du XXe siècle. C’est là, dans une vieille maison bourgeoise coincée entre deux modernes bâtisses, que le Bony King redevenu of Nowhere vit aujourd’hui. Un petit appartement aux plafonds hauts avec vue sur l’eau et les platanes. Si la chambre ressemble à un studio avec un lit, la pièce de vie, à la fois salon et salle à manger, est plutôt du genre cosy. On aperçoit le Bitches Brew de Miles Davis, le Exile On Main St. des Stones, une arbalette, des recueils de poésie, le Times Atlas of the World et une photo de Buddy Holly. Bram Vanparys semble apaisé. Bram Vanparys s’est reconstruit. Il a doucement pansé les plaies d’une cruelle déception amoureuse. Fermé un long chapitre de sa vie sentimentale. Silent Days est un album de séparation. Enfin un disque de pré-rupture. Il a d’ailleurs majoritairement été écrit avant qu’elle ne se produise… « Ça parle de choses qui arrivent un mois avant. De feelings. C’est s’effrayer de ce qui pourrait éventuellement se passer, explique-t-il posément attablé. Si je lis les paroles maintenant, je me dis que ça devait arriver. Je ne pourrais pas imaginer avoir écrit toutes ces chansons et être encore avec Cléo aujourd’hui. C’est bizarre comme ton subconscient peut taper si juste au sujet de certaines choses. »

À l’époque, le couple vit à la campagne. Il a acheté une espèce de maison mobile, une toute grande caravane, et un lopin de terre où il s’est installé en juin 2016. « Pour nous, c’était une expérience. On voulait essayer de vivre avec moins. Nous, les Occidentaux, sommes très attachés aux choses matérielles. On ne voulait pas s’engouffrer dans cette voie-là. Celle de la surconsommation. Là-bas, on faisait avec ce qu’on avait. Même si quand je réfléchis, je me dis qu’on avait pratiquement tout. Une petite cuisine, une petite salle de bain… » Bram s’y était même aménagé un… petit studio d’enregistrement. « Quand tu vois les gens qui achètent des cuisinières et des baignoires hors de prix, tu te dis que tu peux aussi vivre dans une maison mobile et que ça peut être très bien. Que tu peux y écrire des chansons. Même y enregistrer des disques. Disons que ça n’a pas été très heureux pour notre mariage… »

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Quand le Bony King part avec sa dulcinée mener sa vie dans les champs, il est en panne d’inspiration et en plein questionnement. « Après la sortie de Wild Flowers , j’ai arrêté d’écrire pendant un bout de temps. Je me battais avec mon intégrité artistique. Me demandais quel chemin emprunter. Je savais que j’écrivais trop souvent de la même manière. J’étais obsédé par les singer songwriters classiques: Leonard Cohen, Bob Dylan, Neil Young… Je m’inscrivais dans une tradition très spécifique. Et pour le coup, je voulais m’en libérer. Je voulais ajouter un truc à moi. Un truc très personnel. Je pouvais seulement continuer à faire de la musique si je parvenais à trouver mon propre langage. Mon propre son. Ma propre manière de dire les choses. Et comme je ne savais pas trop comment m’y prendre, j’ai arrêté d’écrire. »

Les paroles de Silent Days sont simples, fortes, vraies. Contiennent quelques jolies images et métaphores mais jamais ampoulées, illisibles ou prétentieuses. « J’ai toujours lu beaucoup de poésie. Tous les noms que tu peux voir dans ton dos. William Blake, Allen Ginsberg, Arthur Rimbaud, Robert Frost, l’un de mes grands héros… Et j’ai toujours essayé de laisser entrer cet amour de la poésie dans mon écriture. Cette fois, je ne le voulais plus. Je ne suis pas un poète. Faut se l’avouer mais aussi l’embrasser. Je ne suis pas le plus grand des auteurs. Je ne suis pas un génie comme l’est Dylan ou l’était Cohen. J’aurais voulu être capable d’écrire de telles choses. Mais réaliser que ce n’est pas le cas fut une libération. J’ai accepté l’idée que je n’étais pas l’un de mes héros. Je pense que c’est Grace Jones qui a un jour déclaré: « If you want to imitate me, do anything I wouldn’t do » ou un truc du genre… Si vous voulez être un vrai artiste, le seul moyen c’est d’être soi-même, de se connaître et de l’épouser. Je pense que j’ai réussi ça avec ce disque. Me connaître beaucoup mieux. Comme personne mais aussi comme artiste. Je ne suis pas un auteur doué mais je m’en fous. J’ai trouvé ma propre manière d’écrire ce que je ressens. Je n’ai pas tenté de faire des rimes ou de pondre des textes somptueux et je n’ai jamais été aussi content de mes paroles. »

Prémonition

Bram explique avoir délaissé sa vieille collection de vinyles, ses Ray Charles et ses Van Morrison. Il a réécouté le Kid A de Radiohead et le premier Cass McCombs (A). Usé les deux derniers Talk Talk et le Push the Sky Away de Nick Cave. Puis creusé (ça s’entend çà et là sur son disque) dans l’oeuvre de Kurt Vile. Il s’est aussi penché sur pas mal de chanteuses (PJ Harvey, Aldous Harding) et beaucoup de groupes de chez nous. Echo Beatty (celui de sa nouvelle pote Annelies Van Dinter), Black Flower, MDC III ou encore The Black Heart Rebellion qui a créé sa propre BO d’ A Girl Walks Home Alone at Night, un film de vampires iranien à la Jim Jarmusch… « Je suis un lent quand on parle de découverte musicale. Je ne suis pas un de ces music gourous qui passent leur vie à chercher de nouveaux groupes sur Internet. Je prends mon temps. Mais quand j’aime un artiste, je veux vraiment m’immerger. Plein de bonnes choses sortent en Belgique un peu sous les radars. »

Le Bony King écrit ses premières chansons en août. Deux mois après son installation dans les vertes pâtures des Ardennes flamandes. À l’époque, ce n’est a priori pas pour un album… Se remettre au travail lui a pris beaucoup de temps. « Mais bon, dès que tu as trois ou quatre chansons, tu sais que tu fais un nouveau disque. C’était excitant. Une nouvelle manière de composer, d’écrire, de chanter… » Il se préoccupe au départ peu du son. « J’étais très limité. Comme n’importe qui pouvait entrer dans la caravane, je n’avais rien de valeur à l’intérieur. J’avais juste une guitare acoustique et une guitare électrique un peu merdiques. Un petit synthé aussi quand même… J’ai enregistré toutes mes démos avec ces trois instruments et un enregistreur à bandes. J’ai beaucoup expérimenté. Joué à l’envers. Ralenti. Des trucs comme ça. J’ai essayé de me créer mon propre petit monde. Et je pense y être arrivé. »

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C’est après six mois de vie dans leur maison mobile que la séparation fut entérinée. À trois exceptions près (Every Road, Silent Days et Now That I Know), toutes les chansons ont été écrites avant la rupture. « J’ai écrit les chansons avant qu’on se sépare. C’est un truc quasi subconscient. Je ne me rendais pas vraiment compte que c’était en train de se passer. On était ensemble depuis treize ans. Tu sens que des choses arrivent mais c’est difficile de mettre le doigt dessus. On était tellement proches, on s’aimait tellement qu’on n’osait pas vraiment en discuter. C’était trop sombre. C’est comme toutes les séparations quelque chose de très très complexe. Les textes, je les ai écrits sans trop réfléchir. Ils sont sortis comme ça. Et puis ils sont devenus réels. Ils se sont heurtés à la réalité. Ce qui fut assez flippant. Et on s’est séparés. Cléo a entendu les chansons à l’époque. C’était peut-être une façon de m’adresser à elle oui. Mais pas de manière délibérée. Elle a peut-être découvert des choses en écoutant ces morceaux. On était aveuglés j’imagine. Mais je pense qu’on a tous les deux pris tout ça comme des chansons plus que comme des récits personnels. On avait sans doute peur de parler. »

Reconstruction

Pour le singer songwriter au visage et au timbre angéliques, les mois qui ont suivi furent particulièrement douloureux. La solitude, les souvenirs, un hiver très rude… « Il faisait extrêmement froid. Il a peu neigé mais c’était une vieille caravane. Donc quand il gelait dehors, il gelait dedans. J’avais un petit poêle à gaz que je ne laissais pas tourner la nuit parce que je trouvais ça dangereux. Je l’éteignais le soir mais le matin, quand je me levais, il faisait moins 3 et ça prenait beaucoup de temps à se réchauffer. Je peux faire face à ce genre de situation. C’était plus intéressant qu’autre chose. Peut-être que ça t’enfonce un peu mais je ne considère pas ça comme triste. Je me sentais juste malheureux à cause de mes émotions du moment. »

Bony King:

Le Silent Days du titre fait autant référence au mutisme d’avant qu’au silence d’après. Une année très calme de ses propres dires. Sans doute la plus silencieuse de sa vie. « Surtout dans la foulée de la séparation. J’étais vraiment tout seul dans cette caravane. Je n’avais aucune structure. Pas de boulot. Juste ma musique. Je n’arrivais même pas à me ressaisir pour écrire. Parfois, j’allais voir du monde à Gand. Puis, je voulais rentrer. Je finissais par me dire que je ne pouvais plus retourner dans cette caravane et je dormais dans ma voiture. Ce fut des moments très sombres et difficiles. »

Bram a retrouvé pied en enregistrant son disque et en réemménageant en ville… « Ça m’a filé un horaire, des obligations, un but clair. Je devais me lever pour telle heure. Enregistrer jusque telle autre. Je savais quoi faire chaque jour et pourquoi aller me coucher. Je me suis aussi mis à nager comme un fou. Sept jours par semaine. Je ne le fais plus si intensément maintenant. Mais ça a fait partie de ma renaissance. Ça m’a filé de l’énergie. Le sentiment d’appartenir au monde. J’étais de retour à Gand. Tous les matins, j’allais à la piscine. Je voyais des gens. Même si je ne leur parlais pas. J’étais au milieu d’eux. Je faisais partie de cette ville. Ça m’a fait du bien. »

Comme le soutien de ses musiciens Simon Segers (batterie) et Jasper Hautekiet (basse). Puis celui de son vieux comparse Koen Gisen. « Ça m’a vraiment pris du temps d’arranger et de définir le son. L’enregistrement m’a pris dix mois. J’ai fait un tas de versions de chaque chanson. Je les ai balancées. Réenregistrées. Jetées à nouveau. À un moment, Simon et Jasper n’en pouvaient plus. « On ne sait pas ce que tu veux mec. On peut essayer de nouvelles choses mais ce n’est jamais assez bon pour toi. » Je les ai rendus dingues. On a bossé chez Koen (au studio La Patrie, NDLR) . Il a vraiment tout fait pour m’aider. En tant qu’ami et pas seulement producteur. J’étais brisé. Je pleurais dans sa cuisine tout le temps. Je l’ai rendu fou. Je le sais. Mais il ne me le montrait jamais. Ça a dû être compliqué pour lui. Je remettais toujours tout en cause. Il n’aurait jamais été aussi patient avec quelqu’un d’autre. »

Le résultat est d’une beauté et d’une intimité confondantes. Il en convient: jamais ses paroles n’avaient été aussi vulnérables… « C’est dur d’ignorer le fait que c’est un album de rupture. Je pourrais prétendre le contraire. Comme Dylan après Blood on the Tracks . Mais ce n’est pas grave. C’est évident. C’est ainsi que va la vie. Et c’est ainsi que les gens se reconnaîtront. Cet album est très personnel mais tout le monde connaît ce genre de situations, de problèmes et d’émotions. »

Silent Days, distribué par Unday Records. ****

En concert le 12/10 au Botanique, le 19/12 au Handelsbeurs (Gand)…

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