Black metal, état des lieux

Alkerdeel © Simon Segers
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

30 ans après la naissance de Mayhem et 20 piges après la sortie de son album culte, De Mysteriis Dom Sathanas, l’AB dédie toute une série de concerts et de conférences au black metal et à son influence. Fini le temps des meurtres, des suicides et des églises en feu…

Le 8 avril 1991, Per Ohlin, Dead pour les intimes, est retrouvé mort dans le QG de Mayhem. Le chanteur s’est lacéré les poignets avec un couteau et s’est fait exploser le caisson d’une balle de fusil. Un petit mot accompagne le tableau. « Désolé pour tout le sang. » Deux ans plus tard, son guitariste, Euronymous, qui a pris une photo de la scène (volée, elle deviendra la pochette d’un bootleg) et aurait, dixit la légende, confectionné des colliers avec quelques morceaux du crâne de son pote, est assassiné au couteau par un autre membre du groupe, Varg Vikernes alias Burzum, déjà connu pour avoir fait cramer quelques maisons du Seigneur… Jamais on n’aura autant parlé du black metal que pendant les années 90. Age d’or de sa deuxième vague et d’une scène norvégienne particulièrement radicale baignant dans un sulfureux parfum de scandale.

« Beaucoup ont prétendu que ces événements avaient servi la cause de Mayhem (le 20/05 à l’AB, ndlr). Ils furent peut-être une bonne chose pour la médiatisation du black metal. Mais certainement pas pour nous, commente Attila Csihar, son chanteur hongrois. L’assassinat d’Euronymous fut avant tout un moment triste et douloureux. J’en ai déprimé. Puis le groupe est parti en lambeaux. L’un n’était plus parmi nous. L’autre se retrouvait derrière les barreaux… »

« Avec ses églises qui brûlent, ses meurtres, ses suicides, le black metal m’intriguait depuis un bout de temps déjà, raconte Kurt Overbergh, directeur artistique de l’Ancienne Belgique, qui se cache derrière le cycle IBM, « Inspired By Black Metal ». Aussi bizarre que ce genre de voyage puisse paraître, j’ai participé à un Black Metal Tour à Oslo. Et j’y ai réalisé que huit personnes et trois groupes, Mayhem, Burzum et Darkthrone, avaient réussi à créer un genre. Au-delà des polémiques, les Norvégiens ont radicalisé le black metal. En ont fait l’un des genres les plus extrêmes de l’Histoire de la musique. S’il est mondialement connu aujourd’hui, c’est grâce à eux. »

Mayhem
Mayhem© Ester Segarra

Terme inventé par les Anglais de Venom, qui utilisaient déjà pour la petite histoire des pseudonymes (pratique courante dans le milieu), le black metal voit le jour en Europe au milieu des années 80. Musique rapide, production lo-fi, voix d’outre-tombe. Le tout saupoudré de textes anti-chrétiens et sataniques. Le black metal amène un peu de douceur dans notre monde de brutes… « J’ai écouté du heavy metal très tôt, se souvient Attila. Mon neveu m’a fait découvrir Motörhead. Puis je suis passé à Judas Priest, Iron Maiden… Et à treize ans au punk: The Exploited, Dead Kennedys. En me tournant vers des choses de plus en plus extrêmes, je suis arrivé aux pionniers: Venom, fort différent de ce qu’on appelle black metal aujourd’hui, les essentiels Suédois de Bathory ou encore les Allemands de Sodom et Destruction… « 

Csihar est irrésistiblement attiré par leurs thèmes occultes quand, âgé de seize ans, il créé Tormentor à Budapest. « Ces artistes ont libéré quelque chose en moi. On était sous occupation communiste, on vivait derrière les rideaux. Ils m’ont permis de faire face à certaines peurs. De me confronter à la mort. On était jeunes. On a embrassé tous ces trucs, l’enfer, Satan…On en a déjà beaucoup dit sur l’antéchrist. Mais le côté sombre de la nature humaine continue de m’intéresser. « 

Thurston Moore, MoMA et diplomatie…

La deuxième vague black metal donc, initiée au début des années 90 par Mayhem, est celle de tous les scandales. Les églises en feu et quelques morts hautement médiatisées, faits des groupes et non de leurs fans, dépassent largement le seuil de tolérance de la société norvégienne… « Je n’étais pas là pour les incendies. J’en ai juste entendu beaucoup parler. Je trouvais ça cool, je dois bien l’avouer, à l’époque. C’était une déclaration presque politique. L’affirmation que quelque chose ne tournait pas rond. Personne n’est mort ou n’a réellement été blessé. Mais par la suite, c’est devenu over the top. Ces bâtiments sont en plus une partie de notre Histoire, de notre culture. Un héritage de l’humanité. »

« Regardez ce que vous faites aux ados. Les idées barges que vous leur glissez dans la tête. » Mayhem et les black metalleux ont souvent été pointés du doigt. Responsables tout désignés des moindres écarts et folies d’une jeunesse qui voit la vie en noir. « Or, les gens sont fous à nos concerts mais je n’ai jamais vu personne s’y battre. On délivre nos fans et ils rentrent calmement chez eux. Tu as déjà vu ce qui se passe après les matchs de foot? Les mecs brûlent des bagnoles. Se tapent sur la gueule. Quand ils ne détruisent pas un quartier tout entier. Mais à part ça, le sport est considéré comme sain. »

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La troisième vague black metal, l’USBM, déferle au départ des Etats-Unis. Le 11 avril, le chroniqueur de Pitchfork Brandon Stosuy, connu pour son blog Show No Mercy, dissertera à l’AB sur le sujet avant un concert de Locrian. « Les héros viennent de Norvège mais la nouvelle génération américaine a voulu tirer un trait sur tous les épisodes sanglants et faire en sorte qu’on se focalise sur la musique, reprend Kurt Overbergh. Ils ont théorisé sur le black metal. Le chanteur de Liturgy (lecture à l’AB le 25/04) a même présenté son manifeste au MoMA. Le black metal est devenu encore plus expérimental et avant-gardiste. » Le genre est d’ailleurs devenu tendance. Au point que les diplomates norvégiens ont droit à des formations sur le sujet. Que Thurston Moore s’y est mis (le guitariste et chanteur de Sonic Youth a rejoint Twilight, supergroupe formé en 2005 sur commande du label underground suédois Total Holocaust Records). Et qu’un vrai musée du black metal est sur le point de voir le jour à Oslo. Pour l’heure, il n’est encore qu’un site Web… « Certains groupes restent old school, note Attila. D’autres se sont mis à créer des symphonies intégrant jusqu’à la musique classique. Le black metal se mêle à un tas de choses. Progressif, fusion, musiques industrielles et électroniques… Le tout facilité par le fait qu’aujourd’hui, tu peux enregistrer chez toi sur ton téléphone. Et que si tu es bon, tu n’as même pratiquement plus besoin de label. »

Black in Belgium

Et la Belgique dans tout ça? Jeroen Pede est le chanteur (dans un dialecte flamand) d’Alkerdeel. Un projet flandrien (le 3/5 à l’AB) qui mélange doom et black metal. Dans un état d’esprit très do it yourself, il a créé son label, sort des disques, organise des concerts. « Quand j’étais gamin, j’aimais beaucoup le doom du label Peaceville et on m’a fait découvrir le black. C’était le truc le plus extrême que j’ai jamais entendu. Quand tu es ado, tu exprimes souvent des points de vue excessifs. Le black metal est une scène qui reste en surface, basée sur ces visions adolescentes. Je n’ai pas que des idées noires mais encore aujourd’hui, c’est l’une des seules expressions musicales qui me prend au coeur. Je ne sais pas l’expliquer. C’est comme demander à Schumacher pourquoi il adore rouler si vite en bagnole. Au niveau idéologique, le metal est synonyme de liberté. Je ne suis pas d’accord avec la plupart des idées qu’il véhicule. Mais il m’a ouvert l’esprit, et amené à penser par moi-même. Sur le plan physique, il représente une énergie, une force naturelle, du chaos… Il me confronte au fait d’être en vie. Me promène sur la fine frontière entre la vie et la mort. »

AmenRa
AmenRa© Stefaan Temmerman

Les Courtraisiens d’AmenRa, qui joueront… en acoustique le 27 septembre, ont eux aussi été marqués par le black metal. Comme lui, ils se sont créé leur propre univers et se sont choisi un son résolument lo-fi. « Certes, certains sont presque comme des clowns dans des cirques. Mais l’esthétique est très importante et particulièrement réfléchie dans le black metal. C’est ce qui explique qu’il entre dans les musées. Que l’art contemporain s’y intéresse, commente Colin H. van Eeckhout. Nous nous opposons cependant à son pessimisme et à son négativisme. Son côté « tout est pourri », le monde et la vie. Nous, nous partons de la noirceur, de l’obscurité. Mais nous essayons de pousser les gens dans la lumière. »

En Belgique, le black metal ne semble pas fédérer une vraie communauté d’artistes. « Dans les années 90, tu avais Ancient Rites, Enthroned, Lugubrum et un tas de plus petits projets qui ont souvent disparu, reprend Jeroen. Mais la qualité a baissé par la suite. Une micro-scène très à droite, disons nationaliste, a par ailleurs fait parler d’elle dans les médias avant de s’évaporer. »

Le mouvement black metal est avant tout international. Il s’est d’ailleurs renforcé autour des échanges de lettres et de cassettes (tapetrading) entre groupes et fans… Aujourd’hui, les frontières sont encore plus floues. « Des gens qui baignaient dans le black à quinze ans sont désormais dans la noise, le jazz ou que sais-je encore », termine Colin. Quant aux musiques extrêmes, elles représentent un marché juteux avec un public de plus en plus diversifié et ses festivals spécialisés. Highway to hell…

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