Baxter Dury, cockney rebel

Sur ‘Happy Soup’, Baxter Dury chante ses ex, Isabel et Claire, la solitude à Brixton ou la disco déclassée du samedi soir via une brassée de mélodies soul opiacées et de textes sous perfusion de vaudeville anglais.

Mi-août, Happy Soup, le 3e album de Baxter (voir la critique), 40 ans en vue, tranche sur l’underground indie des 2 premiers disques: la signature sur un label d’EMI (Parlophone) dissémine soudain largement ses chansons rouillées de sentimentalisme, observations cockney murmurées en talk-over gainsbourgien. Menées par le simili-tube Claire et son allitération en rrr: « Don’t waste your life Claire (…) Don’t waste your bus fare. » En Angleterre, Happy Soup lèche à peine les mollets des charts, mais il n’est pas impossible que le continent, France en tête, soit prêt à une mini-baxterite.

La reconnaissance arrive maintenant alors que ton premier album date de 2002…

J’ai appliqué des principes sur ce disque: accessibilité, refus de l’aliénation, validité émotionnelle, livraison honnête des bouts de mon journal de bord.

Les 2 premières chansons parlent d’ex: Isabel et Claire ont été contentes?

Disons qu’Isabel était déjà un peu « aliénée » avant la chanson, celle-ci n’a pas arrangé les choses. Mais bon, ce sera un moyen pour elle de se rappeler des événements… (sourire)

Tu prétends faire partie de la « Mockney Generation », c’est quoi, un mélange de « cockney » et de « mocking » (moquerie)?

Disons que ce sont les attributs de la classe moyenne tout en retenant le romantisme de la classe ouvrière. Ce qui est un peu la définition de ma famille, pas riche mais peuplée de peintres et de penseurs. J’ai grandi dans pas mal d’endroits dont Chiswick, à côté d’Hammersmith (ouest de Londres), une sorte de refuge de la gauche provinciale, avec ma mère, ma soeur et mon beau-père. Détestable. Je devais avoir 14 ans, et on m’a mis dans un collège privé d’Earl’s Court, pas loin de là. J’y ai rencontré cette formidable prof de littérature, qui avait une bosse comme dans Notre Dame de Paris et qui autorisait à fumer en classe. Elle était extraordinairement stimulante, traficotait nos examens et a fini par se faire virer. J’ai suivi 2 semaines plus tard…

Elle t’a inspiré une chanson?

Non, je n’écris pas à propos des émeutes ou de profs (demi-sourire), mais d’émotions épisodiques, comme l’amour. Ma musique est totalement sentimentale.

Le fantasme de l’écrivain?

A la maison, on insistait pour que je lise. Mais pas Shakespeare, qui demande une véritable science du décryptage du langage et des symboles. Pas pour moi qui ai déjà un peu de mal à épeler « failure » ou « success » (sourire). Je parlais pas mal de textes avec mon père, mais il avait tendance à pontifier. Il était brillant dans son genre, capable de vous anéantir en 2 mots. Et il aimait la provocation. Y compris avec moi. Quand j’étais jeune, l’écriture était à égalité avec la musique: j’adorais lire dans les discos (sourire).

Ta musique est pleine de soul, enfin le modèle américain revu par un Anglais blanc…

C’est une tentative de genre, je pars de mots répandus partout où je peux les écrire: si je pouvais le faire sur ma propre merde, je le ferais! Mais j’ai besoin d’une sorte de deadline corporate pour boucler les choses…

L’album est parcouru de mélancolie profonde, des titres tels qu’Hotel In Brixton ou The Sun sont des déclarations de spleen aggravé, d’où vient tout ce blues?

Des fondations de mon coeur empli de peine. Avec un sourire: c’est une mélancolie heureuse. Happy Soup…C’est rien d’autre que de la « poésie bon marché »!

Tu fais de la bonne poésie cheap, « cockney rebel » hein!

Ah ah, cockney rebel (1)!

The Sun: la chanson fait penser au scandaleux journal anglais, tu as pleuré à la fermeture de News Of The World?

Oui j’aime les journaux de droite, d’autant qu’ils sont généralement rédigés par des journalistes de gauche (sourire). J’adore la section « Gossip » du Sun, j’achetais toujours le News Of The World, même s’ils parlaient beaucoup plus de Lily Allen que de moi.

Est-ce que ta musique a une forme de moralité?

Non, sinon, je serais prédicateur, choisissant de distinguer le bien et le mal. Mon boulot, c’est de présenter le journal d’un homme-enfant! La plupart de mes morceaux parlent de cela: vieillir, être plaqué par sa fiancée et foutre le camp dans une discothèque! Et cela dure depuis 10 ans!

Comment as-tu vécu les émeutes anglaises?

J’habite Notting Hill, endroit historique des émeutes anglaises, Madeleine -la chanteuse du groupe- était à Hackney, au coeur du cyclone. Des gamins se baladaient avec des machettes: je ne peux pas dire que je comprenne leurs motivations ou que je partage l’idée que ces kids « ont tout ce qu’ils veulent ». Bon, si vous participez à une émeute, autant vous servir dans un magasin d’écrans plats, mais je pense que la motivation première était le mécontentement, pas la technologie. La police a eu l’intelligence de ne pas utiliser les balles en caoutchouc. Ce qui est génial, c’est que les émeutes étaient multiraciales.

A 15 ans, tu aurais « émeuté »?

Définitivement, mon père aurait compris la chose.

Ton fils Kosmo a 9 ans: il est déjà intéressé par la musique?

Oui, il se débrouille drôlement bien au piano et il est un peu étonné de l’incapacité de son père à chanter. Serge Gainsbourg, genre. Tiens, aujourd’hui, on m’a demandé d’écrire des chansons pour Jane Birkin.

Charlotte, ce serait mieux!

J’aimerais plutôt lui faire un bébé (rires) ou même à Jane!

Et le succès qui s’annonce peut-être?

C’est un processus assez névrotique: on le souhaite puis quand on sent que cela va peut-être venir, on voudrait rester à la maison.

Ta blague anglaise favorite?

Mad people shop in Sainsbury’s…

Rencontre Philippe Cornet, à Paris

(1) Cockney Rebel, groupe proto-glam décroche une paire de hits en 1973-1975.

Baxter Dury, Happy Soup, distribué par EMI. ****
En concert le 21/09 au Vooruit de Gand. www.vooruit.be

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