Laurent Raphaël

Avec Tidal, Jay-Z fait le ménage dans les écuries numériques

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Fini de rigoler bande de profiteurs! Dorénavant, si vous voulez écouter de la musique en ligne, il va falloir passer à la caisse.

Fini de rigoler bande de profiteurs! Dorénavant, si vous voulez écouter de la musique en ligne, il va falloir passer à la caisse. C’est pas moi qui le dis, ce sont les super-héros de la bande FM qui en ont marre de voir Spotify, Deezer et autre Rhapsody brader leur génie. Pour faire le ménage dans les écuries numériques, Captain Hip-Hop (Jay-Z) a rameuté le ban et l’arrière-ban de la Ligue de justice d’Amérique, de L’Incroyable White (Jack) aux X-Men casqués (Daft Punk) en passant par Wonder Madonna, et dégainé en grandes pompes l’arme de la reconquête: Tidal.

Le glamour pop suintant de cette parodie d’opérette de cérémonie de chefs d’Etat signant une déclaration de guerre a bien fait rire la twittosphère. D’autant que personne n’est prêt à parier un Bitcoin sur ce cheval doré sorti de la manche du prince de New York. Eh bien moi, si! J’échange volontiers mes actions Lehman Brothers contre des actions Tidal. Pourquoi? D’abord parce que cette nouvelle offre payante (9,99 ou 19,99 dollars) qui entend remettre l’artiste -et son portefeuille, faut pas prendre les enfants du bon Dieu…- au coeur du dispositif (avec un son haute définition pour la tarification la plus chère) va fédérer les « victimes » du streaming qui attendaient patiemment dans leur coin l’heure de la revanche. Les artistes bien sûr, payés au lance-pierre par les plateformes qui pratiquent le mix gratuit payant, mais aussi et surtout les maisons de disques, qui se sont fait plumer par Spotify quand ce dernier a mis la main sur le juteux marché de la diffusion virtuelle. Vaincues, elles ont toutes signé un pacte avec le diable et ses clones mais n’ont jamais vraiment digéré. La donne pourrait changer aujourd’hui avec Tidal.

Pour comprendre il faut suivre les terminaisons nerveuses de l’industrie musicale: qui a les droits sur les catalogues, autrement dit sur le son? Quelques artistes qui ont profité du souk pour récupérer leurs billes (Taylor Swift par exemple). Mais dans la majorité des cas, ce sont toujours les labels qui sont les courtiers du business. Pas Spotify, qui n’a pas voulu ou pas pu se transformer en éditeur de musique comme le fait un Netflix dans le secteur voisin du streaming vidéo en produisant des séries télé à la pelle. Spotify contrôle le pipeline qui achemine le pétrole mais pas les puits.

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Il ne faut pas être expert en psychologie et en finance pour voir de quel côté va pencher la balance: entre les petits malins qui les ont pris en otage et des partenaires historiques qui promettent des revenus décents à toute la chaîne, le choix des majors sera vite fait. Pour rester dans la course et continuer à être alimentés, Spotify and co devront ou s’aligner sur les barèmes d’en face, avec le risque de mettre en péril un modèle économique lowcost déjà sous tension. Ou inonder de pubs le consommateur, transformant le streaming à l’oeil en rue des pitas bruyante envahie par les néons criards. De quoi faire fuir pas mal de paires d’oreilles, sauf peut-être les plus jeunes qui ne sont pas très regardantes sur la qualité.

Ce qui m’amène à la seconde raison pour laquelle je vois bien la croisade de Jay-Z venir jouer les trouble-fête. Le passage au payant s’inscrit dans l’évolution « naturelle » d’Internet. Après le mirage du tout-gratuit et de l’utopie solidaire, le business reprend lentement mais sûrement ses droits. Pour sauver leur peau, les journaux ferment les uns après les autres le robinet gratuit de l’info. Et sous leurs airs peace and love et rois de la débrouille, les nouveaux cadors du Web comme Airbnb ou Uber sont de redoutables machines à sous. La période des soldes sur le Net touche à sa fin… Tidal (comme le plus confidentiel Pono du vétéran Neil Young) préfigure la troisième branche d’une économie qui épousera la géographie de la « vraie vie »: à côté des artères commerciales encombrées où s’entasseront solderies et grandes chaînes écoulant la musique au rabais, on trouvera des zones plus dégagées avec des boutiques de luxe proposant des services musicaux sur mesure pour les plus fortunés et les plus exigeants. Et tout autour, un amas de zones grises, terrain de prédilection du piratage où le mélomane hors-la-loi viendra chercher en douce sa came. Business as usual…

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