ATDK d’Avignon: 5h du mat’ j’ai des frissons?

À Avignon, on plonge dans les spectacles comme d’autres dans des concerts. Le festival a son rythme: dès 11h jusqu’à exceptionnellement 7h du mat’ pour l’évènement – décevant – Cesena d’Anne Teresa De Keersmaeker…

Un spectacle qui démarre au bout de la nuit, c’est un évènement. Une troisième dimension pour les interprètes et spectateurs. On a donc rejoint la masse des initiés, près de 2000 spectateurs, au pied de la Cour d’honneur, au rdv donné par la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker (ATDK) et son Cesena, création 2011. Une suite logique au préambule, En Atendant, (un seul « t », français du Moyen Age!) qu’elle a créé lors de la précédente édition. Une chorégraphie « nature », au crépuscule, à la lumière du soir tombant sur une musique médiévale, l’ars subtilior. Cette fois-ci, Cesena tente une chorégraphie de l’aube, à la lumière du jour naissant. Sur scène, 19 chanteurs et danseurs fusionnent et se confondent, l’ensemble anversois Graindelavoix et la Cie Rosas. Chacun dans la pratique de l’autre diffuse quelques failles. Le chant perd souvent son éclat, la danse, sa grâce rigoureuse. D’autant que nous étions au premier rang, écrasés par le « grand écran » de la scène, donnant à Cesena un air laborieux, d’une simplicité voulue mais répétitive en creux. « Soporifique » nous disait une artiste, installée plus en hauteur. Bien sûr, le talent est là, le défi toujours chevillé à ATDK avec son dialogue profond à la musique. Ici, l’ars subtilior est « a capella », chants médiévaux, liturgiques et profanes, dans un répertoire en latin et provençal. Notre émotion est de marbre, déstabilisée par le seul passage de l’incroyable voix féminine d’Olalla Alemán et le détour d’un chant serbe, seul et brut dans « l’immensité ».

L’aube à double tranchant

Pourtant dans la nuit noire, à 5h du mat’, Cesena démarre dans le grand frisson: un danseur nu débarque à l’avant scène d’un cercle de sable. Chant hurlant, cri mystérieux, tourments lancés au ciel. Les danseurs apparaissent, sautillant dans la nuit quasi bleue. Forcément, on ressent Cesena plus qu’on ne voit. Des souffles, des glissements de pas qui crissent le sable au sol et défont le cercle parfait. La communauté se meut dans un mouvement serré, en marche groupée et arrêt sur image dans une géométrie savante à la ATDK. Le jour est là, trop tôt. On voit clairement le groupe qui plus d’une heure durant, chante, avance, marche, danse à peine. Dispersion de part et d’autre, laissant le centre de la Cour aux variations de rencontres, en quelques magnifiques duos féminins, éphémères. Des temps silencieux. Mais la lumière du jour est trop vite arrivée, à 5h30, plaçant, malheureusement, l’aube en début de spectacle. Cesena quitte alors l’exceptionnel, tombe dans le « sans plus », long et anodin. Le clin d’oeil d’Ann Veronica Janssens réfractant, du haut des ruines, un rayon de soleil sur scène, ne changera rien à l’affaire. Comme une minorité de spectateurs, on a subi cette singulière création. La majorité des spectateurs semblent éblouis et le manifestent par une ovation chaleureuse à 7h du mat. Pour nous, Cesena méritait un calcul plus savant avec l’aube, une épure plus radicale, moins d’interprètes, moins de chant, plus d’intimité. A l’aube, on voulait vivre l’exception, on a croisé la déception. On finira ensuite par se demander si cette expérience de l’aube était si importante dans Cesena qui est vendu en salle dans une méga tournée. En, Cesena « bis » est à voir au Kaaitheater à Bruxelles, au Singel d’Anvers, au Vooruit à Gand, au Stuk de Leuven et au Concertgebouw à Bruges.

Nurten Aka

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