Arno, roman-photos

"Mon meilleur copain de la fin des années 1960, c'était Paul Couter (à g. sur la photo) qui travaillait dans une boutique d'Ostende où on vendait des fringues à la Carnaby Street. C'est lui qui m'a présenté Arno en me disant qu'il avait rencontré "un mec un peu fou qui joue de l'harmonica et qui chante, pire que Kevin Coyne". On était début 1970 et Arno était sous-chef dans un fameux restaurant ostendais, La Renommée. Il était bizarre et extrêmement timide: quand on avait rendez-vous dans un café, il se mettait face au mur, dans un coin, la tête penchée, comme si personne ne devait le reconnaître. Une forme d'autisme. Cette photo date de 1973, de l'époque de Tjens Couter (NDLR: qui durera entre 1972 et 1980, produisant deux albums). On a passé l'après-midi à prendre les petites routes entre Ostende et Blankenberge pour faire des photos de presse. Ils ont des têtes de hipsters là-dessus, un peu comme ceux de maintenant, avec les barbes, coupes de cheveux et petites lunettes." © DANNY WILLEMS
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Alors que le chanteur sort un très recommandable Santeboutique, le photographe Danny Willems, frère d’armes depuis un demi-siècle, sélectionne quelques images symboliques de la saga Arno.

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« Quand j’ai connu Arno, au début, il était, comment dit-on en français, motorische stoort ? Oui, exactement, il avait des soucis de motricité. On marchait en rue à deux et puis, tout à coup, je m’apercevais qu’il s’était arrêté et était resté en arrière, où il faisait des pas sans avancer. C’était très bizarre… » Danny Willems, né le 2 mai 1950 « à Blankenberge et non pas à Ostende, c’est important de le préciser », fait des études de mécanicien automobile mais est fasciné par le labo photo où travaillent ses parents, « l’odeur chimique et les lumières rouges ». Il sera donc le photographe qui réalise depuis les débuts d’Arno dans le groupe Freckle Face, en 1972, et jusqu’au tout nouveau Santeboutique, les images de pochette, de promotion et aussi d’amitié du fameux « os tendu ». Un demi-siècle d’une confiance qui semble inoxydable, et plutôt rare en ce qui concerne Arno, ce dernier construisant au fil des décennies un personnage d’apparence burlesque qui, dans les faits, accumule les ruptures musicales ou amoureuses. Partie immergée de la réalité objective d’un performer hors pair, désormais septuagénaire. « Et depuis toujours, bordélique » – dixit Danny Willems – mais qui a néanmoins géré sa carrière de façon lucrative, notamment en investissant dans l’immobilier, assez loin de l’image de « clochard céleste ».

« Cette photo de 1976 montre Arno en compagnie de Sonja Vanhee, l’une des femmes qu’il a vraiment aimées. Je crois qu’ils sont restés deux ou trois ans ensemble: ils formaient le couple hip et trendy d’Ostende. On allait acheter des disques et des fringues à Londres et Arno était toujours très bien habillé mais de façon décalée. Elle était institutrice et puis elle est devenue inspectrice de l’enseignement. Elle est retraitée mais s’occupe encore de tout ce qui est art à Ostende. A cette époque, Arno était toujours fauché et comme j’étais le seul des copains à gagner bien ma vie – comme photographe – et à avoir une voiture, je conduisais Tjens Couter un peu partout en concert. Arno venait manger chez moi, deux soirs sur trois. »© DANNY WILLEMS
« On est au milieu des années 1980 au Mirano (NDLR: boîte de nuit branchée de Bruxelles) et à côté d’Arno, il y a Danielle D’Haese, un modèle qui allume sa clope. C’est vraiment la période où Arno, désormais en solo après TC Matic, est le « grand artiste » qui arrive à Paris, où il est signé chez Virgin. C’est aussi le moment où j’ai pu avoir des problèmes et des mots avec lui, parce que je trouvais qu’il marchait à côté de ses pompes. Le beau mec, sexy, est en fait un womanizer qui charme les femmes, aussi parce qu’il bégaie dans la conversation, alors qu’en scène, quand il chante, cela n’arrive jamais. Cette phase a duré environ deux ans et puis Arno est redescendu sur terre, même si les firmes de disques françaises avaient toujours envie de le changer. Notamment en le faisant poser pour des photos où il est supposé porter des talons, avec un look Oscar Wilde. Mais Arno est égocentrique et non manipulable: au fond, c’est sa force, il ne fait que ce dont il a envie. »© DANNY WILLEMS
« Outre les photos, j’ai réalisé une douzaine de clips pour Arno. En 2012, on a tourné cette vidéo à l’hôtel Terminus d’Ostende avec Taka Shamoto, danseuse japonaise de la compagnie d’Anne Teresa De Keersmaeker. Arno ne voulait pas être reconnu et avait donc mis ce sac sur sa tête, mais le label – Delabel – a insisté pour qu’on puisse l’identifier dans le film. Donc, on a ajouté un plan final où l’on voit Arno, démasqué, assis sur une chaise de la pièce où on avait tourné. L’anonymat? Arno, qui ne conduit pas, continue à aller en train à la côte malgré les gens qui ne cessent de le prendre en selfie… »© DANNY WILLEMS
« Le titre du nouvel album Santeboutique fait allusion au « brol », à tout ce qui n’est pas ordonné, comme Arno d’ailleurs (sourire). Pour le titre Oostende bonsoir, on a fait des photos ayant un rapport avec le port d’Ostende qui va disparaître pour être remplacé par de l’immobilier chic. Arno a par ailleurs un appartement sur la digue, mais comme il n’a pas envie de l’entretenir, il le loue et, à chacune de ses visites, il loge à l’hôtel (rires). Cette image a été réalisée en mai 2019 sur la plage d’Ostende alors qu’il y avait beaucoup de vent, donnant du relief aux dunes. Arno voulait trouver un masque dans le style Ensor mais sans succès, donc à la place, il a mis un loup, et s’est mis en tête d’être dans un décor avec de grandes ombres à la Spilliaert. Quand on fait une session comme celle-là, je dois aller chez lui avec mon ordinateur parce que, même s’il a un iPad, Arno a du mal à répondre à un e-mail. Arno s’en fout de vieillir: je crois qu’il devrait faire une tournée stand up, juste lui et un piano, mais cette perspective lui fait peur… »© DANNY WILLEMS
Danny Willems
Danny Willems© DANNY WILLEMS

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