Arcade Fire, princes du carnaval
Dimanche soir, le groupe montréalais a emballé les Halles de Schaerbeek, rappelant qu’au-delà des tactiques marketing, le rock pouvait encore créer l’événement. Esprit collectif, énergie communicative, morceaux euphorisants: l’un des concerts de 2013.
Des lampions, une boule à facettes, des rideaux de petites loupiotes en fond de scène. Il ne faut pas grand-chose pour faire la fête. Dimanche soir, dans les Halles de Schaerbeek, sur le coup de 20h30, la sono maison est en mode Jamaican sound-system – la moiteur caribéenne déjà. Un morceau de The Clash plus tard, et le groupe du soir fait son entrée. Enfin, du moins leurs sosies masqués. Comme U2 lors de sa tournée Zooropa, Arcade Fire/The Reflektors joue l'(auto-)dérision, le second degré pour se sortir du piège du succès. Le triomphe de The Suburbs (2010), le Grammy, le passage « officiel » dans la catégorie super-groupe… Tout cela a laissé des traces. Face à la pression, à l’impasse créative aussi, Arcade Fire a choisi de botter en touche, sur la piste de danse, avec son dernier album, sorti le mois dernier. Depuis le départ, le groupe a toujours tenté de préserver une certaine authenticité. Comment la garder intacte quand on se retrouve sous les projecteurs, pressé par la Machine? En se planquant derrière un masque, puisque c’est bien connu, on ne dit jamais autant la vérité que caché derrière un déguisement…
Certes, à l’écoute de Reflektor, on avait parfois trouvé le geste forcé, les morceaux vampirisés par James Murphy, appelé à la production. Sur scène, Arcade Fire s’approprie pourtant définitivement les nouvelles chansons. Dimanche, tout ce qu’on aime chez les Canadiens était là: l’esprit choral, l’effet de bande, la puissance du jeu collectif – entre chaque morceau, le ballet des musiciens qui changent d’instrument, de place. Avec en plus de l’humour (ils entament le concert avec l’ironique Normal Person). Et de l’enthousiasme, contagieux. Arcade Fire just wanna have fun, et cela marche, bien au-delà des espérances. La sauce « dance » prend étonnamment bien, tout en proposant sa propre version du groove, métallique, fracturé comme des morceaux d’un miroir tombé par terre – voir le drôle de balancement moite de Flashbulb Eyes. C’est aussi à ce moment-là, à mi-parcours, que le concert décolle définitivement: l’émouvant It’s Never Over, puis encore davantage le single Afterlife montre un groupe libéré, décomplexé. Plus loin, il y a encore la reprise des Ramones (Today Your Love, Tomorrow the World), avant les rappels, irrésistibles: Reflektor (définitivement l’un des singles de 2013) et Power Out.
D’aucuns ont pu reprocher ces derniers temps l’arrogance du groupe « le plus surestimé de sa génération ». L’invitation faite au public de venir déguisé ou au minimum en tenue de soirée n’a par exemple pas manqué d’agacer certains. « Relax », avait tenu à nuancer plus tard Arcade Fire, « personne ne sera recalé à l’entrée ». Dimanche soir, l’immense majorité du public avait joué le jeu. Certes, moins souvent en se déguisant qu’en ressortant son costume trois pièces (ou sa robe de mariée), faisant ressembler davantage l’assemblée à un public venu voir un opéra qu’un concert de rock. Le but a pourtant été atteint: créer un décalage, un momentum (…) susceptible d’emmener ailleurs. À l’heure où le rock ne semble plus pouvoir capable de créer l’événement, ou même de calquer son rythme sur l’époque, cela n’est pas négligeable. Pour un Arcade Fire – qui loin d’en faire des tonnes, se contente surtout de s’amuser sur scène et de maintenir la flamme -, combien ainsi de groupes de rock fonctionnaires, combien de concerts ronronnants? Récemment, l’un des membres de Kings of Leon moquait la prétention des Canadiens. C’était plutôt cocasse, venant d’un des groupes les plus ennuyeux sur scène… Alors si Arcade Fire est loin d’avoir réinventé le rock, ou même sorti le disque de la décennie, et qu’il n’en reste pas moins coincé jusqu’à un certain point dans un music business et ses règles, son appétit, son envie de jouer avec les lignes, de les bouger, n’en reste pas moins indispensable. Aujourd’hui plus que jamais.
SETLIST: Normal Person / Wake Up / You Already Know / Haïti / Sprawl II (Mountains Beyond Mountains) / Supersymmetry / Flashbulb Eyes / It’s Never Over (Oh Orpheus) / Afterlife (Porno en intro acapella) / We Exist / Joan of Arc / Today Your Love, Tomorrow the World (Ramones) / Here Comes the Night Time /// RAPPEL: Reflektor / Neighborhood #3 (Power Out)
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