Critique | Musique

Apparat – Krieg und Frieden (Music for Theatre)

Apparat © Constantin Falk
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

BANDE ORIGINALE | De la techno minimale à une B.O. pour Guerre et Paix, il n’y a parfois qu’un pas. Apparat le franchit avec un élégant sens de la mélancolie.

APPARAT, KRIEG UND FRIEDEN (MUSIC FOR THEATER), DISTRIBUÉ PAR MUTE/PIAS. ***

EN CONCERT LE 11/05, AU BOTANIQUE, BRUXELLES.

Il faut pouvoir suivre la trajectoire d’Apparat, alias Sasha Ring. La dernière fois qu’on avait croisé le bonhomme, c’était pour le disque The Devil’s Walk, peut-être ce qui se rapprochait le plus d’un album pop. Un disque mélancolique, ressemblant à l’une de ces dernières belles journées d’automne illuminée par un soleil cru, et dont les envolées élégiaques pouvaient parfois le placer du côté des rêveries de Sigur Ros. Les racines musicales d’Apparat plongent cependant dans un autre terreau. Basé à Berlin, Ring a grandi avec la techno, tendance minimale. C’est dans ce créneau qu’il s’est fait un nom. Que ce soit avec ses propres disques, ou en collaborant avec la grande prêtresse Ellen Allien (Orchestra of Bubbles) ou Modeselektor (le projet Moderat, plus « carré »). Point commun de ces différentes escapades: un certain goût pour les textures et les paysages sonores. A cet égard, la musique d’Apparat a souvent été utilisée pour accompagner des images -par exemple dans De rouille et d’os, le dernier Audiard, ou dans la série Breaking Bad. De voir Sascha Ring s’attaquer aujourd’hui frontalement à la bande-son d’un spectacle n’est donc pas complètement une surprise.

Krieg und Frieden a été écrit pour une pièce de théâtre de Sebastian Hartmann, basée sur l’immense Guerre et Paix de Tolstoï. Metteur en scène allemand visiblement prolifique, Hartmann a également le chic pour dynamiter joyeusement les conventions. Le making of de l’album est d’ailleurs intéressant: quand Apparat se lance dans l’aventure, il ne reçoit aucun script sur lequel se baser. Hartmann a en effet l’habitude de pondre le texte avec sa troupe d’acteurs. Apparat rejoint donc la bande pendant quatre semaines, dans une vieille usine abandonnée. Souvenir de l’intéressé, tiré de la bio presse: « C’est tout sauf du théâtre conventionnel. C’est un espace ouvert où peut se lâcher un groupe de freaks. Ça va des éclairages aux acteurs. Le soir, on travaillait sur la musique dans la salle vide. C’était assez magique. »

Les représentations achevées, Ring aurait dû en rester là. Avec Philipp Timm (violoncelle) et Christoph Hartmann (violon), tous les deux membres de sa formation live, il a pourtant décidé de graver la bande-son sur disque. En remodelant les morceaux, se rapprochant même par moment d’un format chanson (Lighton, A Violent Sky), tout en prenant bien garde de ne pas casser l’élan de liberté entretenu jusque-là. L’électronique n’y est pas forcément la couleur dominante. Krieg und Frieden débute par exemple avec des cordes languissantes (44). Ce n’est que dans une seconde partie qu’elles mutent lentement en un gros bourdon anxiogène. Ailleurs, Apparat prend son temps pour superposer les couches, faisant monter doucement la tension (Blank Page).

Avec Krieg und Frieden, Apparat creuse ainsi une matière sentimentale qu’il connaît bien, languide et sépulcrale. Mais rarement il ne lui aura donné autant d’envergure.

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