(Antoine) Chance: « Il est faux de croire qu’être le « fils de » suffit pour faire une carrière »
Fils d’un fameux dessinateur de chats, Antoine Chance laisse tomber son prénom pour Fantôme, second album d’electropop talentueux. Qui joint la mélancolie au dance floor.
« On habitait une maison à Bousval perdue au milieu de nulle part, pas vraiment desservie par les transports. Donc gamin et ado, j’étais beaucoup chez moi: c’est en partie pour cela que je me suis intéressé à la musique, pour créer quelque chose et éviter l’ennui. J’ai vraiment flashé sur le piano quand j’avais 6 ans. » En cet après-midi d’hiver, Chance – Antoine Geluck, « né en 1983 comme le Chat » – retrouve peut-être les sensations organiques d’autrefois parmi les arbres congelés du bois de la Cambre, à Bruxelles, où on fait des photos. Il y a aussi des paysages forestiers dans le clip de Si vivante, premier extrait de Fantôme, paru au printemps 2018. Grand et mince, on remarque la rectitude de son nez et un visage harmonieux ayant quelque chose du François Mitterrand jeune. Ce qui ne veut pas dire que ce père de deux jeunes enfants (non cachés…) partage la ruse trouble de l’ancien président. D’ailleurs, le mot « éthique » fuite assez vite dans la conversation: « Je me mets un peu une ligne de conduite, j’ai besoin que les choses soient assez justes. C’est peut-être ce qui a été difficile dans l’expérience avec Universal qui m’avait signé pour trois disques. »
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Aux éditions d’Universal-France et sur le label parent Mercury, Chance se trouve en effet au coeur de la grande machinerie musicalo-commerciale au début des années 2010. Il participe à des projets comme un séminaire d’auteurs-compositeurs en Corse, chargé de nourrir des morceaux pour Jenifer: « Je vis un rêve, dans une baraque tous frais payés. Ils m’ont pris quatre titres et j’ai quand même gagné du blé avec ça. » Ou à un séjour d’une semaine en studio dans le Connecticut pour enregistrer ses propres morceaux « avec les musiciens de Dylan et Springsteen… » sous la direction de Jay Newland, producteur de Norah Jones. Expérience qui n’aboutit pas alors que l’ardoise se creuse lorsque débarque Renaud Letang, fameux pour ses productions de Feist, Renaud ou Manu Chao. « J’ai poireauté deux ans pour faire mon premier album, Fou, et puis encore un an pour qu’il sorte en France. Et Letang venait travailler en studio quand il avait le temps. » Le name dropping ne suffit pas: l’album, vendu à 2.000 exemplaires, trouve sa place en Belgique mais se noie en France. Un peu comme le désir de « faire quelque chose de poétique, nébuleux, entre Bashung, Bon Iver et Feist. En français. Malin dans les textures. A un moment, j’ai compris que le titre phare du disque, Fou, écrasait le reste. C’est une belle expérience, je ne crache sur rien du tout mais cela ne donnait pas forcément le bon aspect de ce que, finalement, je voulais dire. »
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Funambulisme
On s’est replié dans le repaire ixellois où est installé son studio: une ancienne imprimerie transformée en espace artistique multifonctionnel. Antoine en est un peu l’âme et le gardien, sa tannière musicale respirant le cocooning. L’endroit est la propriété de Philippe Geluck. « J’ai longtemps pensé qu’il me fallait peut-être réussir comme lui mais, dé-sormais, je pense avoir fait la paix avec cette idée-là, je m’en fous. Il est faux de croire qu’être le « fils de » suffit pour faire une carrière. Il faut pouvoir installer son truc à soi. » Quand il a 18 ans, Geluck Jr. part dans le Sussex anglais pour une année d’études musicales. Elles s’enlisent à mi-chemin et il se recentre sur l’apprentissage de la langue. Ensuite, il y a deux années au Studio Jazz à Anvers même si le chanteur avoue « ne rien comprendre à la guitare jazz ». Et puis, plus tard, un début d’intérêt pour son groupe Coco Royal.
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Chance a aussi digéré les Beatles qui passent en boucle à Bousval et les disques classiques des grands-parents paternels – papy distribue des films de l’Est « d’où Polanski venant manger à la maison quand mon père était jeune ». Tout cela percole peut-être dans les mélodies agiles de Fantôme, second album auquel on ne peut guère reprocher que sa brièveté, une demi-heure. Il glisse au travers de chansons un peu brumeuses, un peu spleen, parfois dansantes comme Virage négociant bien la course aux sequencers. Avec un funambulisme charmant, dominés par des claviers électroniques enveloppant la voix. Celle-ci, haute et vaporeuse, mène des histoires d’amour le plus souvent fissurées. Et fictionnelles, dont le titre Eléonore coécrit avec Jacques Duvall. Il y chante: « Il fait trop froid sur terre/Lorsque deux solitaires/Hélas préfèrent se taire/Qu’avouer simplement/Leurs sentiments ».
L’artiste se dit touché par « les gens vivant des vies par dépit » et « adore les chansons tristes ». Prêt à se laisser gagner à d’autres vertiges, par exemple dans le final du disque, St. Denis II, totalement emporté dans des palpitations synthétiques et cette phrase de conclusion libérée: « Je vous donnerai bientôt de mes nouvelles. » Ce qu’il faisait récemment en annonçant une tournée passant par le Madison Square Garden de New York et l’Olympia, à Paris: une blague un rien potache, un coup de pub-fiction, qui prend à rebours la réalité. Fantôme a du mal à exister.
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Otomn
« Pour Fantôme, je me suis coupé des regards et avis extérieurs. J’ai essayé d’y donner le côté plus brut de la création: cela ressemble davantage à ce que j’aurais pu faire sur mon premier album si j’avais assumé ce côté-là. Il y a clairement un coup de frais dans la musique, dans le fait que je rejoigne le booking de Live Nation et l’écurie Pias, après avoir rompu le contrat avec Universal qui n’a pas voulu des nouvelles chansons. Et puis, il y a aussi la participation de gens comme Noza, un mec génial et tourmenté comme nous tous (sic). Je me suis calé là-dessus et je n’ai pas tellement envie de me poser davantage de questions. » Ce qui, de la part d’un trentenaire qui s’en pose beaucoup, constitue une sorte d’exploit personnel. Alors aujourd’hui, devant le manque de réaction commerciale face à un travail discographique d’indiscutable qualité, paru fin octobre, Chance reste philosophe et multiplie les activités, comme réaliser des voix off ou des musiques de films et de pubs. Peu de concerts voire pas du tout… Dans l’ancienne imprimerie ixelloise, baptisée Otomn Studio, est venue se greffer l’idée d’organiser des soirées où il se produira. « Je n’ai pas forcément de plan mais j’y crois encore. A condition d’avoir un peu de bol ». Un peu de Chance, quoi.
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