Angel Olsen: « Aimer un homme, c’est parfois devoir accepter des valeurs désuètes »
Avec My Woman, son troisième album, l’Américaine Angel Olsen explore l’amour sous toutes ses formes. Shut Up Kiss Her…
Il y a des artistes dont il faut tirer les vers du nez. Et il y en a d’autres, comme Angel Olsen, chez qui ils sortent tout seuls. Une image. N’imaginez pas des choses. Aucun hameçon ne s’enfuit en se trémoussant des narines de cette charmante jeune femme élevée dans le Missouri qui a tourné en pyjama avec Bonnie Prince Billy. Difficile en termes d’intransigeance d’avoir meilleur professeur que Will Oldham. « Il m’a appris des choses sur l’industrie et préparée aux désillusions qu’elle me réservait, dit-elle. Mais il m’a aussi incitée à être critique. À analyser les opportunités qui me seraient offertes même quand elles me sembleraient étranges. »
Angel sourit. Parle vite mais réfléchit beaucoup. « Comme je n’intellectualise pas trop mes paroles, j’ai passé un peu de temps dans l’avion à réécouter mon disque pour avoir des choses à raconter. Je ne me suis jamais dit: « Je vais me lever, je vais écrire un album et je vais l’appeler My Woman. » Je n’essaie pas non plus de m’aventurer dans des discours féministes. Je me demande juste ce que My Woman veut dire. Quand je pense aux gens que j’ai aimés dans ma vie, combien m’ont appelée comme ça et qu’est-ce que ça signifiait dans leur tête? Je n’appréciais pas toujours. Aimer un homme, c’est parfois devoir accepter de vieilles frontières et des valeurs désuètes.«
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Avant tout, My Woman est un disque d’amour. Mais pas dans le sens romantique et passionnel du terme. Il dépeint celui, « distant mais familier« , qui vous unit à votre soeur (Sister) ou celui, réconfortant, que vous procure une conversation entre potes. Celui qui vous habite encore en fin de vie ou celui furtif du flirt… Celui à sens unique aussi. « Le genre d’histoire où tu racontes à ton ami que tu as flashé sur un type tout en réalisant que cet ami est amoureux de toi… Ou ce moment où, alors que tu aimes quelqu’un depuis longtemps, tu comprends que vous ne serez jamais ensemble mais tout en voyant le bon côté des choses. L’amour circule même quand il n’est pas cette chose physique, tangible et animale. Il est là. C’est aussi dans certaines de ces chansons. Quel type de femme et de soeur je suis? J’essaie encore de le deviner. Certains peuvent penser que je suis homosexuelle, d’autres que je suis une militante féministe. Chacun son expérience, ses impressions et son regard… »
Clavier et mellotron
Angel Olsen s’emballe sur l’auteur italienne Elena Ferrante (« ses Neapolitan Novels sont quelque part une vision matriarcale du Parrain »), revendique les influences de Stevie Nicks (Fleetwood Mac) et Hope Sandoval (Mazzy Star). Elle dit avoir ces derniers temps écouté beaucoup de Brian Eno et de David Bowie. Du Blondie et du Thin Lizzy. Du Donny Hathaway, du Candi Staton, du Lee Fields et du Organ Mood (« Suuns en plus groovy« ). Elle a déjà chanté du Dalida. Du Françoise Hardy aussi. « Ce qui m’intéresse c’est la manière dont les mots modifient la manière de chanter, ce qui arrive à ma voix quand j’utilise une autre langue… »
Si Burn Your Fire for No Witness, l’album qui lui a ouvert les portes du succès, reflète une période pendant laquelle des gens l’empêchaient de s’épanouir et de saisir les opportunités qui s’offraient à elle (« tout le monde me donnait des conseils et la plupart du temps des mauvais« ), My Woman sonne comme l’exploration de nouveaux territoires. « Notamment avec ma voix, acquiesce-t-elle. Je voulais des chansons qui me permettent de chanter davantage et de tenir les notes. La première moitié du disque est assez proche de ce que j’ai fait récemment. Mais la seconde est davantage synonyme de changement. »
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Angel s’est acheté un vieux piano français, dont elle montre une photo sur son téléphone, et s’est mise à plancher sur My Woman à cause de soucis de santé. « Je suis rentrée d’une longue tournée et mon docteur m’a dit: « Il faut que tu arrêtes, il faut que tu fasses une pause. Tu ne peux plus chanter. » Je l’ai écouté et ça m’a laissé le temps d’écrire. Je n’aime pas me plaindre. Mais à un moment, c’en était devenu humiliant. Les gens te disent: « Votre concert était mieux hier. » Ben oui, je sais, j’ai plus de voix. Ça te rend humble. Ça te fait réaliser que tu peux rapidement tout perdre. »
Un morceau comme Pops est né en ces semaines difficiles. « Dois-je mettre sur le disque ce titre où je suis dans un moment de défaite désespéré? Je devrais peut-être me calmer, prendre un long break? En l’enregistrant, j’ai fait face. Tout en essayant de communiquer avec les gens que j’aimais. Personne ne m’entendait. Même dans le groupe. J’étais une alien et je devais trouver un ou une autre alien à qui parler. »
La solitude de l’artiste toujours sur les routes. « Si tu te plains, tu te comportes comme une prima donna. Mais il y des trucs qui foirent, qui te touchent… C’est un privilège de faire ce métier mais tu découvres une culture en un jour et puis tu passes à autre chose. Tes potes te disent: « Ah ouais, tu as été en vacances à Paris? » Oui, et le van est tombé en panne. Et on est tombés sur des garagistes français qui nous ont traités de crétins d’Américains. Et puis, j’ai été malade et la salle n’était pas pleine. Mais oui, j’ai vu Paris, c’est très beau. »
Beau comme cet album donc qui va enfoncer le clou planté il y a deux ans avec Burn Your Fire… Sa deuxième face a l’ambiance éthérée des disques de Mazzy Star et des Cowboy Junkies. « Le piano a un son froid qui ne fonctionne que dans certains registres de ma voix. Alors, je suis passée au clavier et au mellotron. Intern, la première chanson du disque, c’est juste moi qui me demande ce qu’il adviendrait si j’écrivais un album entier au synthé. Mais My Woman n’en est pas un. Never Be Mine, Shut Up Kiss Me et Give It Up sont représentatifs de ce que j’ai fait auparavant. Comme pour convaincre l’auditeur qu’une partie de moi est toujours la même. »
ANGEL OLSEN, MY WOMAN, DISTR. JAGJAGUWAR/KONKURRENT. ****
En concert le 29/10 au Botanique.
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