Aloïse Sauvage: « C’est sûr que chanter ses peines apaise, mais cela ne règle pas tout pour autant »

"Je suis à la fois dans l'instant, dans l'instinct, j'adore les premiers jets. Et en même temps, je suis dans le contrôle, l'auto-analyse permanente." © Julot Bandit
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Le nez dans le guidon, la chanteuse touche-à-tout Aloïse Sauvage sort un premier album qui chronique ses états d’âme dans une « pop urbaine » à large spectre. Rencontre.

Vous l’avez peut-être aperçue lors des récentes Victoires de la musique. Nommée dans la catégorie Révélation scène, Aloïse Sauvage venait chanter son morceau À L’horizontale. Devant le parterre de pros, elle reproduisait sa choré signature. Celle où elle n’a besoin que d’un micro pour épater -un batteur et un clavier se tiennent en retrait sur le côté de la scène. Accroché à un filin, ce micro est à la fois son principal outil d’expression, prétexte à toutes les acrobaties- y compris vocales, sous Auto-Tune. Mais aussi ce qui lui permet de ne pas chuter. Quand elle chante, Aloïse Sauvage peut se pencher sans tomber, s’envoler sans s’écraser. Difficile de faire métaphore plus limpide.

Rencontrée quelques jours plus tard, l’intéressée rumine un peu – « Ce n’était pas ma meilleure presta. » Soit. Après tout, cela ne fait pas si longtemps que la jeune femme est dans le métier. Il y a un peu moins de trois ans, seulement, elle pondait son premier morceau, avec un pote, dans une chambre de Dunkerque. Après le cirque, la danse, le cinéma, elle trouvait alors une nouvelle corde à son arc.

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Aloïse Sauvage a en effet l’appétit dévorant et l’absence de complexes caractéristiques de sa génération. Née en 1992, elle grandit au Mée-sur-Seine, dans le 77, à une quarantaine de kilomètres de Paris. Élève douée, c’est dans l’art qu’elle s’épanouit: dans le break et la danse hip-hop qu’elle apprend sur le tas, au cours de théâtre ou de musique. Du coup, après le Bac, elle entame des études de cirque, inscrite dans la prestigieuse académie Fratellini, option « accrodanse ». Suivent les premiers spectacles (chez Raphaëlle Boitel), et bientôt les premiers rôles au cinéma. Notamment dans 120 Battements par minute, primé à Cannes et multicésarisé. Le film de Robin Campillo sort dans les salles fin août 2017. Trois semaines plus tard, Aloïse Sauvage publie son premier clip sur YouTube, Ailleurs Higher

La fureur de vivre

Aujourd’hui, le morceau a disparu des plateformes. Place à l’album, intitulé Dévorantes. Croisée une première fois il y a un an, Aloïse Sauvage disait alors vouloir prendre son temps pour fignoler ce qui est bien l’un des disques les plus attendus de 2020 en France. « Mais il y a eu l’EP, la promo, les concerts, puis un tournage en Israël, etc. » Finalement, il s’est fait, comme le reste, quasi en direct -les derniers morceaux enregistrés en décembre dernier. « Ce n’est pas une fierté, c’est juste comme cela que je fonctionne. Quelque part, j’aime bien l’idée que les gens puissent me suivre et me découvrir quasi en temps réel. »

Alors Aloïse Sauvage fonce. Dans le morceau Feux verts, elle chante « toujours vouloir le paroxysme« , accro à cette drogue qu’est « l’adrénaline« . Aujourd’hui, même si elle refuse toujours de trancher entre ses différentes casquettes, c’est la musique qui lui en fournit le plus. « Le jour où je me suis retrouvée à chanter sur scène, j’ai compris que je touchais du doigt un truc qui me donnait la possibilité de tout combiner. » Et faire aussi remonter à la surface ses tourments les plus intimes, « avec un degré de sincérité rarement égalé« . Sur Mega Down, elle se demande ainsi: « Quel étrange besoin de prendre le mégaphone pour exposer au monde ce qui me rend méga down? » A-t-elle trouvé la réponse entre-temps? « Bah, c’est sûr que chanter ses peines apaise. Mais cela ne règle pas tout pour autant, sinon je ne continuerais pas à voir mon psy régulièrement. » (rires)

Sur Dévorantes, elle évoque ainsi l’amour, la rupture (Toute la vie), la maladie (Tumeur), etc. Elle le fait de manière assez transparente que pour ne plus pouvoir éviter les sujets en interview. Par exemple celui du père absent sur Papa. « Il ne l’a écoutée qu’une fois, le pauvre, quand il est venu me voir en concert. Ce qui nous a donné l’occasion de nous retrouver… La famille, c’est touchy. Il y a une pudeur. Mais il m’a dit que je devais quand même l’inclure, que cela servirait peut-être à d’autres. »

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Plus loin, elle brandit également le drapeau arc-en-ciel, sur Omowi: abordé par le biais de l’intime sur son premier EP (Jimi), le thème de l’homosexualité prend ici une dimension plus collective – « L’arc-en-ciel brandi, t’es superbe, vas-y« . Pour autant, même en montant au créneau, elle refuse d’enfiler le costume d’avocat de la cause. Elle s’irrite par exemple d’un récent article du Monde, la citant, et qui pointait la présence remarquée, aux dernières Victoires de la musique, de plusieurs artistes revendiquant « leur homosexualité ou la fluidité des genres« . Un non-sujet, selon elle, qui insiste: « Cela déplace le propos. Je suis d’abord une artiste qui veut s’engager personnellement et émotionnellement dans ce que elle dit. Alors, certes, cela porte des messages. Mais je ne fais que raconter ma normalité à moi, mon banal, ma vie. Je ne suis porte-parole de rien. Des militants, j’en connais, ils font très bien leur boulot. Mais moi je suis dans mon salon, à écrire des petits textes sur des carnets, on va se calmer. »

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Comment s’exprimer sans revendiquer -a fortiori dans l’époque actuelle, où le politique s’invite dans le plus intime? C’est évidemment un exercice d’équilibriste. Cela tombe bien, Aloïse Sauvage adore ça. Jouer sur le fil, marier les forces contraires. « Je suis à la fois dans l’instant, dans l’instinct, j’adore les premiers jets. Et en même temps, je suis dans le contrôle, l’auto-analyse permanente, et la peur de me retrouver figée, coincée dans un endroit pour le reste de ma vie. » Ce paradoxe est peut-être ce qui définit le mieux la musique de la jeune femme, « pop urbaine » à la fois sincère et balisée. Une gymnastique qui rappelle le geste de la circassienne -qui, aussi spontané soit-il, a été répété 100 fois avant de pouvoir être exécuté correctement. « Aujourd’hui, j’ai compris que je peux fixer des choses dans un album, ce n’est pas grave, tant que moi, je reste en mouvement. » C’est tout ce qu’on lui souhaite.

Aloïse Sauvage, Dévorantes, distribué par Initial. ***

En concert le 08/05 aux Nuits Bota à Bruxelles; le 29/08 aux Solidarités à Namur.

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