Aldous Harding, en équilibre

"Je ne veux pas que les gens pensent que l'amour est tout ce qui compte sur ce disque. Designer, c'est aussi la séparation d'un vieux modèle de soi. Un modèle dont aurait conservé une copie en nous quelque part." © Clare Shilland
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Débarrassée de ses problèmes d’alcool, Aldous Harding a chassé la lourdeur et flotte de toute sa beauté sur le splendide Designer.

Elle semble apaisée. Presque sereine. Mais prend son temps, réfléchit beaucoup. Pèse ses mots et n’en dévoile jamais trop. Aldous Harding est une artiste énigmatique, mystérieuse. Cachotière même. Du genre à ne pas préciser qu’il est le nouvel homme de sa vie quand on loue les talents du remarquable H. Hawkline (Cate Le Bon, Devendra Banhart…) avec qui elle a enregistré son disque et qui au même moment boit un café dans la pièce d’à côté…

Enregistré, printemps 2018, aux Rockfield studios, dans la campagne de ce Pays de Galles où elle vit désormais, Designer est un album moins pesant qu’Aldous Harding et Party, ses deux premiers disques. Ceux qui lui ont ouvert les portes du succès. « Avec Party, j’avais l’impression d’être cette énorme araignée qui attirait les gens dans ses filets et les y gardait jusqu’à la fin de son disque. Je me posais beaucoup de questions. Et c’est encore le cas. Mais cette fois, j’ai accepté de ne pas en détenir les réponses. C’est plus ouvert. Je voulais chasser la lourdeur. »

La voix semble moins forcée. Les mélodies se font plus légères, un peu plus enlevées. Aldous Harding va mieux. « Quand on a assemblé les chansons, j’ai trouvé qu’elles faisaient partie de la même famille. Je ne sais pas à quel point c’était intentionnel. J’ai essayé de trouver un équilibre. J’en ai une comme ceci. J’en veux une comme cela. C’est important l’équilibre dans la musique. Comme dans la vie d’ailleurs. » Ce qui pourrait sembler être une confondante banalité résonne de manière toute particulière dans la bouche de la Néo-Zélandaise. Aldous Harding souffrait encore récemment d’une propension à l’abus. L’abus de drogues, d’alcool… Il y a quelques années, Bradford Cox (Deerhunter) lui avait déjà conseillé de prendre soin d’elle, de faire attention avec la picole. « Je savais qu’il avait raison. Mais je n’avais pas l’impression d’être dans la position, à ce moment-là, de pouvoir y faire quoi que ce soit. Ça a été une longue route. Il est facile de se faire mal. Ça peut te sembler bizarre mais je n’ai aucun regret. J’en nourrirais si je n’avais pas remis les choses en place. Je l’entends encore me le dire. Le regarder. Et lui répondre: yes, I know… Quand c’est le moment, un truc t’arrive et tu sais. C’est comme quand tu es plus jeune et qu’on te demande si tu as eu un orgasme. Si tu réponds que tu n’es pas sûre, c’est que tu n’en a jamais eu… »

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Aldous approche de la trentaine. Et plus que jamais, elle s’assume. Elle qui avait intitulé il y a quelques années I’m So Sorry, une chanson évoquant ses dépendances. « J’ai réalisé que je ne devais pas me sentir désolée et avoir l’impression de devoir m’excuser. J’avais déjà ressenti ça avant de fabriquer ce disque et je pense qu’il le reflète. »

Raison et sentiments

À nouveau produit par John Parish, Designer a été écrit pour moitié sur la route. Puis en une semaine et demie chez sa mère en Nouvelle-Zélande. Damn rappelle Molly Drake. La maman du célèbre Nick. « Ça ne me dérange pas les comparaisons. J’aime beaucoup Molly Drake. Mais je ne vais pas prétendre que j’ai pensé à elle en écrivant ce morceau… J’ai parfois l’impression que les gens veulent m’entendre dire: j’ai sorti ce vinyle de mon sac et j’ai pris mon carnet de notes. Je n’essaie pas de ressembler à qui que ce soit. Même si tout me pénètre et rien n’est nouveau. »

L’année dernière, son ancien compagnon Marlon Williams racontait à travers son deuxième album Way for Love, les affres de leur douloureuse séparation. Il l’avait même invitée à chanter sur une chanson Nobody Gets What They Want Anymore dont elle avait enregistré sa partie à Cardiff. « Je ne veux pas que les gens fassent des raccourcis. Ces nouvelles chansons ne parlent pas que d’une personne. De séparation, de trouver ou de rencontrer quelqu’un. C’est bien plus que ça. Pour moi en tout cas. Certaines évoquent l’amour. D’autres la mort. Et si les auditeurs ne le comprennent pas, c’est mon échec. Ce disque parle de ne pas avoir à t’excuser pour comment tu passes ton temps sur cette Terre. Toutes les choses que tu ressens, fais et penses. De ne pas te juger. Tu verras que si tu fonctionnes de la sorte, tu seras une meilleure version de toi que si tu vis dans le je ne devrais pas faire ceci, je ne devrais pas faire cela… Évidemment, il y a des choses que je ne te recommanderais pas. Mais même celles-là, j’y ai beaucoup réfléchi, fais-les. Et si tu ne peux pas les supporter, tu le sauras… »

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Harding n’aime pas confier ce qu’elle écoute comme musique. « Ce n’est pas mon boulot. J’ai des phases et j’aime beaucoup le silence. » Elle parle de Camus qu’elle cite dans son album et dont elle adore L’Étranger. « Je me suis sentie sauvée par ce livre. Sauvée que quelqu’un d’autre pense de cette manière. C’est l’une des grandes vertus de l’art: te faire sentir que tu n’es pas tout seul. »

La fille d’Auckland sait qu’on ne peut pas combattre certaines humeurs. Que tout est différent et que rien n’a changé. Mais elle fait confiance désormais à ce qu’elle ressent. « Un jour, ma mère regardait la télévision. Sheryl Crow devait donner un conseil sur un plateau de télé. Et elle disait que la porte de sortie, c’était les sentiments. Parce qu’ils ne s’enfuient jamais. Tu peux les mettre de côté, ils sont toujours là. Je ne dis pas que les autres doivent fonctionner comme ça mais c’est ce que je ressens moi. C’est incroyable ce qu’on prend l’habitude d’échapper à nos sentiments et même de développer des stratégies pour y arriver. Je ne sais pas. Et ce n’est pas grave. Je ne vais pas comprendre le monde aujourd’hui. »

Designer, distribué par 4AD. ****

Le 14/05 à La Rotonde (Botanique), le 26/05 à la Maison Folie de Wazemmes (Lille), le 07/07 au Cactus (Bruges).

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