Serge Coosemans

À la Fête de l’Iris, cette affiche électro qui hérisse…

Serge Coosemans Chroniqueur

Comme s’ils en avaient besoin en ces moments troubles, les pouvoirs publics viennent encore de s’attirer quelques moqueries, critiques et autres défiances en laissant programmer le soir de la Fête de l’Iris une soirée électro très oumpapa, avec Quentin Mosimann en tête d’affiche. Serge Coosemans se fait procureur, juge, jury et bourreau le temps d’un Crash Test S01E34 qui va encore lui faire plein de nouveaux petits amis…

« Fête de la Pisse », « votre line-up vient de me donner le cancer », « ils ont fait ça pour ne pas avoir trop de monde avec les attentats, c’est pas possible autrement… » Voilà quelques commentaires, « significatifs » comme dirait Jan Jambon, dégottés parmi beaucoup d’autres de la même veine sur la page Facebook de l’Electro Night de la Fête de l’Iris (la plupart ont été censurés depuis); bamboula régionale prévue ce samedi 7 mai 2016 sur la place des Palais, à Bruxelles. C’est l’affiche qui est la cause de ce bashing digne des grandes heures charcutières des forums de Boups.com, site pur et dur des années 2000. Se succéderont en effet sur scène Kenn Colt, Kid Noize, Bassjackers et Quentin Mosimann. À part ce dernier, je dois bien avouer que je ne connaissais pas ces noms. Je me suis donc documenté et voici le résultat de mes recherches.

Kenn Colt, de son vrai nom Kenneth Claes, est un jeune DJ limbourgeois assez relativement bien de sa personne pour que les photos de son site ressemblent à des images pour vendre des pulls et des lunettes solaires. Sur ce même site, il se définit comme « spécialisé en deep house commerciale ». J’ai écouté Feels Like a River, une de ses productions, pas scandaleusement mauvaise mais effectivement très commerciale, au bon goût de soupe, et qui n’a rien de house et encore moins de deep. Claes-Colt est sinon très fier d’annoncer qu’à 27 ans, soit l’âge qu’avaient John Lennon à la sortie de l’album Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band et Jim Morrison en toute fin de carrière, il a signé un deal avec « l’un des plus gros labels de l’industrie de la dance-music: Warner Music ». Je n’invente rien. Dans le monde de Kennetje Claes-Colt, Warner Music est un gros label de dance-music. Ce qui vous positionne d’emblée le bonhomme.

Kid Noize, j’ai appris que c’était Greg Avau du groupe Joshua avec un masque de singe. Je ne le connais pas, je connais très mal son parcours, mais j’ai tout de même l’impression que c’est le type qui a tout essayé en Belgique: être l’Alec Empire local, le Daft Punk local, le David Guetta local, pondre la nouvelle Danse des canards, peut-être même essayera-t-il un jour de remixer Frédéric François en gabber. Sa page Wikipédia croit utile de préciser qu’il « a fait partie du jury de l’émission The Voice Belgique lors de la première saison en tant que membre du groupe Joshua, et donc, sans son masque de singe ». Je ne m’en était pas rendu compte. Merci, Wiki. Par contre, Bassjackers, c’est totalement non merci. Je n’ai pas tenu 10 secondes dès que lancée leur tambouille sur YouTube. Normal: je ne suis pas dingue de tuning, je ne suis pas gérant de baraque foraine, je ne bois pas de parfum et je n’ai aucune nostalgie de ma jeunesse Tecktonik vu que lorsque la Tecktonik battait son plein, je n’étais plus jeune du tout, j’avais déjà 37 ans, j’écoutais de la minimale allemande et il se fait que la minimale allemande, c’est l’exact contraire des Bassjackers. C’est l’Or du Rhin alors qu’eux, c’est la Grosse Bertha qui rouille sous une pluie acide.

37 ans, c’était 5 ans avant que je ne me ramasse un lundi matin de septembre 2012 tous les fans de Quentin Mosimann sur le coin de la tronche. Le Suisse le plus célèbre depuis Patrick Juvet chez les shampouineuses du Hainaut s’était sur Twitter annoncé « blessé » par quelques lignes pondues par mes soins sur sa vie, son oeuvre, et cela avait suffi pour lâcher à mes trousses des hardes de cendriers vides pour qui Mosimann est à la fois le sex symbol ultime, un messie universel, le plus grand génie humain depuis Leonardo Da Vinci ainsi qu’un mec resté aussi simple que humble. Pour moi, Mosimann est surtout à Justin Bieber ce que le T-800 est au T-1000, du moins serait-ce vraiment le cas si les Terminators ne sortaient pas des usines Cyberdyne mais des Laboratoires Garnier. C’est un poseur, un clown, un entertainer correct dans son style, si on peut appeler ça « style », mais rien de plus. Ce qui serait donc encore possiblement respectable si ce garçon ne se donnait pas tant de mal pour passer pour ce qu’il n’est absolument pas, à savoir un DJ génial, capable de divinement mixer tout en jonglant avec son matériel, évidemment sans trucage. C’est tellement con de se réclamer d’une culture dont on est à ce point une caricature…

Bref, je suis 100% d’accord avec tous les détracteurs de cette Nuit de l’Iris électro: voilà bien une programmation complètement tartignolle. A priori, il n’y a pourtant pas de quoi s’en offusquer. C’est une fête populaire, il peut donc sembler normal d’y programmer des artistes (ou des clowns) que l’on suppose fédérateurs, commerciaux, dont la musique n’est pas trop clivante. Il se fait juste que dans une ville comme Bruxelles, ayant compté et comptant d’ailleurs toujours dans l’histoire et le développement des musiques électroniques, il est de fait assez insultant de privilégier une version de cette culture à ce point réduite à son aspect le plus forain et vulgaire. De Front 242 à Squeaky Lobster, de Telex à Mugwump, cela fait plus de 35 ans que Bruxelles regorge de bons artistes électroniques. Des gens qui s’exportent, sont connus et reconnus à l’étranger, cités comme influences déterminantes par de vrais grands DJ’s, et qui vivent des carrières riches et longues à défaut de passer sur NRJ et Contact ou à Tomorrowland. Par ailleurs, le public belge, et donc aussi bruxellois, est dans le milieu électronique depuis longtemps réputé connaisseur, régulièrement même applaudi comme plus ouvert, réceptif, enthousiaste et pointu que les Anglais et les Allemands.

Or, voilà donc que le soir de l’annuelle fête régionale, on préfère foutre sur scène un Limbourgeois, un exilé carolo, des Hollandais et un Suisse ayant tous de la musique électronique une vision plus fonctionnelle et égotique qu’artistique et culturelle; en plus d’être, pour certains d’entre eux, des petites figures de la télévision dans ce qu’elle a de plus décérébré et ringard. Ça ne tombe pas fort bien alors que la Ville et la Région croulent justement sous les accusations d’incompétence crasse, de laxisme structurel, de gaspillage d’argent public, de despotisme pas très éclairé et, surtout, de définitivement privilégier l’animation urbaine au développement culturel. Les pouvoirs publics sont prêts à lâcher des valises d’euros pour redorer l’image de Bruxelles mais un soir qui pourrait servir de vitrine à ce qui se fait de mieux à niveau local, ne pensent même pas inviter sur scène les fleurons d’une culture musicale qui a pourtant été partiellement inventée ici. Il ne faut donc pas réduire les moqueries et les critiques que rencontre cette Fête de l’Iris à du simple bashing. La défiance est fondée et n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle que les Marseillais avaient manifesté en 2013 à l’égard de la programmation de David Guetta dans une fête populaire locale relativement similaire à celle de l’Iris. Guetta avait fini par devoir annuler, au grand dam de la Mairie, mais pour le plus grand plaisir de tous les acteurs culturels locaux qui estimaient que les subventions n’avaient rien à faire dans les poches d’un DJ qui se fait officiellement dans les 30 millions de dollars par an. Pour rappel, Quentin Mosimann serait quant à lui payé 100 euros la minute. Wake up, Brussels!

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