45 Tours, le retour

Le Rockerill à Charleroi © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Outil privilégié de certains DJ’s, carte de visite, objet de fétichisme, sujet d’exposition, le 45 Tours est le dada du label carolo Rockerill Records. Au lendemain de sa soirée à la Maison des musiques -et à l’occasion de la Focus Vinyle Party du 5/12-, zoom sur un support revenu de l’au-delà.

FOCUS VINYLES PARTY

Une soirée entièrement mixée à base de 45 Tours. Le 05/12 dès 21h au Potemkine, Bruxelles. Avec DJ Kwak (Strictly Niceness) et DJ Cascade (La Planète des Singles) aux platines. Infos sur notre événement Facebook.

Le 17 avril 1993, Bruno Masure annonçait solennellement son décès au journal télévisé français et la décision de l’industrie du disque d’en arrêter la production. « Un passé qui s’évanouit. La rançon de la modernité. » Une vingtaine d’années plus tard, le 45 Tours, introduit en 1949 par RCA, est réapparu dans les bacs de quelques disquaires (plus seulement ceux de seconde main) et sur les tables de merchandising de groupes indés branchés. Récemment fêté (le 28/11) à la Maison des musiques, Rockerill Records en a fait sa spécialité et a enchaîné ces derniers mois les sorties de 45 Tours. Que ce soit ceux des Scrap Dealers, de Spagguetta Orghasmmond ou encore de Sects Tape, groupe garage punk tournaisien fringué de cagoules du Ku Klux Klan roses fluo…

« Lorsqu’on a rencontré Steve Forget, on organisait des concerts et des tournées, raconte Mika Hell, l’une des têtes pensantes et chevilles ouvrières du Rockerill. Fonctionnant comme un label de promotion et de booking pour des groupes comme Duflan Duflan, Two Star Hotel, Driving Dead Girl… Steve possédait un label de distribution digitale. Nécessitant moins de manutention et de logistique que des sorties physiques, l’aventure nous a tentés mais on s’est vite rendu compte qu’elle ne mènerait à rien. Quand on a reçu des subsides en 2011-2012, on s’est donc lancés dans le vinyle. En coprod et pour des copains. » Avant de se rabattre rapidement sur le 45 Tours. « Pour éviter de se retrouver avec des centaines de 33 dans le garage. Puis pour donner un coup de pouce au plus de projets possibles. Si tu en fais 300, et à condition que le groupe débarque avec le morceau tout fait, un 45 Tours revient à 3 euros, 3 euros 50 pièces. »

Rockerill investit annuellement entre 1000 et 2000 euros et peut se permettre cinq ou six disques. « Nous gagnons un ou deux euros par exemplaire. La marge est ridicule. Pas un seul 45 Tours ne nous a permis de payer le suivant. C’est pour le fun. Pas de la philanthropie mais une passion. Certains vont à la pêche. D’autres collectionnent les vignettes Panini. Pour nous, l’idée est d’aider les musiciens et de faire tourner l’esprit du 45 Tours. » Puis en même temps faire connaître le Rockerill par autre chose que ses soirées.

Du statut de relique, le 45 Tours serait presque en train de redevenir trendy. Confidentiel mais trendy. « Je suis tombé dedans quand j’avais dix ans. On s’en offrait aux anniversaires. Carlos, La Bonne du curé… Puis un jour, ma soeur m’a filé un Rubettes et un Rolling Stones. Je suis devenu accro. J’ai eu la chance de traîner à Londres, à onze ans, en pleine explosion punk dont il était un support privilégié. A une époque où le 45 coûtait 50 francs. »

Mika est resté addict. « Il t’évite le remplissage trop courant dans les 33. Il a quelque chose de social. Et il est aussi surtout bon marché. Donc, tu fais des découvertes. Les gens bazardent un peu moins sur les brocantes mais le gars lambda n’a souvent pas conscience des trésors qu’il possède dans son grenier et ne sait guère quoi en faire. J’ai récemment acheté à une petite vieille un 45 des Sex Pistols. »

Une histoire de collectionneurs

Derrière le culte, la hype, l’esbroufe, le fun, l’affectif (certains vont jusqu’à exposer des pochettes graffitées ou détournées par leurs anciens propriétaires, cf. l’installation Discographisme récréatif de Patrice Caillet), il y a la réalité des chiffres… « Le 45 Tours est avant tout une histoire de collectionneurs, explique André Tart, alias Dédé, du Caroline Music. Ce n’est qu’un pourcentage infime de notre chiffre d’affaires. Les indépendants comme In The Red ou le label de Jack White Third Man Records en sortent régulièrement mais on n’en prend qu’une poignée et on sait dire à l’avance à quels clients on va les vendre. Quant aux majors, elles ne sortent quasiment plus rien depuis une dizaine d’années maintenant. A part un Magnus pour pousser l’album avant sa sortie. Personnellement, j’aime le format. J’ai un juke-box et j’ai commencé avec le 45 comme tous ceux qui ne roulaient pas sur l’or. Puis dans le temps, les faces B, inédites, avaient encore de l’intérêt. C’était aussi assez pratique pour les singles sympas d’artistes qu’on n’aimait pas. »

Difficile de deviner l’avenir qui lui sera réservé par l’industrie et les amoureux du bel objet une fois le compact disc enterré. « Sur le marché de l’occase en tout cas, il tient bien le coup. Pour un même placement, il a même un meilleur rendement que le 33. Il est souvent épuisé très vite et il n’est pas réédité la plupart du temps. Comme tout ce qui est rare est cher… »

Veals & Geeks
Veals & Geeks© DR

« Je vois presque autant de 45 Tours que de 33 quand je participe à des foires, note Maxime du Veals & Geeks. Mais les collectionneurs me semblent de manière générale plus âgés. Une impression qui se dégage aussi de notre clientèle au magasin. On a mis un peu de temps avant de se lancer dans le format. Parce qu’on manquait d’espace, qu’il n’est pas facile à mettre en évidence et que les voleurs le planquent aisément sous leur veste… »

Aujourd’hui, le Veals & Geeks possède douze boîtes de 45 Tours derrière son comptoir. « Tous les jours, des gens viennent fouiller. Que ce soit en soul, rock, musiques de film… Les 45 sont juste plus rares en électro, où l’on préfère le maxi, et en metal. On a un client qui n’achète que du Beatles. Il est arrivé un jour en même temps qu’un lot. Il est revenu les cinq suivants pour voir si on l’avait mis en rayon et a fini par claquer 450 euros… »

Max vend aussi à des DJ’s ou des curieux qui ont entendu un tube et le cherchent en vinyle. « On prend des commandes et propose quelques nouveautés. Mais c’est essentiellement de l’occase. »

Le Soundcloud de l’époque

Organisateur de soirées funk et soul, Xavier Daive, alias Funky Bompa, est inévitablement un adepte du 45 Tours. « Le format est pratique. Je connais des DJ’s qui se sont bousillés le dos avec des caisses de 33. Et c’est quand même plus gai et moins impersonnel qu’une clé USB. Puis, tu peux juste te tromper de face si tu es un peu bourré. Mais c’est surtout historiquement le format de prédilection pour ces musiques. Un objet que les groupes se confectionnaient avec l’aide de petites structures pour démarcher. En gros, le 45 Tours c’est le Soundcloud de l’époque. Beaucoup de ces projets sont tombés aux oubliettes. Et le jeu des DJ’s, c’est de retrouver ces pépites, jamais distribuées. » Xavier n’est pas un nerd. « Si tu veux ne faire que dans le 45 original, il te faut un paquet de blé. Des Anglais sont prêts à mettre 600 boules pour un disque. Ils sont constamment dans l’achat et la vente. Moi, je ne suis pas un revendeur. Je vais bientôt me séparer d’un paquet de plaques mais c’est une question de place… »

L’intérêt allant grandissant, Xavier a de plus en plus de mal à dénicher des trésors sur les brocantes. Les conventions? « Je ne suis pas fan de ces rassemblements. J’ai du mal avec le cliché du collectionneur avide et asocial. Les gens bouffés par leur collection. Les mecs qui jouent des coudes. Quand je vais dire bonjour aux potes et que je jette un coup d’oeil, c’est dans les bacs à 1 euro. »

Son rapport privilégié avec le 45 Tours ne s’arrête pas à ses activités de DJ. En 2011, le programmateur de l’Atelier 210 a monté une petite structure, Limite Records, pour soutenir un jeune groupe en développement. BRNS en l’occurrence. « Généralement, tu reçois un CD démo gravé sans gueule et sans allure. Et avant de pouvoir passer au CD, faut avoir les moyens de composer, enregistrer et mixer cinq bonnes chansons. Deux suffisent pour un 45 Tours. Puis, tu peux y adjoindre un code download pour tous ceux qui l’achètent et ne possèdent pas de platine. L’idée était pour moi de signer sur un label des projets qui me plaisaient et quelque part de les crédibiliser. Même si la structure était totalement inconnue. »

Comme il n’avait pas les épaules et le compte en banque assez larges pour produire un album et le promotionner, Xavier a fait presser 300 exemplaires de Mexico. « Moins de copies coûtent pratiquement le même prix. On aurait pu en faire 500 mais je ne voulais pas me retrouver avec des caisses de disques sur les bras. On a tout vendu en six mois. »

« Ce fut notre toute première sortie physique, raconte Antoine Meersseman. Nous n’étions pas de gros consommateurs de vinyles. Nous sommes de la génération CD. Mais nous voulions un truc qui ait de la gueule. Avec un 45 Tours, tu envoies la sauce en deux morceaux. Tu ne dépenses pas trop de fric. Et tu as un chouette objet à proposer. En venant du Net, du viral, de bandcamp, c’est la meilleure manière de fonctionner sans structure établie derrière toi. Une super carte de visite à prix abordable qui te permet d’occuper le terrain. De se faire plaisir aussi en gérant les choses de manière artisanale. Il nous a permis d’intriguer et a participé à notre identité. »

Si BRNS a sorti deux singles en 45 Tours cette année, Limite Records a remis le couvert avec ses petits moyens pour Témé Tan. L’objet est déjà épuisé. « J’en dépose par-ci par-là mais 90% des disques ont été vendus après les concerts, reprend Xavier. J’ai eu l’occasion d’en glisser un à l’une de mes connaissances et le lendemain on passait sur Radio Nova… Ça n’aurait pas été le cas si je lui avais envoyé un lien Internet. C’est aussi dû à la noblesse du format. »

  • THE 11TH BRUSSELS VINYL RECORD FAIR, LE 07/12 DE 10 À 18H, GALERIE RAVENSTEIN, BRUXELLES.
  • Dans le Focus du 28 novembre, retrouvez également l’interview du crate digger DJ JR « De Monreal » Roncada.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content