Wolfenstein, comme en ’90

Wolfenstein: The New Order © Bethesda
Michi-Hiro Tamaï Journaliste multimédia

Wolfenstein 3D a marqué une génération de gamers aujourd’hui orphelins. Le titre qui a inventé les first person shooters dans les années 90 trouve enfin un vrai successeur avec The New Order. Une série B d’exception.

Cologne, août 2013. Les rangs sont serrés. Le pas, métronomique, presque martial. Une foule défile sous des symboles évoquant sans ambiguïté une esthétique nazie. Impossible pour les gamers traversant le Rhin en direction de la GamesCom (1) de ne pas croiser une des nombreuses affiches publicitaires urbaines du nouveau Wolfenstein: The New Order. Hitler n’y apparaît pas mais l’image reste troublante. « On a vraiment tout fait pour respecter les lois allemandes avant de venir ici », confie, très mal à l’aise, Andreas Ojerfors, senior gameplay designer de ce first person shooter pas comme les autres. « Nous n’avons pas jeté des croix gammées par hasard dans le jeu, une attention particulière a été prêtée à ce sujet. On peut passer à la question suivante? »

Uchronie formidable aux relents de série B trash, Wolfenstein: The New Order réécrit l’histoire de la Seconde Guerre mondiale en plantant son action dans les années 60. Une décennie où le troisième Reich gouverne la Terre. Malgré ce grand écart narratif, le trauma laissé par la polémique nazie et injustifiée que son épisode originel déclenchait en 1992 semble toujours d’actualité. Le jeu prévient ainsi qu’il reste une fiction et ne veut en aucun cas « glorifier le régime nazi » et « banaliser ses crimes contre l’humanité ». Et de fait, les antagonistes psychotiques, le scénario aussi malsain que talentueux et le gameplay monté sur ressorts dansent derrière les manettes pour une boucherie nazie aussi habile et trash que l’Inglourious Basterds de Tarantino.

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Torturer puis assassiner un haut gradé SS avec une tronçonneuse. Poignarder dans le dos un officier pour balancer sa tête dans la cuvette d’une toilette. Assister à un lavage de cerveau (sado-maso) de groupe mené sur des insurgés prisonniers… William Joseph « B.J. » Blazkowicz, héros US du jeu cassé par 16 ans de coma, navigue dans un cauchemar éveillé à son réveil. « On a entamé ce projet en se demandant ce qui nous avait marqué dans le jeu original. Son rythme subluminique, l’idée d’explorer un monde étrange peuplé de nazis et d’expérimentations inavouables étaient essentiels, poursuit Andreas Ojerfors. Les mécaniques ludiques inspirées des vieux point & click de Sierra ont aussi guidé notre démarche. Mais Wolfenstein n’est pas un remake mais un reboot basé sur les valeurs de Wolfenstein 3D. »

Surpuissance et désillusion

En mains, le first person shooter dépasse de loin les deux épisodes qui le précédaient en 2001 et en 2009 chez Activision. Si sa linéarité évoque Call of Duty, le titre évite tout script (2) idiot et spectaculaire pour se démarquer par des phases de jeu littéralement hallucinées. Machine Games impose ainsi une barre de vie maligne et limitée par petits paliers dans son auto-régénération. Cette santé qui ne fait donc que descendre peut toutefois être boostée au-delà de 100%. Un bonus de vie supplémentaire qui s’étiole lui aussi et qui pousse à foncer dans le tas. Comme pour mieux piéger le joueur. Car Wolfenstein a le brio de lui donner un sentiment de surpuissance pour mieux le tuer ensuite. Les dégâts menant au game over volent vite d’autant que l’IA ennemie crépite, empêchant (comme les murs qui s’effritent) toute planque prolongée.

Le jeu aux yeux qui saignent emprunte d’ailleurs des codes ludiques old school savoureux. Le premier Wolfenstein demandait de frapper indéfiniment la barre espace du clavier pour trouver des portes dérobées. En fils spirituel fidèle, The New Order demande la même action pour ramasser armes et autres bonus. Corridors de manoir étroits peuplés de chiens-cyborgs sautant à la gorge du joueur et riffs de guitares hard rock très badass (se déclenchant lorsqu’on tombe dans une petite pièce exagérément remplie de munitions): l’ombre des nineties et de Doom plane sur le jeu.

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Bourrine et décomplexée, la production n’en est pas moins intelligente et autorise des approches efficaces en mode infiltration. Mieux, le reboot déroule également de formidables personnages dont un héros qui pense à la mort et au chaos en plein accouplement. Une SS sadique à la beauté fanée qui aime à s’entourer de mignons. La nazisploitation pointe aussi le bout de son soutien-gorge obus. Dans les rangs de la résistance, la galerie de personnages cassés a elle autant de répondant que dans Metro Last Light.

« Nous avons intégré un trait de personnalité essentiel de Starbreeze (leur ex-studio, ndlr): le souci d’une narration élaborée. Au fil du développement, l’idée d’un combat de David contre Goliath s’est précisée. Non pas contre une armée comme dans les précédents épisodes mais contre un empire entier. » De quoi confier à Blazkowicz un rôle de leader révolutionnaire dont il ne voulait pas. Un clin d’oeil évident et savoureux à la destinée de Vin Diesel dans Les Chroniques de Riddick (Escape from Butcher Bay) que Starbreeze avait brillamment adapté en jeu vidéo il y a dix ans. « Notre culture littéraire et notre musique sont assez sombres en Suède. J’imagine que le fait d’avoir des journées courtes influence tout ça. On se raconte pas mal d’histoires noires au coin du feu, rigole Andreas. Même un groupe aussi pop et édulcoré qu’Abba racontait des histoires d’infidélité et de pauvreté dans ses chansons. Mais il y a toujours un espoir derrière. » Le retour inespéré d’une franchise culte que personne n’attendait le prouve.

Pourquoi c’est culte?

John Carmack et John Romero
John Carmack et John Romero© DR

Premier jeu plaquant des textures sur des environnements 3D fluides, Wolfenstein 3D secouait les gamers en 1992. Le titre qui n’avait aucun équivalent à l’époque a inventé un genre à lui seul (les first person shooters) et hissé le PC au rang de machine de jeu techniquement supérieure face aux micro-ordinateurs. L’Amiga de Commodore, son éternel rival, n’a ainsi pas pu suivre l’avènement des FPS après Doom, successeur du jeu de massacre nazi. John Carmack et John Romero, ses créateurs texans ont, eux, accumulé des millions de dollars et transformé le jeu vidéo en industrie aujourd’hui capable d’engloutir un budget de 250 millions de dollars pour une seule production. Le parcours rocambolesque de ce duo de rock-stars ludiques se retrouve dans Les Maîtres du jeu vidéo, bio non officielle et passionnante de David Kushner (éds. Ecole des Loisirs) sur le sujet.

  • (1) PLUS GRAND SALON DÉDIÉ AU JEU VIDÉO EN EUROPE.
  • (2) EVÉNEMENT, COMME UN EFFONDREMENT D’IMMEUBLE, PROVOQUÉ AUTOMATIQUEMENT PAR LE JEU EN PLEINE PARTIE.
  • Wolfenstein: The New Order, édité par Bethesda et développé paar Machine Games, âge 18+, disponible sur PC, Playstation 4, Playstation 3, Xbox 360 et Xbox One. ****

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