Weedcraft Inc.: un jeu-documentaire sur la complexité de l’intégration du cannabis aux Etats-Unis
Légalisé à des fins récréatives dans huit États US, le cannabis brûle entre prohibition et ruée vers l’or au pays de l’Oncle Sam. Weedcraft Inc ambitionne de tirer un instantané documentaire de cette situation ubuesque. Explications avec Alek Sajnach, coscénariste de cette simulation économique, loin des clichés.
Explorer la démesure du business du cannabis dans les États US l’ayant légalisé ressemble à la visite d’une planète extraterrestre. L’appli Weedmaps y suit ainsi en temps réel les déplacements de livreurs motorisés sur sa carte. Imitant la scénographie des Apple Store, les dispensaires design de MedMen accueillent les clients avec la même pédagogie. À Los Angeles, des panneaux publicitaires géants bordant les autoroutes annonçaient récemment la finale de la Stoned Gamer Championship Series, rencontre entre sports électroniques et THC avec une soixantaine de joueurs en lice. Simulation business (dites Tycoon) demandant de monter un empire de l’herbe, Weedcraft Inc ambitionne de réaliser un instantané documentaire d’une industrie américaine à cheval entre prohibition et ruée vers l’or. Un cas unique dans l’Histoire du jeu vidéo.
» Ici en Pologne, on peut aller en prison pour avoir fumé un joint en rue. Le sujet est tabou et, à la radio, des animateurs se demandent s’ils peuvent parler de notre jeu » , souligne Alek Sajnach, coscénariste de Weedcraft Inc chez Vile Monarch, à Varsovie. » La première fois que j’ai visité un weed shop à Seattle -où le cannabis récréatif est légal-, j’étais stupéfait de voir le nombre de variétés d’herbes et les kilomètres de produits dérivés qu’il proposait. J’ai compris à ce moment que le phénomène culturel du cannabis, dans les États américains où il est légal, n’a pas de commune mesure avec ce qui se passe en Europe, y compris aux Pays-Bas. Nous voulions donner ce point de vue européen à Weedcraft Inc , mais aussi une vision locale en travaillant avec la plume de Scott Alexander, qui est américain. »
Loin d’une blague potache en pleine descente, Weedcraft Inc oscille en permanence entre une gestion poussée de ses cultures souterraines et un écosystème de vente diablement complexe. Son premier scénario se glisse dans la peau d’un ex-étudiant en management dont le père est décédé. Le frère du protagoniste, lui-même consommateur, soulageait les souffrances du paternel en cultivant un plant dans sa cave. Sans boulot, le duo décide d’investir dans quelques plants. Les premières tâches très simples de Weedcraft Inc demandent d’arroser et de couper régulièrement quelques plantes dans une cave, tout en approvisionnant un unique point de vente. Mais rapidement, la machine s’emballe.
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Risky Business
Le volet dédié à la culture augmente ainsi sa surface pour ensuite migrer vers de nouveaux locaux et enfin d’autres villes. Le choix des ampoules, du terreau et d’une foule d’autres gadgets augmente plus ou moins la qualité de chaque plant et donc son prix potentiel. On se retrouve également à jouer aux ingénieurs agronomes en jonglant avec la température, l’humidité mais aussi les taux de potassium, phosphore et d’azote dans la terre. Le tout en surveillant sa consommation électrique pour rester sous le radar.
Arroser, couper et vendre ses plantations exigent des clics de souris et une attention permanente. Pour éviter cette corvée, engager des employés est une priorité. Ce volet DRH se traduit par des compétences à la culture et à la vente de chacun. Il ouvre aussi des discussions permettant par exemple de leur demander des services. « Weedcraft Inc n’est pas un pur tycoon gavé de statistiques, précise Alek Sajnach. Nous avons intégré beaucoup d’interactions humaines. Ces relations lient le tout et les employés n’y sont pas que des ressources. Nous voulions qu’ils aient une certaine personnalité, une histoire, des opinions. Certains employés préfèrent travailler légalement… Les faire bosser illégalement demande de les payer plus, sinon ils iront voir la police… »
Le second pilier de Weedcraft Inc se concrétise par un volet de vente oscillant entre l’offre du gamer et de ses concurrents. Le tout face à la demande d’une large palette de clients différents selon les points de vente où l’on opère. Des SDF se satisfont de cannabis low cost mais plus tard, plaire à des célébrités et à des hommes politiques exigera une qualité impeccable. De même qu’un ancien soldat n’aura pas les mêmes envies qu’un métalleux. Et si la bonne variété n’est pas proposée (et produite avec soin en amont), elle ne sera pas vendue. De quoi menacer le gamer de faillite tant les coûts de son activité (salaires, location d’immeuble…) se multiplient.
Plus fort qu’Hollywood
» Toutes les missions et personnages de notre jeu sont tirés de faits réels liés à la culture du cannabis aux USA, sourit Alek Sajnach . On a travaillé avec une série de spécialistes comme des avocats et des hommes d’affaires. Avant d’implanter chaque mécanique, on les a contactés pour vérifier qu’on était dans le bon. Mais parfois, la réalité dépasse la fiction. Si bien que nous avons écarté certaines histoires, car je pense que personne ne nous aurait crus. » Nul clin d’oeil ici donc à Coca-Cola, qui effectue actuellement des recherches sur une boisson au THC. Pas plus qu’aux Sisters of the Valley, une congrégation de « bonnes soeurs » cultivant de l’herbe en Californie.
Terreux, tropical, épicé, fromagé, floral, vanillé… Weedcraft Inc développe un riche vocabulaire autour des goûts et des effets de ses dizaines de variétés d’herbes. Les cultivateurs moins doués compenseront leur incompétence par des jeux d’influence et de concurrence commerciale. Il s’agit d’ajuster au mieux le prix au gramme pour saper un concurrent, de créer des alliances pour lutter contre des ennemis communs, de faire des dons au fonds de retraite de la police ou encore de monter des campagnes marketing pour s’ouvrir à une nouvelle clientèle de personnes âgées ou de religieux. Police, truands, politiques et employés sont invités dans cet intense numéro d’équilibriste.
» Nous tentons d’expliquer avec Weedcraft Inc que le commerce du cannabis aux USA est complexe et chaotique, poursuit Alek Sajnach. Les trafiquants qui dealent de l’herbe font du lobbying auprès de certains États pour qu’elle reste illégale.En Californie, de petits cultivateurs locaux qui dealent de l’herbe depuis 40 ans nous ont en outre expliqué que travailler avec le crime organisé était plus simple que de faire face aux levées de fonds d’investissements de Wall Street, apparus depuis la légalisation. »
Un plant presque parfait
Comptant notamment un des cocréateurs du très recommandable This War of Mine (jeu se glissant dans la peau de civils en temps de guerre), les Polonais de Vile Monarch se sont visiblement bien documentés. Mais Weedcraft Inc n’échappe, hélas, pas à certains écueils. Sa galerie de clients manque ainsi de nuances et la nature légale (ou pas) du business à développer ne bouleverse pas son gameplay. La guerre contre la drogue de Nixon et son ciblage intentionnel des minorités noires aux USA à la fin des années 60 ne sont pas évoqués sur le second scénario. Plus dur, ce dernier a pourtant la bonne idée de caster un ex-dealer afro-américain sortant de quinze ans de prison pour trafic de cannabis…
Oubliant de prendre en compte dans ses variables commerciales les récents tsunamis du CBD et des vapoteuses électroniques, Weedcraft Inc n’en demeure pas moins une précieuse démarche face à des jeux similaires mais caricaturaux comme Weed Firm ou Ganja Farmer. D’une manière générale, le tycoon élargit en effet la vision très limitée que se fait le jeu vidéo des drogues. Depuis le célèbre » Winners Don’t Use Drugs » que le gouvernement américain affichait sur les écrans des bornes d’arcade (dans les années 90), le gaming met souvent le joueur en garde contre leur nocivité, notamment dans des sagas de jeux de rôle hyper immersives comme The Witcher, The Elder Scrolls ou Fallout.
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La prise de drogues hallucinogènes couvre certes une poignée d’expériences initiatiques intéressantes, notamment sur Far Cry 3. Elle se dresse aussi comme une béquille branlante aidant à oublier un trauma sur Max Payne. Mais les opiacés sont généralement brandis comme des accessoires narratifs. La cocaïne stimule ainsi une foule de militaires notamment dans les séries de Call of Duty, Ghost Recon Wildlands et Counter-Strike: Condition Zero. Sans oublier les stéroïdes de Duke Nukem 3D. Et bien entendu les deals de stupéfiants et les inévitables fusillades de sagas comme Saints Row ou Grand Theft Auto. Plus proche du Traffic de Steven Soderbergh (2000) que de Scarface, Weedcraft Inc avance donc un peu plus loin que la moyenne pour brosser une réalité complexe. Un bel effort qui, espérons-le, en suscitera d’autres.
Weedcraft: édité par Devolver et développé par Vile Monarch, âge: 18+, disponible sur Mac et PC.
Cannabis, le sujet gaming tabou
Éditeur gaming punk, Devolver déplace les lignes du jeu vidéo commercial. Récemment, la guerre anticapitaliste de l’échassier de Pikuniku, le free jazz interactif du gorille d’ Ape Out et les rêves d’aquarelles éthérées de Gris en ont témoigné. Vétéran fantasque de l’industrie, Mike Wilson, un de ses cofondateurs, glissait le pitch de Weedcraft Inc aux Polonais de Vile Monarch. Le Texan qui a produit le jeu hallucine toutefois face aux difficultés rencontrées, pendant et après son développement. » Les plantations, les dispensaires et un développeur de tycoon renommé qui nous ont aidés ont refusé d’être nommés sur ce projet, regrette t-il. Ils avaient peur d’attirer l’attention au niveau fédéral US qui interdit l’usage du cannabis. On est dans une situation où même les business légitimesde weed peuvent avoir des problèmes, si Trump et ses storm troopers décident d’attaquer. » Côté promo, notons que YouTube démonétise les vidéastes parlant du jeu ( » mais pas ceux chroniquant Scarface ou Blow ») en précisant qu’il promeut l’usage des drogues. Devolver s’est enfin abstenu de sortir Weedcraft Inc en Chine et sur les magasins en ligne des consoliers traditionnels. Un accouchement commercial pour le moins délicat…
Child of Eden
Association inattendue de perceptions sensorielles qui déclenche (par exemple) un son lorsqu’on voit une couleur, la synesthésie obsède le travail de Tetsuya Mizuguchi. Les créatures maritimes, florales et spatiales habitant les phases de tir de Child of Eden interagissent ainsi avec sa BO électro. Un voyage indispensable suivant le cultissime Rez.
Tetsuya Mizuguchi – 2011
Child of Eden
Association inattendue de perceptions sensorielles qui déclenche (par exemple) un son lorsqu’on voit une couleur, la synesthésie obsède le travail de Tetsuya Mizuguchi. Les créatures maritimes, florales et spatiales habitant les phases de tir de Child of Eden interagissent ainsi avec sa BO électro. Un voyage indispensable suivant le cultissime Rez.
Tetsuya Mizuguchi – 2011
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Tetsuya Mizuguchi – 2011
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Tetsuya Mizuguchi – 2011
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