Critique

Wattam, fable métaphysique

Michi-Hiro Tamaï Journaliste multimédia

Le monde acidulé et coloré de Wattam gomme la grisaille ambiante pour évoquer le besoin d’attachement de l’humanité. Une fable surréaliste et précieuse.

Le poète John Donne l’énonçait en 1624: nul homme est une île. Comme Hideo Kojima sur son récent Death Stranding, Keita Takahashi souligne notre besoin vital de liens humains sur Wattam. Le créateur japonais ouvre ainsi sa nouvelle fable enfantine et métaphysique sur une scène sans équivoque. Incarnant un cube vert pleurant à chaudes larmes dès les premières minutes de jeu, le joueur y ressent sa solitude noire. Le protagoniste baptisé « Maire » ne restera toutefois pas longtemps esseulé. Tous vivants et flanqués d’un visage, des objets triviaux, des végétaux, des minéraux et même des appendices humains croiseront en effet sa route dans un puzzle-game animiste et fou.

Il y a huit ans, Keita Takahashi a quitté le Japon et le confort de son poste d’employé chez Namco Bandai pour emmener femme et enfant à San Francisco. Son aura l’a sans nul doute aidé. À 45 ans, le créateur est vénéré pour Katamari Damacy. Plaçant le joueur dans la peau d’un bousier humanoïde accumulant une multitude d’objets, ce jeu sorti en 2004 s’est imposé comme un classique précurseur de la vague indé. Du Donut County de Ben Esposito à Genital Jousting de Free Lives, une foule de créateurs actuels doués lui rendent un hommage direct. Chez nous, le collectif Devillé Arcade saluait également son travail épisodique de designer de plaines de jeu pour enfants en Grande-Bretagne, via une expo au Screenshake festival 2015 à Het Bos…

Wattam, fable métaphysique

En détresse

Aujourd’hui, la créativité du quadra brille encore sur Wattam. Se vivant comme une version sous acides des Télétubbies, ce trip cousin de l’Everything de David OReilly propose de diriger tour à tour une centaine de personnages et d’objets possédant des capacités particulières. Un arbre y avale des êtres vivants pour les recracher en forme de végétaux. Ces derniers seront ensuite gobés par une bouche les transformant en excréments kawaii, eux-mêmes doués de vie.

Dirigiste envers le gamer, Wattam parsème sa progression de mini-objectifs simples mais farfelus. On y empile, entre autres, des crottes dorées aux airs d’émojis pour dépasser une quille de bowling vivante. Aider des protagonistes en détresse y est également un mantra. Le tout, au fil de passages poétiques touchants. Une colline qui pleure de ne plus être entourée de mer finit par être encerclée par l’eau de ses larmes. Place à un paysage de carte postale maritime estivale…

Doué d’une bonhomie brillante, de rires en pagaille et de situations parfois un brin malaisantes, Wattam peine souvent avec sa caméra et répète par moment son gameplay. Ces faux pas ne gâchent pas le plaisir de ses délires et de son histoire familiale bien construite. Asuka Sakai, l’épouse de Takahashi a enveloppé cette odyssée d’une bande originale orchestrale et jazzy réagissant aux gestes du gamer. Une cerise sur le pixel qui hisse Keita Takahashi à la hauteur de Fumito Ueda (Ico) et de Jenova Chen (Journey).

Wattam, édité par Annapurna Games et développé par Funomena, âge: 6+, disponible sur PC et PlayStation 4. ****

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