Red Dead Redemption 2, de l’autre côté du miroir

© Rockstar
Michi-Hiro Tamaï Journaliste multimédia

À défaut de fondamentalement renouveler son gameplay, le western crépusculaire Red Dead Redemption 2 s’impose comme le meilleur simulacre de vie jamais vu sur consoles.

Le plan était simple: se mettre à la fraîche pendant quelques jours en pistant un grizzli légendaire. Après un braquage boîteux de diligence et une baston de saloon éthylique, la petite ville de Valentine était à cran. L’escapade proposée par Hosea Matthews semblait donc idéale. Sec et grisonnant comme Clint Eastwood, le frère de gang avait tourné les talons après un méchant coup de griffe. Il recherchait désormais en solo des plantes pour un appât et des indices laissés par l’ours. Tranquille. Jusqu’à cet appel à l’aide: une veuve et mère de famille, coincée sous son canasson mort. La sauver et la raccompagner chez elle? Très mauvaise idée.

Close par deux fusillades et un pur sang -récemment acheté à prix d’or- broyé par une locomotive, cette succession d’événements vécus par le joueur dans Red Dead Redemption 2 illustre le magnétisme du nouveau monde ouvert du développeur américain Rockstar. Derrière son intrigue principale, mille scénarios non linéaires s’y trament. Le gang Van der Linde, dont on suit la fuite en avant, dans l’Amérique de 1899, ouvre des parenthèses narratives en pagaille. Le hasard des rencontres, le sens de l’observation ou au contraire l’inattention du gamer suscitent des événements écrivant des histoires à la carte, exactement comme dans le remake de Westworld sur Netflix.

Rockstar n’a cessé d’affiner le réalisme vaudou de ses mondes miniatures depuis Grand Theft Auto III en 2001. À l’avenir, « les jeux vidéo deviendront impossibles à distinguer de la réalité« , soulignait justement Elon Musk il y a deux ans. En évoquant ce futur, le patron de Tesla pointait les progrès fulgurants du gaming, en matière de réalisme, ces 40 dernières années. L’entrepreneur qui veut coloniser Mars croit ainsi que nous vivons dans une simulation informatique globale. Cette hypothèse de la simulation imaginée par le philosophe Nick Bostrom (1) suppose qu’une civilisation post-humaine aurait suffisamment de puissance de calcul pour faire tourner notre monde.

Red Dead Redemption 2, de l'autre côté du miroir

Fac-similé de Los Angeles et de sa région, le Los Santos de Grand Theft Auto V avait été développé sur la base hardware de la précédente PlayStation 3. Red Dead Redemption 2 tire la pleine puissance de la quatrième console de Sony et déploie désormais une intelligence artificielle contextuelle. En pratique, Arthur Morgan, le protagoniste du jeu, adresse la parole à une foule de PNJ (personnages non-joueurs) réagissant différemment selon sa jauge de réputation, sa propreté (ne pas oublier de se raser régulièrement) ou encore les lieux où se tiennent les rencontres. Un karma alourdi de nombreux meurtres et de vols se solde, par exemple, par un refus de vente de billets de train, pourtant très utiles pour se déplacer rapidement sur les quatre immenses régions du jeu.

Vaquant à leurs tâches quotidiennes, dans un écosystème où l’on croise également des herbivores fuyant des prédateurs au hasard d’une chevauchée, les 1.200 acteurs et 700 doubleurs de Red Dead Redemption 2 restent toutefois des automates très primitifs face à la vie, la vraie. Mais un jalon a bel et bien été franchi depuis GTA V. Ce progrès continu alimente l’hypothèse de la simulation, également confortée par les récentes avancées de la réalité virtuelle.

Pilule rouge ou pilule bleue?

Des rayons de soleil tentent de percer la brume du bayou où deux canards sauvages s’envolent. De retour d’une chasse à l’antilope, on croise un troupeau de moutons surveillés par un chien, au crépuscule. Monts enneigés, terres agricoles, grandes villes naissantes, canyons et autres déserts multiplient les moments de grâce visuels de Red Dead Redemption 2. Populaire dans la Silicon Valley et estimée comme plausible à 30% par la Bank of America, l’hypothèse de la simulation habite ses paysages vivants, immersifs et poétiques.

Passé maître dans l’art de l’open world réaliste, Rockstar et l’hypothèse de la simulation de Nick Bostrom se marient jusque dans le travail photographique d’Ollie Ma’. L’artiste londonien a ainsi créé une série baptisée Open World, où il aligne côte à côte des clichés du mode photo de GTA V et des prises de vue du monde réel. Le tout pour un résultat où l’on peine à percevoir la différence entre les deux.

Red Dead Redemption 2, de l'autre côté du miroir

Pour insuffler des enjeux à cet univers brossant le déclin de l’âge d’or des gangs du Far West, Dan Houser, le cofondateur de Rockstar file au gamer les bottes d’Arthur Morgan. Menacer des créanciers, braquer des trains, libérer un pote du crew des barreaux d’un shérif, sauver un quidam d’une secte religieuse… Les missions sous le chapeau du bras droit de Dutch van der Linde sont autant d’occasions de se lier d’amitié (ou non) avec la trentaine de bras cassés du gang traqués par les Fédéraux et les rivaux.

Paré d’une bande originale royale (Colin Stetson, Mario Batkovic…), Dan Houser reste toutefois très loin des talentueux écarts d’un Macadam Cowboy ou d’un Brokeback Mountain. Le scénariste qui a trempé sa plume dans la plupart des blockbusters de Rockstar (cofondé avec son frère Sam) aligne par contre huit chapitres bien écrits, où le héros gamberge entre principes moraux et loyauté au groupe. Red Dead Redemption 2 explore en fait un sous-genre du western s’attardant sur la fin d’un monde, celui de la conquête de l’Ouest sauvage. Butch Cassidy et le Kid de George Roy Hill et Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone hantent donc les chevauchées fantastiques du jeu. Sans oublier La Horde sauvage de Sam Peckinpah et sa meute d’anti-héros hors-la-loi…

Rockstar conduit sans les mains

Grand Theft Auto V ne pousse pas forcément ses joueurs à voler des voitures et à adopter une conduite excessive sur la route. Ses graphismes haut de gamme, sa physique réaliste et ses piétons vaquant à diverses occupations ont en effet été utilisés à plusieurs reprises pour entraîner des algorithmes de voitures autonomes ces dernières années. Take Two, l’éditeur de GTA, a toutefois ordonné l’arrêt d’une foule de projets, par crainte que sa propriété intellectuelle ne soit menacée. En d’autres mots, qu’il ne touche pas les retombées monétaires de ces recherches auxquelles il participe gracieusement. OpenAI (financé par Elon Musk) et DeepDrive, la plus connue d’entre elles, ont ainsi cessé leurs activités. Mais l’université de Darmstadt, en Allemagne, poursuit ses recherches et entraîne un algorithme à reconnaître par lui-même des objets (rues, véhicules, signalisation, passants…) perçus par des caméras automobiles. Notons que dans l’autre sens, les récents progrès de l’intelligence artificielle en matière d’apprentissage profond n’aident pas forcément les adversaires de jeux vidéo à être plus doués en apprenant par eux-mêmes. Le tout pour des raisons de manque de puissance de calcul et de contrôle des événements du gameplay…

À l’exception notable des Polonais de CD Projekt (The Witcher III), Rockstar se dresse aujourd’hui comme le seul studio au monde capable de recréer une vie dans un jeu vidéo. L’extrême rareté de ses open worlds vivants a fait surchauffer la machine à hype. Comme l’analysait très justement un article du Monde qui se demandait (le 29 octobre dernier) si le jeu n’avait pas été surcoté par la presse, l’hystérie s’est emparée des médias spécialisés. Jeuxactu.com lui a attribué la note de 21/20. Qui dit mieux?

Éloge de la lenteur

Dans les faits, ce jeu qui s’est s’écoulé à 12,7 millions de copies (2) lors de ses trois premiers jours de vente démontre que Rockstar capitalise depuis près de 20 ans sur la même recette: se placer du côté des malfrats pour dévoiler leur humanité, entre empathie, amitié, faiblesses et doutes existentiels. Le rythme du jeu, ici nettement plus lent que les pétaradants et motorisés Grand Theft Auto, s’adopte avec bonheur. Privilégiant une approche presque typée jeu de rôle (la gestion de son cheval et de son camp mérite à elle seule un article), Rockstar multiplie ainsi les animations contextuelles et ultra réalistes de son héros… au détriment de sa réactivité. Manier un personnage pataud n’est pas forcément une mauvaise chose comme en témoigne Dark Souls. Le plonger dans des fusillades entrecoupées de courses (à pied, à cheval, en diligence…) quasiment identiques à GTA V pose, par contre, problème.

Monter par mégarde sur la carriole d’un quidam ou entrer involontairement dans une chambre d’hôtel occupée: la lourdeur des commandes provoque des actions involontaires et des fusillades qui le sont tout autant. Embourbé dans sa bonne idée de jeu de rôle, Red Dead 2 permet de fouiller les cadavres et des meubles par dizaines. Mais l’opération prend, là encore, trop de temps. Geste essentiel, se planquer en pleine fusillade n’est pas non plus très intuitif.

Malgré cette prise en main parfois calamiteuse et un manque criant de nouveautés en termes de gameplay, Red Dead Redemption 2 et ses paysages de Far West détonnent avec bonheur dans un paysage gaming obsédé par les univers technologiques et fantastiques. S’y balader à cheval, en carriole ou en bateau aère l’esprit. Vaquer à des dizaines d’activités annexes (pêche, cartes…) étire sa monstrueuse durée de vie (comptez un minimum de 50 heures). Mais ce jeu-événement débarque dans une nouvelle ère, où le jeu vidéo change fondamentalement. Ses pratiques ont explosé ces cinq dernières années. Il contamine des domaines comme le sport professionnel ou l’engagement politique. La science (voir encadré) n’est pas en reste. Pour s’adapter et survivre, Rockstar devra donc repenser fondamentalement sa formule. Sous peine de s’éteindre, comme un gang du Far West.

(1) Lire à ce sujet l’étonnant Are you living in a computer simulation?, publié dans le Philosophical Quarterly de la Faculté de Philosophie de l’Université d’Oxford en 2003.

(2) Selon nos estimations basées sur les chiffres de ventes officiels, soit un total de 634 millions d’euros.

Red Dead Redemption 2: édité par Take Two Interactive et développé par Rockstar, âge: 18+, disponible sur PlayStation 4 et Xbox One. ****

Western: du joystick au colt

Call of Juarez: Bound in Blood (2009)

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Avant Dying Light et Dead Island, les Polonais de Techland s’étaient démarqués avec Call of Juarez. L’épisode Bound in Blood de ce Call of Duty en santiags permet de jouer une brute puissante ou une fine gâchette tirant à distance. Deux points de vue intéressants, pour une saga (quatre épisodes) sous-estimée.

Turok: Dinosaur Hunter (1997)

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Argument choc de la Nintendo 64, Turok: Dinosaur Hunter enfilait les plumes d’un guerrier indien voyageant dans le temps pour chasser des aliens et des reptiles. Ce FPS peuplé de crabes mutants et autres tricératops à bazooka offrait une action jubilatoire. Gare à ses phases de plateforme agaçantes.

Mad Dog McCree (1991)

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L’industrie du jeu vidéo croyait que le futur du gaming passerait par la full motion video au début des années 90. Récemment réédité sur consoles, Mad Dog McCree déroule un shooter où l’on clique avec la souris au bon moment et au bon endroit. Un délicieux navet aux airs de série B.

Sunset Riders (1991)

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À mi-chemin entre Teenage Mutant Hero Turtles: Turtles in Time et Super Probotector: Alien Rebels (Contra III), Sunset Riders court et galope à pied et à cheval dans un Far West hyper coloré. Habité de boss mémorables, ce run & gun de Konami fait des merveilles à deux joueurs.

Custer’s Revenge (1982)

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Certains Américains ne se sont jamais remis de leur défaite face aux Indiens à la bataille de Little Bighorn, en 1876. Glauque, Custer’s Revenge prend sa revanche en proposant d’aller… violer une squaw, tout en évitant les flèches. Un cas d’école qui s’est tout de même vendu à 80000 exemplaires.

Gun.Smoke (1985)

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Les shoot them ups traversent souvent des univers intergalactiques. Gun.Smoke remplace l’habituel vaisseau spatial par un cow-boy à cheval. Muni d’un défilement de l’action à la verticale et d’un tir incessant, ce jeu d’arcade s’est hissé parmi les classiques de l’âge d’or de Capcom.

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