Pendant la pandémie, la guerre de la dreadlock continue

En 2015, les rastas blancs étaient encore surnommés les "chevreuils". © Getty Images
Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Le saviez-vous ? Il existe une guerre culturelle autour de la dreadlock. Qui continue, malgré la pandémie, les faillites en cascades et la ratatouille politique généralisée. Pour certains, cette coiffure devrait en effet être interdite aux blancs. A Bo Derek comme à Pierpoljack, donc. Crash-Test S05E42, à vous de voir si vous trouvez ça drôle.

Lundi dernier, suite à l’une de ces grosses polémiques dont les réseaux sociaux ont le secret, une commerçante de la ville américaine de Seattle du nom de Rachel Marshall a publié sur Instagram des excuses publiques et a promis de se couper les cheveux. Alors qu’elle est blanche, on lui reprochait en effet essentiellement de porter des dreadlocks et, dans une moindre mesure, d’offrir de temps à autre de ses produits (des jus de fruits et des cocktails alcoolisés) aux flics, « les gens qui brutalisent (pourtant) sa clientèle de base ».

Cité par The Daily Wire, c’est Cultivate Propagate, un compte activiste lui aussi présent sur Instagram, qui semble avoir démarré cette campagne de dénigrement à l’égard de Marshall : « Il est plus que temps de confronter cette dame au fait que son choix de délibérément s’approprier un style de coiffure noire est hautement problématique », y a-t-on écrit.

Avant d’ajouter : « Nous ne vivons pas dans une utopie post-raciale. Et il n’existe pas de loi fédérale protégeant la population noire d’être pénalisée pour une coiffure naturelle ou protectrice. Bordel, nous en sommes toujours à tenter de convaincre tout un chacun que les Vies Noires Comptent. De fait, tant que l’égalité raciale n’est pas atteinte dans les domaines de la santé, de la politique, de l’éducation et du travail, les Blancs ne devraient pas porter de dreads par amour, par solidarité et par respect pour les Noirs ! »

Illustré d’une photo souriante de Marshall son ananas capillaire sur la tête et accompagné de la géolocalisation de son commerce principal, ce petit pamphlet n’a généré que 1591 likes mais donc aussi un vent de panique ayant amené la principale intéressée à choisir de se couper les cheveux. « My hairstyle is harmful », a-t-elle écrit dans ses excuses, « MA COIFFURE EST NOCIVE ».

Gageons donc que la semaine prochaine, nous la découvrirons sur Instagram avec une nouvelle coupe, bien lisse, bien WASP ; ce qui devrait a priori classer son dossier. Sa chaîne horeca ne subira pas de boycott trop durable et la shitstorm de réseau social qui s’est abattue sur elle se calmera sans doute vite. Encore une grande victoire des Combattants de la Justice Sociale… Ce qui n’empêchera toutefois pas la guerre culturelle autour de la dreadlock de continuer.

Cela existe, en effet. Durant les années 90-2000, les rastas blancs n’ont pourtant jamais été autre chose qu’un bon gros sujet de moqueries plus ou moins trash. Souvenez-vous, par exemple, du film True Romance et du personnage de Drex’l, interprété par Gary Oldman.

Aussi inquiétant que ridicule, c’était un Anglais blanc comme neige voulant être plus noir que les Afro-Américains de son entourage. Il était rigolo, Drex’l, avec ses dreads de rouquin et ses tentatives d’imiter l’accent de Detroit. Tout aussi drôle à ses dépens que Pierpoljack, les zadistes bretons et quelques candidats à Koh Lantah… Tous ces rastas blancs qu’en 2015 encore, on surnommait les CHEVREUILS ! Rien que de l’écrire, je me bidonne joyeusement. Depuis, l’optique sur la problématique est toutefois devenue drôlement moins rieuse. Ces goûts capillaires douteux intéressent en effet désormais moins la Fashion Police que des poignées d’activistes progressistes radicaux. Comme souvent avec ce genre de dossiers, c’est vers 2016 que la rigolade a tourné au vinaigre et que la couillonnade s’est politisée à l’extrême, de façon complètement absurde et démesurée.

Un incident emblématique, c’est une bagarre filmée sur un campus de San Francisco entre un blanc à dreadlocks et une femme noire l’accusant d’appropriation culturelle. C’est dans la foulée de ce buzz sur Internet que les rubriques de sociologie de bazar de quelques médias de premier plan se sont intéressés aux « whites rastas ». Non plus pour en rire mais pour les accuser de toutes sortes de maux, allant donc de l’appropriation culturelle au racisme plus ou moins conscient.

« Les cheveux des Noirs sont un sujet délicat lié à la beauté, à l’identité et à la politique, écrivait-on ainsi sur CNN en mars 2016. « Les styles de coiffures associées à la culture afro-américaine peuvent déclarer quelque-chose avant même que les personnes ne disent un mot ». Sous-entendu : fini de balancer des blagues à la con sur les rastas ratées de Justin Bieber, vu qu’un blanc qui porte des dreads simplement par choix esthétique vole en fait la parole politique aux Noirs.

Depuis, droite et gauche continuent de s’empoigner. Y compris durant la pandémie. Inutile de s’attarder sur le fond : dans un camp comme dans l’autre, les arguments sont tous plus ridicules les uns que les autres. Et, comme souvent dans ces débats houleux, l’histoire avec un grand H, la science donc, passe au second, voire au troisième plan.

Quand on en vient à parler de l’invention de la dreadlock, historiens et anthropologues s’accordent en effet tous à reconnaître qu’il est impossible d’en déterminer la paternité, la tendance étant apparue spontanément un peu partout dans des cultures très éloignées à la fois géographiquement et dans le temps. On retrouve des traces de cette tendance capillaire chez de vieilles tribus et civilisations africaines mais aussi dans l’Egypte ancienne, la Grèce archaïque, le Caucase, chez les Aztèques, les Celtes, les Vikings, l’Hindouisme, les Aborigènes australiens et même dans le bouddhisme tibétain, avant que n’y soit lancée la mode de la boule à zéro.

« Peu importe !, selon Taiwo Ogunyinka, éditorialiste chez The Tab, car quoi qu’il en soit, cela marque un manque de reconnaissance pour l’oppression de la population noire au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et tout autour du monde ! » Parce que les dreads, de nos jours, c’est le rastafarisme qui les porte le mieux, en toute conscience, pour des motifs religieux et politiques. Et donc, porter des dreads quand on est blanc, c’est forcément voler la culture rastafari et dénigrer la culture « noire ».

J’avoue, tout cela me fait drôlement glousser. Tout cela me fait aussi suspecter que ça doit encore plus se marrer dans les fameuses usines à trolls russes. Je les vois d’ici en réunion à Saint-Petersbourg : « bon, les gars… Comment va-t-on une fois de plus bien foutre le boxon en Occident ce mois-ci ? » « Oh, ben, on n’a qu’à lâcher que les dreads des rastas blancs tiennent de l’appropriation culturelle et que c’est donc raciste envers les Noirs ! » « Fantastique, Sergeï, fantastique ! On en a au moins pour 10 ans si on fait chauffer ça d’abord à feu doux sur Twitter avant de le faire péter dans le monde académique et médiatique ! » « Da tovarich ! Et après, on pourra toujours lancer que la chanson Jingle Bells, le design d’intérieur, l’arithmétique et éviter de croiser les regards en société sont également racistes ! Il y aura bien toujours un mudak ou l’autre pour y croire et en rajouter des caisses et des caisses! »

Toujours en aveux, je dois bien admettre que cela me rassurerait drôlement qu’on soit tous victimes d’une gigantesque campagne de déstabilisation psychologique et sociale russe du genre. Parce que sinon, bonjour la transformation du film Idiocracy en réalité, quand même…

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content