Critique

Istanbul, Texas, trait d’union unique entre culture rock et gaming

Istanbul, Texas © Llaura Dreamfeel
Michi-Hiro Tamaï Journaliste multimédia

La psyché folk turque et contestataire de Selda Bagcan croise le joystick sur l’incroyable Istanbul, Texas.

À 67 ans, Selda Bagcan n’a pas perdu sa verve. Emprisonnée pour ses idées politiques, la chanteuse de protest pop turque reste montée sur ressorts depuis ses débuts dans les années 70. L’icône psyché folk samplée par Mos Def et 2 Many DJ’s vient ainsi de passer au Primavera de Barcelone et réjouissait le dernier Guess Who? d’Utrecht. Croiser la préretraitée dans un jeu vidéo interpelle de plus belle. Pas de superhéroïne permanentée en vue. Écrit en 1976, son Yaylalar donne le change et une furieuse envie de danser, bras en l’air, sur Istanbul, Texas.

Lunaire et festive, cette chanson d’amour hante miraculeusement ce jeu vidéo garage sans lien apparent avec le Paris, Texas de Wenders. Llaura Dreamfeel, auteur trans à part sur la scène gaming indé, y narre l’histoire d’un disquaire qui a brûlé son magasin et les albums favoris de sa mère. « Achetez mes vinyles, tant que la machine de mort socio-économique survit », hurle le commerçant hilare et possédé, tout en explorant les décombres fumants de sa boutique. Tel un spectre, le gamer se contente de détruire des piles de disques, l’une après l’autre. Le gameplay pixélisé y est décharné. Entrecoupé de textes blancs sur fond noir façon film muet, Istanbul, Texas n’en a cure tant son monologue prend à la gorge.

Liquidation totale

« Je n’ai pas réussi à vendre ma soul, mon blues. Même pas mon funk. Ma vie est un stock, je le liquide », scande le patron dans l’entrée principale de son Donny’s Discount Dongeon. Heureux d’avoir enflammé les disques kitsch et lénifiants de Donny Osmond (1973) adorés par sa mère, l’antihéros sans nom trouvera peut-être la voie de la reconstruction. Des mensonges de l’immobilier américain au positivisme de (The System of) Dr. Tarr and Professor Fethe d’Alan Parsons Project, Llaura Dreamfeel nous dit tout en cinq minutes de jeu. Une tranche de vie qui va à l’essentiel comme le ferait un single. À rejouer plusieurs fois pour en saisir toutes les circonvolutions…

Figure majeure discrète de la scène indé, Llaura Dreamfeel entretient en fait une relation fusionnelle avec le rock. La jeune Irlandaise aligne ainsi une surprenante ludothèque influencée par le journalisme musical et la poésie. Ses textes ciselés épatent sur Istanbul, Texas. Mais elle n’en est pas à son premier jet. Planté backstage après à un concert parfait, Curtains plongeait dans l’enfer d’une relation destructrice balafrant un groupe punk. La presse spécialisée (Polygon, Killscreen…) et le public sont restés cloués. L’incontournable A MAZE. de Berlin l’a couronné de son grand prix en 2015.

Entre pixel art et 3D, Curtains titube parmi les six jeux de cette créatrice élevée dans un village de pêcheurs, au nord-ouest de l’Irlande. À chaque production, sa patte graphique reste surprenante. Embarquant le gamer dans un train rythmé d’applaudissements sporadiques, Train Song malaxe d’étranges personnes réalisées en pâte à modeler. BD européenne ou encre de Chine, Dreamfeel jongle entre les styles et trace sa marque sur la scène indé. Un trait d’union unique entre culture rock éclairée et gaming.

ISTANBUL, TEXAS, ÉDITÉ ET DÉVELOPPÉ PAR LLAURA DREAMFEEL, ÂGE: NC, DISPONIBLE GRATUITEMENT SUR PC/MAC/LINUX VIA HTTP://DREAMFEEL.ORG

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