Laurent Raphaël
Pure spéculation
La radio publique est-elle encore le refuge de la culture? Tout dépend du pedigree du locataire. Le classique a toujours ses appartements sur Musiq 3, le rock blanchi sous le harnais son loft sur Ysaye FM, la musique du monde sa garçonnière sur La Première. Même l’opérette et le tango ont leur squat dans l’émission impayable de Marc Danval. Mais quid de la culture de la marge, celle qui ne croule pas sous les breloques honorifiques et qui cisèle dans le brouillard du présent des sonorités inclassables?
L’édito de Laurent Raphaël
Depuis la scission de Radio 21, c’est à l’étage de Pure FM que ça se passe. Sur ce modeste plateau (entre 2 et 3% de parts de marché au gré des marées des études CIM), les musiques étiquetées » jeunes » avaient droit au prime time ou au repêchage dans les émissions de genre, hip-hop chez DJ Sonar, rock alternatif qui tache chez Pompon, popote indé dans Drugstore. Il y avait déjà bien eu quelques coups de canif dans le contrat de départ, avec un lent polissage des playlists, mais globalement, sans atteindre le dosage explosif de Stu Bru, Pure sauvait les meubles d’une avant-garde sonique en prise directe sur son époque. Les rumeurs d’une refonte en règle des grilles à la veille de l’été ont mis le feu aux poudres des commérages, activement relayés et amplifiés par les tamtams Twitter et Facebook. La disparition des deux émissions les moins mainstream mais les plus symboliques -officialisée depuis- ne prive pas seulement de parole des sous-genres culturels importants, elle donne aussi l’impression que Pure vire commercial et convoite désormais les terres de Contact. La direction s’en défend mais cette décision, conjuguée à d’autres symptômes (plus de micros-trottoirs, plus de concours…), va dans le sens du traitement prescrit par le French Doctor appelé à la rescousse: alléger la sauce, la rendre plus digeste, plus positive, seul moyen de séduire cette jeunesse qui se dore la pilule aux hit-parades et à la bonne humeur et qui échappe depuis huit ans à une radio qui vise plus haut que sa cible. Reste cette évidence qui résiste à tous les emballages sémantiques, c’est bien la panne chronique d’audimat qui a motivé le changement. Pas la volonté de faire entendre une autre voix, discordante, dans le paysage radiophonique. Un appât du gain qui sonne toujours un peu bizarre pour un service public. Et confirme cette impression plus générale de soumission au dieu du divertissement. L’argument pare-feu consiste à dire que tout se trouve désormais sur le Net. Sauf que sur la Toile, le meilleur côtoie le pire. Et s’y noie le plus souvent. Nous croyons encore au rôle de passeur, de filtre, de guide, d’éclaireur des médias. Une vision passéiste? » Réveillez-vous monsieur, entend-on déjà persifler, le Web a changé la donne. Vous n’êtes plus seuls maîtres à bord. » Mais nous préférons l’élitisme pour tous à la médiocrité pour chacun. En voilà un concept vendeur!
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