Battle Royale: les jeux d’arène en ligne tournent au phénomène viral

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Fabrice Delmeire Journaliste

L’année ludique 2017 a été dominée par la consécration d’un genre nouveau: le Battle Royale. Soit 100 joueurs parachutés sur une île dont un seul sortira vainqueur.

Le 20 décembre, le jeu vidéo PlayerUnknown’s Battlegrounds (PUBG) sortait de sa période d’accès anticipé -ces early access permettant aux joueurs de s’essayer à moindre coût à un titre encore en développement… Une fois n’est pas coutume, la sortie officielle du jeu ne représente ni une phase critique de lancement ni un enjeu économique majeur pour ses développeurs. C’est qu’à cette date, PUBG a d’ores et déjà déferlé sur le monde, conquis 25 millions de joueurs, totalisé plus de 2 milliards d’heures jouées, rendant accro une large frange de la planète gaming à la dose phénoménale d’adrénaline qu’il procure. Avec des chiffres qui donnent le tournis et plusieurs clones lancés, le raz-de-marée ne semble pas prêt d’être endigué. Petit tour du propriétaire.

Un avion cargo survole une île avec 100 bidasses à son bord. Déjà, les premiers casse-cou s’éjectent pour fondre à toute blinde vers la terre ferme. Seul, en duo ou en équipe de quatre, pas une seconde à perdre: la découverte des environs guide la recherche du nécessaire de survie composé d’une arme (pistolet, fusil automatique ou… poêle à frire!), de bandages et d’équipements de protection. C’est la phase capitale de loot permettant d’entamer une partie sous de plus ou moins bons auspices. Mais déjà le chrono tourne: il faut consulter la carte sous peine d’être rattrapé par la zone, tempête radioactive progressant par cercles concentriques, synonyme de mort pour quiconque aurait la fâcheuse idée d’y lambiner. Au fil des minutes, l’espace de jeu se réduit comme peau de chagrin, ne laissant in fine que quelques dizaines de mètres carrés aux survivants. C’est que, gravé au coeur même de l’ADN du jeu, son impérieux principe ne souffre aucune entorse: « À la fin, il doit n’en rester qu’un! »

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Extension du domaine de la lutte

Rafraîchissant, le succès foudroyant du Battle Royale bouscule l’immuable ballet des licences triple A (appellation consacrée des blockbusters Assassin’s Creed, Call of Duty, et autres figures emblématiques sachant se faire désirer, coucou Zelda et Mario). Trustant les hit-parades, ce carton « surprise » ne surgit pas de nulle part… Les origines qui lui donnent son nom sont connues: le roman Battle Royale de Koshun Takami, adapté en manga et surtout en film par Kinji Fukasaku avec Takeshi Kitano. Dans un Japon futuriste, les adultes redoutant la désobéissance des adolescents instaurent la loi Battle Royale. Chaque année, une classe de terminale est envoyée sur une île pour s’entretuer avec les moyens du bord. Bien connu des adeptes de catch et du capitalisme libéral, le principe du dernier homme debout (

« last man standing« ) a ensuite été librement réinterprété dans la série Hunger Games. Façonnée à destination des adolescents, la trilogie de science-fiction dystopique de la romancière Suzanne Collins imagine un jeu télévisé qui envoie deux enfants par district se battre à mort dans une arène. Best-seller avant de devenir un blockbuster au cinéma, Hunger Games cartonne.

Entre en jeu Brendan « PlayerUnknown » Greene. Web designer et photographe irlandais, ce fils de militaire signe quelques mods (modification d’un jeu original sous forme de greffon) célèbres pour DayZ et Arma III. Posant les jalons des jeux d’arène en ligne, Greene y peaufine une formule gagnante: nécessité d’explorer une carte immense, liberté laissée au joueur, un seul vainqueur. Le moddeur accouche encore du foufou H1Z1: King o te Hill, à l’ambiance survoltée, avant de mettre la touche finale à son évangile, humblement baptisé de son pseudo, avec le succès que l’on sait… Sur Twitch (réseau de partage vidéo, chouchou des jeux et sports électronique), PUBG se propulse directement à la deuxième place des jeux les plus regardés. Pareille poule aux oeufs d’or, couvée par les influenceurs sur leur chaîne YouTube, ne va pas sans attiser les convoitises… Outre une palanquée de clones déjà parus ou à venir (Last Man Standing, The Culling, Islands of Nyne), c’est Epic Games qui tire les marrons du feu. L’éditeur s’empresse d’ajouter un mode Battle Royale (gratuit) à son jeu Fortnite -au succès jusqu’alors mitigé. Bingo! Les joueurs accourent en nombre sur son très addictif appendice. Du reste, si les PCistes s’escriment sur PUBG depuis un an (et plus récemment sur XBox, au prix de grosses concessions graphiques), les adeptes des consoles (notamment PlayStation) sont ravis par ce Fortnite au rendu cartoon leur permettant de goûter enfin au nouvel eldorado. Mais au fond, pourquoi c’est si bon?

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Rester vivant – méthode

Il faut souligner la tension phénoménale qui habite le genre. Même entre deux climax, le joueur garde les sens en éveil: l’observation bien sûr, mais aussi l’ouïe, constamment sur le qui-vive, à l’affût du moindre bruit de pas, d’une détonation sèche dans le lointain. S’ouvrent alors les arcanes du metagame, la psychologie du jeu, où se fomentent les traquenards les plus sournois. Par exemple lors des parachutages de matériel précieux, quand sous l’oeil implacable du sniper planqué sur sa colline, la livraison providentielle se transforme en piège à souris géant. Ou comment, pour citer Toulouse (Jean Rochefort) dans Le Grand Blond avec une chaussure noire: « Ce qui compte, c’est qu’il morde à l’hameçon. Je peux vous dire précisément ce que vous allez chercher, mon petit Perrache: un piège à cons. » Internet regorge ainsi de vidéos compilant moments improbables et autres exultations orgasmiques. Plus sérieusement, avec l’avènement de ses joueurs pro, le genre est appelé à devenir l’un des nouveaux fleurons de l’e-sport. Impitoyable et gratifiant, appelant à la transcendance et à l’humilité, le genre du Battle Royale, puissamment addictif, dispense un formidable roller-coaster émotionnel.

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