Assassin’s Creed III: génération révolution
Assassin’s Creed III traverse l’Atlantique pour immerger le joueur en pleine révolte américaine. Au-delà de ce soulèvement aux accents contemporains, l’open world au récit dense tente également de se réconcilier avec les Amérindiens. Une première pour un jeu vidéo.
Assassin’s Creed III, édité par Ubisoft et développé par Ubisoft Montréal, âge 18+, disponible sur PC, PlayStation 3 et Xbox 360. ****
Montréal, centième jour du « printemps érable ». Des dizaines de milliers de manifestants en rue. Une colonne interminable de voitures de police remonte St Denis, le quartier jeune. A leur bord, des grappes d’étudiants arrêtés. Ca gueule et ça siffle. Rien de méchant. Bouche bée, des touristes se font coller, sur leur veste, des carrés rouges, symbole de ralliement de cette protestation universitaire (1) qui a tourné en mouvement social. Ubisoft Montréal n’aurait pas pu choisir meilleur date que le 23 mai dernier pour présenter Assassin’s Creed III dans ses studios canadiens.
Car le dernier volet du triptyque quitte l’Europe pour planter son action entre 1753 et 1783, dans des colonies américaines au bord de la révolte. Jusqu’à sa récente publicité intitulée « RISE, se soulever », l’open world d’action-aventure respire donc l’air du temps comme aucun autre. « Tout a commencé lorsque nous travaillions sur Assassin’s Creed II, l’idée d’explorer une révolution a naturellement mûri dans l’esprit de l’équipe », se souvient Corey Mays, scénariste principal du jeu.
« On a opté pour les USA car cette révolution s’est ensuite répandue dans le monde et en France notamment. Et bien plus tard jusqu’à aujourd’hui même. On vit une drôle d’époque, pas juste ici, à Montréal, mais aussi dans le monde entier. » Si la démarche d’Ubisoft semble aussi opportuniste qu’un masque d’Anonymous vendu en pleine manif d’Occupy Wall Street, son approche narrative, historique et ludique reste intouchable.
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Le cinquième volet de ce blockbuster au développement de trois ans plante en effet ses racines dans une lutte secrète et séculaire entre les Templiers et la secte des Assassins. Ces derniers estiment que l’humanité a droit au libre arbitre tandis que leurs opposants jugent bon de la guider dans l’ombre. Les quatre premiers épisodes de la série s’attachaient à dépeindre avec force détails deux périodes clefs de l’histoire de ce duel fictif. A savoir la Troisième Croisade plantant son action en 1189 à Damas et Jérusalem. Puis, pour les trois autres épisodes (la trilogie d’Ezio), de la fin du XVe au début du XVIe siècle, en pleine Renaissance, avec des reconstitutions 3D historiques léchées de Venise, Firenze, Rome et enfin un ultime détour à Constantinople.
La mémoire dans la peau
Pirouette narrative habile liant ces époques et mise en abîme jubilatoire du jeu vidéo, l’Animus se profile comme une interface explorant la mémoire de l’ADN de l’individu sur lequel elle se branche. Desmond Miles, le héros de la saga, l’utilise pour revivre en temps réel les faits et gestes de ses ancêtres. Objectif? Lutter contre les Templiers et retrouver des traces de « ceux qui étaient là avant », civilisation antédiluvienne qui dans l’Histoire contemporaine du récit prévient d’une fin du monde. Vertigineux, les Assassin’s Creed ont le génie de creuser les zones d’ombre de l’Histoire pour y développer leur propre fiction.
« Au début de la série, on s’était juste dit qu’on allait faire un jeu au temps de croisades avec quelques noms en tête. Au fur et à mesure des épisodes, les murs se sont rétrécis », poursuit Corey Mays, également détenteur d’un Writers Guild of America Award pour le meilleur scénario de jeu en 2011. « Tous ces épisodes me guident plus qu’ils me contraignent dans mon écriture. Le plus dur reste le temps de parole. Je ne pouvais pas laisser mes personnages parler trop longtemps, ce genre de choses a le don au mieux d’ennuyer les joueurs ou au pire de les fâcher car ils se demandent où est le jeu. »
Se suivant de fait comme un film grâce à une mise en scène et des acteurs aussi brillants que dans L.A. Noire ou Uncharted, Assassin’s Creed III passionne par son histoire mille-feuille. Dans le présent, l’enquête sur la civilisation antédiluvienne aux côtés de scientifiques mais aussi d’un père colérique membre des Assassins captive. L’exportation du duel des Templiers et de ces derniers dans une guerre historiquement hyper détaillée entre indépendantistes et loyalistes fascine.
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On arpente les rues et les toits de Boston et New York reconstitués à la manière d’un Grand Theft Auto dans les moindres détails sur un tiers de leur superficie. Pas de voiture à carjacker mais des chevaux. Des troupes de loyalistes rouges battent le pavé et la population -une foule immense animée en temps réel- crache son mécontentement. Mention spéciale pour les bruitages de rue qui ont le bon goût de ne pas se répéter en boucle évitant ainsi l’effet eXistenZ de Cronenberg. Au centre de cette révolution qu’il soutiendra, Connor Kenway, fils d’un Templier (que le joueur incarne brièvement en début de partie) et d’une Indienne Mohawk.
Cet ancêtre (de son vrai nom indien Ratonhnhaké:ton) que Desmond Miles incarne présente le profil idéal pour témoigner de cette époque mouvementée. Au-delà du clash induit par l’appartenance paternelle aux Templiers, ses origines maternelles sont l’occasion rêvée d’une petite incursion en culture amérindienne afin de tordre le cou à des idées reçues. Au détour d’un sentier dans la forêt entourant Boston, on entend ainsi toute la confusion de colons face aux Iroquois qu’ils prennent pour un peuple et non une confédération de tribus. Avant d’entrer dans le jeu, une rencontre cruciale passe par un phrasé à l’infinitif vite démenti tandis que l’architecture des huttes Mohawk étonne.
« Hugh » interdits
« Nous avons essayé de traiter les Américains natifs le plus sérieusement et honnêtement possible », précise Alex Hutchinson, creative director d’Assassin’s Creed III. « La plupart des shows télé américains et des films ne le font pas très bien. Notamment dans la manière de parler. On a donc engagé un vrai doubleur et un consultant. On voulait éviter les clichés, les tipis et les plumes. » Au-delà de cette portion spécifique mais unique pour un jeu vidéo, chacune des missions se calque en outre sur des faits amplement détaillés via des fiches explicatives non dénuées d’humour (potache).
Moment fort du jeu, la mission de la Boston Tea Party (2) où le joueur balance littéralement des caisses de thé à la mer tout en défendant ses complices une hache à la main. Les nombreux personnages historiques croisés comme Samuel Adams ou George Washington sont en outre brossés avec humanité, échappant ainsi à la momification propre aux livres d’Histoire. Et Benjamin Franklin de nous conter tout sourire l’avantage des vieilles femmes plutôt que des jeunes…
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Manette en mains, AC III ne change pas fondamentalement la recette des précédents épisodes pour ne pas froisser son public. Avec un budget de production estimé à 40 millions de dollars, le risque n’a de fait pas sa place. Parfaitement adapté aux origines indiennes de Connor, les deux axes principaux de son gameplay entre plateforme et combats (jouissifs à la machette) complètent une myriade d’autres activités disponibles.
On notera toutefois que si l’escalade de bâtiments est toujours aussi aisée, celle-ci se déporte également dans la Frontière au beau milieu des arbres pour des parcours d’accrobranche vertigineux dans des paysages spectaculaires encadrés de falaises grandioses. Boîtant parfois avec sa vision de fantasme adolescent et traversé de courses-poursuites de type Benny Hill, Assassin’s Creed III n’en reste pas moins fascinant. Sa capacité à mixer des cours d’Histoire hyper fidèles et des meurtres sanglants est unique. Un bon exemple pour les profs en manque d’inspiration.
Michi-Hiro Tamaï, à Montréal
(1) Contre des mesures budgétaires portant sur la scolarité et la « loi matraque » visant à réduire les droits à manifester.
(2) Moment clef et symbolique de la révolution américaine.
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