Alien, enfin une adaptation en jeu vidéo digne de ce nom

Alien: Isolation © Sega
Michi-Hiro Tamaï Journaliste multimédia

Habité d’un rétrofuturisme fascinant, Alien: Isolation rend hommage aux visions qu’avaient eues Ridley Scott et feu H.R. Giger sur le premier volet de la saga en 1979. Un jeu d’infiltration lent et intelligent qui réinterprète avec brio les codes du Huitième passager. Et, surtout, une première historique après 35 ans d’adaptations bâclées.

A bout de souffle, le coeur bastonne. Lâcher un soupir de soulagement sincère après avoir franchi un niveau crucial dans un jeu vidéo n’est pas commun. Plus de trois décennies auront été nécessaires pour qu’Alien ponde un rejeton ludique digne de l’effroi qu’avait suscité Le Huitième Passager à sa sortie en salles en 1979. Après une avalanche de jeux aux relents de séries B, Alien: Isolation remet les pendules à l’heure. Pas de gore facile. Ni même d’effluve de sang. Le survival horror moite, claustrophobe et parano explose simplement le trouillomètre en inversant la chaîne alimentaire habituelle du gaming. Le joueur y survit en proie traquée. Seul face à un prédateur fascinant d’intelligence, chaque mètre parcouru est une victoire.

« Ce projet trotte dans ma tête depuis dix ans. Mon point de départ tenait en une réaction simple: tous les jeux vidéo adaptés d’Alien calquent la vision orientée action qu’avait James Cameron sur le deuxième épisode de la saga », se souvient Alistair Hope, chef du projet chez Creative Assembly. « Je n’ai rien contre mais je préfère celle de Ridley Scott. » Un goût salutaire. Car par manque de moyens (dû au prix de la licence), d’Alien³ sur NES à Alien Trilogy sur PlayStation 1, la plupart des apparitions du prédateur noir ont été emballées dans des jeux de tir décérébrés. Du James Cameron mais sans le doigté. Dire qu’à travers l’Histoire les adaptations de films en jeux s’enlisent dans la médiocrité tient du lieu commun. Mais en inventant l’horreur SF et en influençant à divers niveaux trois décennies de films, Alien a acquis une aura à ce point culte que le vide abyssal le séparant de ses adaptations explose ce postulat.

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Lové peu de temps après Alien: le Huitième Passager, Alien: Isolation suit la trace d’Amanda, fille d’Ellen Ripley cherchant des traces de sa mère. Sevastopol, mégacité industrielle et orbitale abritant une boîte noire (1) qui pourrait lui apporter des réponses ne donne plus signe de vie. Dès les premiers pas à bord de la ville spatiale en décrépitude, la messe est dite. Le titre vu à la première personne oppresse le joueur et lui montre qu’il n’est pas dans un Call of Duty de consommation courante. Pas de flingue ou à peine. Le rythme est volontairement lent. Après un atterrissage catastrophe aux relents de Gravity, la première heure de jeu pose doucement son sinistre gameplay d’infiltration.

Last Night a DJ Saved My Game

On prend ses repères pour, par exemple, apprendre à ne pas se faire voir par des groupes de survivants humains affamés et animés d’une violence paranoïaque. Le piratage de terminaux influence l’environnement immédiat et crée, entre autres, des nappes de vapeur utiles pour passer inaperçu. On y cherche, au hasard de tiroirs et caisses croisés, des objets utiles à la fabrication de soins de fortune ou de grenades sonores qui détournent temporairement l’attention des adversaires.

« J’ai atterri dans les jeux vidéo un peu par hasard en répondant à une annonce dans un journal spécialisé. C’était les années 90. Je venais de terminer les Beaux-Arts à l’Université de New Castle. J’avais entre-temps pas mal vivoté sur la scène techno et house de Brighton en programmant des DJ’s comme Pete Heller et en m’autoproduisant. » A 40 ans, Alistair Hope n’aime pas retourner sur cette période infructueuse de sa vie. Mais son parcours clubbing lui a laissé l’amour du climax, de la montée jubilatoire de son public. Lentement, subtilement, l’architecture mille-feuille et labyrinthique de la ville spatiale à l’agonie laisse ainsi l’Alien entrer en scène.

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A priori planqués, les ressorts ludiques d’Alien: Isolation demandent à chaque mission de relier un point A à un point B via des corridors et des conduits d’aération en évitant de croiser le prédateur. Car chaque rencontre se solde par une mort inévitable. L’approche aurait pu vivoter comme un jeu d’infiltration classique. Mais en ex-DJ averti, Alistair utilise le son comme nul autre créateur de jeux. Au milieu des couinements et des chuchotements métalliques de Sevastopol, des bruits de pas étouffés sur des surfaces métalliques indiquent ainsi une proximité imminente de la bête. L’entendre cracher signifie une charge inéluctable, sans qu’on la voie forcément arriver. Inutile de courir. La mort est certaine.

« Dès les réunions préparatoires, j’ai expliqué aux équipes que le son du jeu occuperait la moitié de l’expérience. L’idée était d’emprunter la palette de bruits anxiogènes du film original, d’utiliser certains sons pour diriger les sentiments du joueur, pour créer des raccourcis immédiats entre son cerveau et le sentiment de peur », sourit Alistair. « Jouer sur les effets sonores permettait également d’élargir la vision du joueur à des choses invisibles à l’écran. » Pour évoquer l’omniprésence du tueur luisant sans le montrer, Creative Assembly glisse aussi un détecteur de mouvements dans les mains de la survivante.

Mieux qu’au cinéma

Allumer cet accessoire qui terrifiait Sigourney Weaver dans Aliens indique approximativement la position de la chimère de feu H.R. Giger. Pas de point GPS précis. L’accessoire émet des bips à l’emballement brillamment anxiogène via le haut-parleur de la manette de la PlayStation 4. Immersif, il est à double tranchant. Non content d’attirer le xénomorphe vers le joueur à force de borborygmes idiots, l’appareil floute également la vision périphérique du joueur. L’effet visuel n’est pas anodin. Car au-delà du son, reconnaître au loin un filet de bave suintant du plafond ou savoir faire la différence entre l’ombre de la pale d’un ventilateur et celle de la créature aide à la survie.

Coiffé d’une vision perçante et capable de feinter un départ lorsqu’on se cache pour mieux revenir, l’Alien est invariablement attiré par les moindres bruits du joueur. Ça tombe mal. Le jeu conseille de ne jamais rester immobile, de toujours avancer. Et bien entendu, en demandant de pirater des terminaux via des petits puzzle games bien sentis, Creative Assembly multiplie les actions chronophages exposant le joueur à la double mâchoire du bipède luisant. L’adrénaline remonte également lorsqu’on joue du fer à souder sur une porte bloquée. Les souvenirs d’Aliens de Cameron aussi.

Paradoxalement, les game over qui s’accumulent inévitablement donnent vie à la bête parfaitement animée et fluide. Car à chaque retry, le joueur le recroise dans une nouvelle situation. « Une centaine de personnes ont travaillé sur ce projet pendant quatre ans. Et quatre développeurs ont bossé à temps plein sur le design et l’intelligence artificielle de l’Alien. Son I.A. n’utilise pas de routines préétablies, elle est en quelque sorte indépendante. Pour chasser le joueur, elle traque par exemple le moindre bruit. C’est magique de voir les gens réagir en direct sur Twitch (2) à son comportement. »

Courir provoque trop de bruits. Le jeu du chat et de la souris, permanent, pousse donc à marcher accroupi pour éviter de faire résonner ses pas dans les couloirs tortueux et industriels du jeu. Problème: l’Alien en chasse avance plus vite. Marcher simplement est parfois la meilleure solution, bien que des baies vitrées et autres détours de couloir mettent alors le joueur à portée de vue du prédateur. Des placards permettent de se planquer, vite. Mais leur vacarme handicape. Du détecteur de mouvements à ces caches précaires, tout le talent de Creative Assembly tient dans son art de proposer des solutions qui n’en sont pas vraiment.

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« On n’a jamais pensé aux armes en priorité. Cette direction entre infiltration et discrétion m’a paru d’autant plus valable que nos travaux préparatoires allaient totalement dans ce sens. On démarrait en se demandant quelle serait notre réaction si Alien débarquait subitement dans les couloirs de nos bureaux, se souvient Alistair. La réponse commune était de se planquer sous une table. On a ensuite avancé dans le développement du jeu en ajoutant des postulats. Comme le meilleur moyen de rejoindre une porte de secours située 50 mètres plus loin. »

L’attention nécessaire aux bruits environnants, vitale pour réduire le nombre exponentiel de game over, tend les nerfs des gamers. Mais Creative Assembly en remet une couche avec des bouts d’orchestrations au stress prodigieux. Des violons grincent pile lorsque l’Alien passe à cinq centimètres du joueur. Mieux, ces événements sonores n’ont jamais l’air de répéter deux fois la même partition. L’immersion tourne à bloc et on a littéralement l’impression d’être plongé dans le Huitième Passager de Ridley Scott.

Linéaire et loin d’un GTA, l’expérience Alien: Isolation n’est pas exempte de défauts, à commencer par un ratage de la modélisation et du jeu de ses acteurs secondaires. Les ennemis annexes comme les humains et les synthétiques ne valent pas plus le détour côté gameplay. Traversé de longs allers-retours parfois plombants, le jeu s’essouffle en outre vers la fin. Certes, l’expérience globale reste emballante. Mais les développeurs semblent avoir tout donné sur les deux tiers du jeu, plantés au milieu de l’expérience. Après tout, eux aussi sont des humains et fatiguent.

  • ALIEN: ISOLATION, ÉDITÉ PAR SEGA ET DÉVELOPPÉ PAR THE CREATIVE ASSEMBLY, ÂGE 18+, DISPONIBLE SUR PC, PS3, PS4 (VERSION CHRONIQUÉE), XBOX ONE, XBOX 360.

(1) Du Nostromo, remorqueur où voyageait Ellen Ripley dans le premier épisode.

(2) Site web de streaming vidéo où les joueurs diffusent en direct leurs parties et surtout leurs réactions filmées via des webcams.

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