RENCONTRE AVEC LE CRÉATEUR DE TITEUF, QUI A RÉUSSI HAUT LA MAIN SON PASSAGE AU CINÉMA. UN ENTRETIEN ILLUSTRÉ EN EXCLUSIVITÉ PAR ZEP LUI-MÊME.

De passage à Bruxelles pour y présenter Titeuf le film, Zep n’a pas manqué de rendre visite à son collègue et ami Frédéric Jannin. Dans le petit monde de la bande dessinée, peu ou point de jeux d’ego comme en pratiquent si volontiers les grands et petits noms du cinéma. Son jeune héros a beau désormais s’exposer en 3D dans un film joliment réussi, Zep n’est pas prêt pour autant à prendre la grosse tête. Toujours aussi cool et affable, il a même accepté de réaliser en live quelques dessins originaux pour illustrer cette interview où il commente son film et le passage de Titeuf de la page à l’écran…

Faire un film est un travail de bien plus longue haleine que de créer un album de BD. Comment avez-vous abordé cette inscription très différente dans le temps, la durée?

Au départ, c’est un peu flippant. Car moi, je fais de courtes histoires, des gags. J’ai une idée, je la dessine. Puis j’ai une autre idée, et je la dessine. Et ainsi de suite. Je n’ai pas le temps de m’emmerder… Là, j’ai écrit une histoire, et puis on a mis 2 ans pour la réaliser. Au-delà même de l’idée de l’ennui, je me suis dit que j’aurais forcément envie de changer des détails, que j’aurais du mal à garder la même histoire durant 2 ans… Cela demandait donc que les choses soient bien boulonnées. Et que le travail ne porte plus directement sur l’histoire mais sur plein d’autres aspects: la mise en scène, le découpage, la rythmique, le son (le bruit des chaussures de Manu, ça ne passe pas en BD…), la musique (super importante, et l’occasion pour moi de me faire plaisir en invitant des chanteurs que j’aime) qui font que l’histoire ne reste pas figée, qu’elle continue à évoluer. La musique vient raconter des choses, les décors également. Sur le terrain, je ne me suis pas ennuyé du tout. Des surprises m’attendaient à chaque étape du processus. J’avais aussi souhaité qu’il y ait plusieurs univers dans le film, et je me disais que le cinéma me permettrait de les explorer plus profondément. Comme la chambre de Titeuf. J’ai vu qu’il y avait plein de trucs à y voir, à y faire, c’était une impression quasi fantastique. Au point que j’ai eu du mal à rester réaliste jusqu’au bout.

Le réalisme étant une marque de votre travail…

Oui, j’ai cette rigueur réaliste qui fait que, dans mes dessins, une voiture est une voiture, une maison est une maison. En petit sur la page, en plus grand sur l’écran. Je suis plus libre avec la couleur, qui peut créer l’émotion, avec des détails d’érosion, d’usure, des petites touches qui peuvent faire bouger le réalisme. Mais la base réaliste est restée. Je veux toujours que l’on puisse croire que le monde de Titeuf existe. C’est pas Bruxelles mais c’est une ville, une vraie ville. C’est pas Donaldville, quoi…

Le personnage a sa personnalité. Il devient un peu autonome, même si vous le dessinez. On ne lui fait pas faire n’importe quoi. Qu’avez-vous proposé à Titeuf pour qu’il ait envie de faire ce film?

Je lui ai dit qu’il aurait l’occasion de faire le comédien. Dans la bande dessinée, je joue énormément sur l’ellipse. La façon dont réagit Titeuf est une chose établie. Dans une case il hurle, dans la suivante il est effondré. Mais comment une colère s’éteint-elle chez Titeuf? Comment marche-t-il? Comment ouvre-t-il une porte? Tout cela, c’est du jeu, et on ne le fait pas dans la bande dessinée. On multiplie les ellipses, on ne dessine que les moments importants, pas le mouvement « entre ». C’est cela qu’on a dû travailler. Et de manière très décomposée car, sur une seconde d’animation, il y déjà plusieurs jours de travail… Mais là, le personnage de bande dessinée devient vraiment un comédien!

Avez-vous fait des essais?

Oui, au début on a fait des boucles pour voir comment Titeuf marche, comment il se gratte le nez. Avec des dessins explicatifs. Mais très vite, je me suis rendu compte que c’était insuffisant, qu’il fallait de nouvelles explications pour chaque plan. Car les animateurs qui vont travailler sur tel ou tel plan ne connaissent pas Titeuf. Il faut à chaque fois leur réexpliquer tout. Et plutôt que de leur rabâcher une grande théorie, il vaut mieux expliquer ce qui doit se passer dans le plan particulier. Et le faire très directement, car je suis le seul garant de qui est Titeuf… Je faisais à chaque fois une petite bande dessinée et des dessins explicatifs pour montrer comment il fermait les yeux, comment il mettait ses mains dans ses poches, etc. Pareil pour les autres personnages, qui bougent différemment.

Certains de ces personnages ont-ils été plus difficiles à faire « jouer »?

Aucun d’entre eux n’a été créé pour l’animation. En 2D, vous pouvez tricher tout le temps. Un personnage peut être très beau de profil et très beau de face, vous pouvez ne jamais le dessiner de trois-quarts. Les parents de Titeuf sont, par exemple, des personnages très difficiles à représenter de face. C’est la catastrophe de devoir les faire ainsi. Pas grave en BD, mais dans un film, il vous faut bien les montrer autrement que de profil! Et là, on est au-delà du jeu, il faut inventer un truc graphique spécialement pour ça. Quand vous travaillez avec un animateur, c’est relativement facile. Mais quand il y en a 120, c’est 120 fois plus compliqué car il faut tout réexpliquer à chaque fois… C’était assez casse-gueule. Car le dessin de Titeuf étant assez figé, tout changement même minime peut tout gâcher. C’est comme Tintin. Bougez son £il ne fut-ce que d’un micron, et ce n’est plus Tintin! Certains animateurs « sentaient » bien Titeuf, d’autres beaucoup moins. Ceux-là, il fallait les marquer à la culotte…

Pourquoi ce prologue préhistorique?

Parce que quand vous disposez de toute la machinerie du cinéma, d’une foule d’animateurs, vous n’allez pas juste leur faire dessiner la chambre de Titeuf et la cour d’école! Alors j’ai utilisé l’imaginaire de Titeuf pour qu’il y ait du grand spectacle, du Jurassic Park, du western, du gore!

Y a-t-il identification entre vous et le personnage?

Quand je dessine Titeuf, je suis Titeuf! Quand il est inquiet de quelque chose qui lui arrive, je suis inquiet moi-même. Ce lien au personnage, c’est ma part d’enfance. Je ne m’inspire pas à la lettre de mon enfance, car elle a été beaucoup plus calme que celle de Titeuf, et on était en 1970. Mais je suis bien dedans. Je ne dois pas me soucier des limites à respecter, puisque je sais instinctivement ce que je peux faire et ne pas faire. Ça a toujours été le moteur de ce travail avec Titeuf: j’ai le droit de tout faire. Je veux demander « C’est quoi un pédophile? », je peux, parce que je suis Titeuf…

Aborder tous les sujets, sans autocensure, est une des marques des aventures de Titeuf?

Oui, c’est très important. Et avec le droit d’être bête, de prendre ça comme un jeu. Pour moi, c’est une des règles de l’enfance: tout est autorisé, puisque tout est neuf, tout est à découvrir. Je ne me sens aucune responsabilité éducative ou pédagogique. Je n’apporte aucune réponse. Quand Titeuf pose des questions, ce sont des questions qui me touchent en tant qu’adulte, mais pour lesquelles, souvent, je n’ai pas de réponse. La prétendue omniscience des adultes est fausse. C’est bien, aussi, de dire qu’on ne sait pas. Et comme les parents -je le sais- lisent aussi Titeuf, cela ouvre avec leurs enfants des espaces de dialogue. Je n’ai aucune prétention à éduquer, mais induire cela, c’est déjà quelque chose…

RENCONTRE LOUIS DANVERS ILLUSTRATIONS ZEP

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