Vincent Macaigne: « Je préfère faire des choses avant de demander de l’argent pour les faire »

Frère et soeur bien nés, Pascal et Pauline reviennent sur les terres de leurs parents disparus pour une confrontation -tendre et cruelle à la fois- avec leurs amis d'enfance. © DR
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Avec Pour le réconfort, l’acteur-trublion Vincent Macaigne signe un premier long métrage féroce qui rejoue la lutte des classes dans un geste de cinéma -un vrai!- d’une absolue liberté.

À Cannes en mai dernier, le comédien-mascotte du « nouveau » cinéma français, vu notamment chez Guillaume Brac (Un monde sans femme, Tonnerre), Justine Triet (La Bataille de Solférino) et Antonin Peretjatko (La Fille du 14 juillet, La Loi de la jungle), était venu présenter en exclu, le temps d’une séance unique et très spéciale, un insaisissable objet faussement bricolé: Pour le réconfort (lire notre critique), premier long sous sa casquette de réalisateur, où, enfants prodigues, un frère et sa soeur, Pascal et Pauline, reviennent à Orléans sur les terres de leurs parents disparus. La suite est un petit crevage d’abcès entre amis, hyper acide et étrangement tendre à la fois, qui rejoue la lutte des classes dans un geste qui tient autant du brûlot politico-relationnel que d’une radicale déclaration d’intention formelle. Un ovni d’une liberté totale qui donne envie d’empoigner une caméra. Parce qu’avec Vincent Macaigne, le cinéma c’est la vie. Et la vie c’est du cinéma.

« L’idée c’était de filmer au caméscope les acteurs avec lesquels je travaille en tant que metteur en scène au théâtre, sans trop savoir si l’expérience déboucherait jamais sur un film, se souvenait-il alors, sourire en coin. Et de tourner quelque chose qui ne serait pas alourdi par le poids d’un scénario conventionnel et surtout par toute cette phase où vous courez après des producteurs. Je préfère faire des choses avant de demander de l’argent pour les faire. C’est une logique de théâtre, de laboratoire. On a tourné très vite, en dix jours, dans une toute petite maison qu’on m’a prêtée et qui n’est absolument pas le château qu’on voit dans les plans extérieurs du film (sourire) . J’avais écrit quelques monologues, on a essayé d’emboîter des choses… Après, j’ai regardé les rushes, j’ai essayé de les monter. J’ai passé énormément de temps sur cette matière, tout en pensant que bon, voilà, c’était super comme expérience, mais que j’allais faire un autre film et que celui-là j’allais pouvoir l’oublier. Mais en bossant, j’ai vu qu’il y avait une histoire qui était là, qui n’était pas n’importe quoi, qui était un acte de cinéma aussi et puis surtout qu’il y avait là-dedans quelque chose de très politique par rapport à notre situation en France aujourd’hui, que ça parlait de ça avec à la fois énormément de ludisme et de vérité, amenée par les acteurs. »

Guerrier mais cadré

La trame narrative du film, ténue mais bien présente, est née de La Cerisaie de Tchekhov, espace de rencontre matriciel entre Macaigne et ses comédiens dont ils finiront par beaucoup s’éloigner pour s’aventurer en territoire plus inédit, façon Chabrol déjanté et actuel. « Parfois, les acteurs tenaient eux-mêmes la perche pendant les scènes. Sans moyens, on n’avait guère le choix, mais surtout je trouvais ça beau qu’un de mes premiers actes de cinéma soit un petit acte. J’adore Jean Eustache pour ça (Les Mauvaises Fréquentations, La Maman et la Putain, NDLR), parce qu’il était complètement là-dedans mais qu’il faisait des objets tenus, précis. Je détesterais qu’on dise de Pour le réconfort que c’est un film « à l’arrache »: c’est un film guerrier dans le geste mais il est aussi très cadré. Je me suis pris la tête sur des tas de détails, vraiment. L’énergie, elle est dans le jeu des acteurs. J’aime l’idée d’un collectif. Comme chez Cassavetes. Je souhaitais faire un film d’action et de réflexion, qui donne la parole aux différentes couches sociales. Chacun dit ce qu’il pense. Et ce que chacun pense peut être petit et grand en même temps. Ils peuvent tous parler de choses vulgaires et essentielles. C’est très important pour moi. J’avais envie que ce soit haletant, comme si le public se retrouvait en réflexion face à lui-même. L’idée est de donner la parole, pas seulement d’enquiller les situations. Même si, au final, c’est un peu un anti-film. C’est-à-dire que les personnages arrivent avec un énorme problème, ils se parlent, ils ne solutionnent pas le problème et ils s’en vont. Cette non-réponse entre deux classes sociales, à l’échelle d’un pays, est gravissime: imaginons que les personnages qui s’engueulent dans le film soient des pays… Et c’est le cas en fait. Ils le sont. »

Pour le réconfort donne tellement la parole qu’il tend souvent vers une espèce de fascinant épuisement par les mots, mais le film fait aussi largement écho à un moyen métrage que Macaigne signait il y a de cela six ans, Ce qu’il restera de nous, où l’on trouvait déjà un attrait pour la mise en scène du conflit, de la confrontation, mais aussi pour cette question plus métaphysique des traces que nos existences pourront laisser. « Oui, c’est ça: qu’est-ce qu’on a fait? À quoi ont servi nos vies? Qu’est-ce qu’on laisse? Enfin bon, le cinéma en soi c’est quand même déjà ça. On est d’emblée dans l’idée d’une mémoire. L’humanité est travaillée par ça: qu’est-ce qu’elle va transformer? Pas d’une manière mégalomane hein, mais d’une manière presque poétique. Si Pour le réconfort est parfois cruel, j’essaie de défendre tous les personnages. Je ne choisis pas une place, je ne fais pas de morale. À travers le film, j’ai tenté de traduire mon état d’hébétude par rapport à la politique, par exemple. Je ne comprends plus où on en est. »

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