With Miles

Philippe Elhem
Philippe Elhem Journaliste jazz

FREEDOM JAZZ DANCE EXPLORE LES COULISSES DE MILES SMILES, SOMMET DISCOGRAPHIQUE DU SECOND GREAT QUINTET DU TROMPETTISTE.

Miles Davis Quintet

« Freedom Jazz Dance »

COLUMBIA/LEGACY 357372 (SONY MUSIC).

8

Alors qu’il vient d’offrir au jazz (et à la musique tout court) l’un de ses plus grands chefs-d’oeuvre avec Kind of Blue, Miles Davis va connaître une traversée du désert artistique (toute relative, sa popularité ne cessant de croître) qui durera presque une demi-décennie. En cause, la défection de John Coltrane, parti vers sa courte mais fabuleuse destinée et l’impossibilité pour le trompettiste de lui trouver un remplaçant approchant, même de loin, son talent. Des artificiers bop, post-bop et free-bop comme Sonny Stitt, Hank Mobley, George Coleman (celui dont le séjour avec Miles sera le plus long), Joe Henderson ou Sam Rivers transiteront par le quintette sans répondre à l’attente de son leader mais aussi d’une rythmique qui, entièrement renouvelée (Herbie Hancock, piano, Ron Carter, contrebasse, Anthony Williams, batterie), accuse en moyenne une quinzaine d’années de moins que son leader -le batteur n’étant pour sa part qu’un adolescent de 17 ans quand il a rejoint la formation en 1963.

Rupture

La solution finira par arriver en la personne de Wayne Shorter, alors membre des Jazz Messengers d’Art Blakey et que Trane (ô ironie) avait, en 1960, conseillé à Miles de prendre pour lui succéder, proposition à laquelle le trompettiste n’avait pas donné suite. A partir de 1964, bien aidé par le pianiste et, surtout, le batteur, le nouveau venu (qui, à 33 ans, est plus âgé que ses partenaires, Ron Carter excepté) va non seulement entraîner Miles sur des chemins nettement plus aventureux que prévu, mais il va aussi renouveler le répertoire du quintette de fond en comble en lui offrant quelques-unes de ses plus belles compositions. Un disque bien précis marque, en 1966, cette rupture. Transcendé par des titres tels Dolores, Orbits et Footprints (auxquels il faut ajouter Circle, signé par le maître, ainsi que deux formidables standards, Freedom Jazz Dance et Gingerbread Boy), le trompettiste délivre avec Miles Smiles un éclatant chef-d’oeuvre au terme duquel il va céder (un temps) sur scène les rênes du groupe au triumvirat formé de Shorter/ Hancock/ Williams, lesquels mèneront la formation de l’ancien partenaire de Charlie Parker aux frontières du free jazz.

C’est l’histoire de cet album (mais pas seulement) que nous conte ce nouveau Bootleg contenant trois CD et un passionnant livret éclairant les sessions des 24 et 25 octobre 1966 mais aussi celles des 17 mai (Masqualero), 7 juin (Water Babies, Nefertiti), 9 juillet 1967 (Fall) et 15 mai 1968 (Country Son, seconde composition de Miles enregistrée durant ces séances étalées sur 17 mois et 3 années), titres qui apparaîtront sur Nefertiti (1968) et, près d’une décennie plus tard, Water Babies (1976). A travers les sessions reels contenant conversations, monologues, rires et silences entre Miles et Teo Macero (son précieux producteur), entre Miles et ses musiciens, le tout entrecoupé de faux départs et de versions avortées, nous suivons la lente (ou non) mise en place aboutissant aux masters que nous connaissons. Nous sommes amenés, ainsi, à pénétrer dans l’alchimie qui a présidé à l’élaboration de chaque morceau, même si cette page de l’histoire du jazz n’intéressera sans doute que les die-hard fans du maître et de ses formidables complices.

PHILIPPE ELHEM

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