LE CINÉASTE ALLEMAND RETRACE POUR NOUS LA PEU BANALE GENÈSE DE PINA, SON MERVEILLEUX HOMMAGE À PINA BAUSCH ET UN DE SES TOUT MEILLEURS FILMS

C’était un beau mardi de février. Une douce lumière baignait les fenêtres de l’hôtel berlinois Adlon (celui dont une suite explose dans Un-known…) et Wim Wenders nous entretenait de son nouveau et très beau film Pina. Le réalisateur de Paris, Texas et des Ailes du désir, d’ Alice dans les villes et d’ Au fil du temps revient au premier plan avec ce documentaire sur la grande chorégraphe disparue. Un film où la 3D trouve un nouveau sens, et qui ne serait jamais né sans les progrès technologiques mis en £uvre par le cinéaste allemand…

L’émotion éprouvée à voir votre film ne peut être que le reflet de votre propre émotion à le faire. Pina est clairement un « labour of love », un acte d’amour…

Pour moi, ce sont 25 années d’émotion qui se retrouvent dans ce film. Ce fut une longue aventure. Et une aventure compliquée. Au départ, il y eut mon enthousiasme pour le travail de Pina et mon envie de le filmer. Puis son propre intérêt à elle, venu petit à petit mais prenant soudainement une dimension d’urgence (car ses pièces n’existaient qu’en étant jouées, dansées). Un sentiment auquel j’ai répondu en lâchant tout le reste, mais sans être certain de pouvoir rencontrer les attentes de Pina. Certaines de ses pièces avaient été filmées, mais elle n’en était pas contente. Je les ai regardées, et j’ai dû lui avouer que je pouvais faire un peu mieux, mais pas assez… Faute d’avoir à ma disposition les outils indispensables. L’art de Pina possède une dimension magique. Toute personne ayant vu une de ses pièces sur scène l’a ressentie. C’était dans votre corps, dans votre conscience. Vous vous sentiez concerné comme vous ne l’aviez jamais été par une représentation théâtrale, une chorégraphie ou un film. Tout votre être était en jeu, c’était extraordinairement physique. Spécialement ce qui pouvait se passer entre hommes et femmes sur cette scène. Tellement immédiat! Tellement émotionnel! Au point qu’il n’y avait aucun moyen de s’en échapper. Tout cela, ma caméra ne pouvait pas le capter, encore moins le restituer… J’ai dû le dire à Pina. Lui dire que je voulais le faire, mais que je ne pouvais pas.

Que s’est-il passé alors?

Longtemps, il ne s’est rien passé. Pina me demandait régulièrement quand nous allions faire ce film, et je devais hausser les épaules en lui disant que je ne le savais pas encore… Il fallait que nous puissions toucher au c£ur, que nous puissions entrer dans l’espace de la scène. J’étais comme devant un mur, que je ne pouvais traverser pour pénétrer le mystère, pour entrer, littéralement, dans la danse. Pour autant, je ne pouvais pas clairement formuler ce qu’il fallait faire. Je le ressentais, mais je ne pouvais l’exprimer précisément. Finalement, la solution est venue d’où je ne l’attendais certainement pas. De la technologie. Par un bel après-midi ensoleillé, à Cannes, Thierry Frémont avait invité U2 à se produire sur les marches du Palais des Festivals, en introduction à la projection de leur film U2 3D. Je me suis assis dans la salle, j’ai mis les lunettes, la lumière s’est éteinte. Et dès le premier plan, j’ai su. J’ai su que c’était cela qu’il me fallait pour entrer dans l’empire des danseurs de Pina… J’aime la musique de U2, mais je l’ai à peine entendue car durant tout le film je pensais qu’il suffirait que cette 3D soit un peu meilleure (l’image tremblait un peu, les musiciens avaient parfois l’air d’être des figures découpées, le mouvement paraissait parfois haché) pour rendre le film avec Pina possible! Je l’ai appelée directement après la fin de la projection, de la salle même, pour lui dire que désormais, je savais le comment, à défaut de savoir le quand…

Vous avez donc envisagé des essais?

Presque immédiatement, oui. Mais j’ai vite réalisé que les erreurs remarquées dans U2 3D étaient inhérentes à la technologie. Celle-ci avait ouvert l’espace, mais le mouvement restait un gros problème. Les premiers tests que j’ai faits étaient carrément horribles! Je me suis bien gardé de les montrer à Pina… J’ai expliqué aux chercheurs 3D ce que je souhaitais: une 3D naturelle, qui ne soit pas une attraction en soi mais un fluide relais du regard, qui puisse se fondre et disparaître, au point que le spectateur oublie qu’il est devant un film en 3D. Ni le matériel ni les softwares d’alors ne le permettaient. Nous n’en avions pas moins prévu, les progrès venant petit à petit, de commencer à tourner avec la troupe de Pina, à Wuppertal, en juillet 2009. J’avais prévu un écran géant pour qu’elle puisse suivre en direct le résultat de ce que nous filmions. Et puis, 2 jours avant de commencer, nous avons reçu un appel téléphonique de son assistante, nous avertissant que l’inimaginable venait de se produire… Que Pina était morte…

Qu’avez-vous fait alors?

J’ai appelé tous les partenaires dans la production du film, et je leur ai dit que j’annulais tout. Il n’y aurait pas de film. Jamais. Quelques semaines plus tard, les danseurs m’ont recontacté pour me dire que j’avais pris la mauvaise décision, qu’ils allaient commencer à répéter les pièces à filmer, et que ce ne serait pas juste de ma part de ne pas les rejoindre et faire mon travail. Ils m’ont rappelé la devise de Pina:  » Nous sommes perdus si nous ne dansons pas. » Ils avaient dansé le soir même de sa mort, en larmes, à Cracovie. Je ne pouvais que leur donner raison. Il fallait que je tourne… Et j’ai tout repris à zéro, sans l’ombre d’un concept puisque le concept initial impliquait sa présence devant la caméra. Tous les producteurs partenaires ont accepté, malgré cette incertitude. Nous avions les 4 pièces à filmer (en entier), décidées par Pina, et le grand vide laissé par sa mort à remplir…

Mais la technologie 3D avait-elle assez progressé?

Oui, nous touchions au but. Et puis Avatar est sorti, et s’est avéré être un chef-d’£uvre absolu, établissant pour la 3D des standards extraordinairement élevés tout en en faisant un usage extraordinairement créatif et… en attirant un immense public. Je me suis dit à ce moment qu’un marché existait, même pour quelque chose d’intensément artistique. Et cela m’a énormément conforté de voir que Cameron avait été confronté aux mêmes problèmes avec le mouvement (celui des humains n’égale pas la fluidité de celui des créatures extraterrestres…). Des problèmes qu’il avait résolus par la force d’une histoire solide et en pratiquant un montage rapide. Je n’avais ni l’un ni l’autre pour Pina… Il a fallu trouver des solutions techniques, et nous y sommes heureusement arrivés!

Pina Bausch conserve-t-elle son mystère, par-delà le film?

Pina était une personne mystérieuse. Timide et mystérieuse. Elle n’aimait pas parler d’elle-même. Elle était très chaleureuse, très ouverte. Nous riions souvent, tous les 2. Et ses répétitions avec la troupe se faisaient dans la bonne humeur, la douceur. Mais vis-à-vis du monde extérieur, Pina restait très réservée, même secrète. Le film que nous aurions fait si elle n’était pas morte si soudainement n’aurait pas été une biographie. Il n’aurait rien expliqué. Je lui avais solennellement promis de ne pas lui faire analyser son propre travail. A chaque fois qu’un journaliste lui demandait d’expliquer une de ses pièces ou même un détail d’une de ses pièces, elle faisait une pause, allumait une cigarette, commençait une phrase et s’interrompait très vite… pour ne jamais finir sa phrase. Elle avait la sensation de trahir quelque chose, et préférait s’abstenir. Nous avons voulu, en son absence, respecter ce sentiment qu’elle avait. Pina n’explique rien de son £uvre, et ne nous apprend rien sur sa vie. Il offre à voir, à ressentir surtout, et à vivre. l

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