Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

MASON HANTÉ. CINQ ANS APRÈS AVOIR QUASI DISPARU DE LA CIRCULATION, L’AMÉRICAIN WILLY MASON REVIENT AVEC CARRY ON, DISQUE FOLK AU VOILE SONORE SUBTIL ET AU SPLEEN PUDIQUE.

« CARRY ON »

DISTRIBUÉ PAR UNIVERSAL.

Les fins d’année ont parfois du bon. Comme, par exemple, profiter du ralentissement général pour ressortir un disque au profil trop réservé pour se faire remarquer dans le brouhaha habituel. Le nouvel album de l’Américain Willy Mason est un peu de ceux-là. Pas vraiment spectaculaire, mais qui possède son propre charme, diffus, disque de folk à la production pastel travaillée, piquée de discrets motifs électroniques.

C’est le troisième album du bonhomme. Autant dire qu’on a à peine vu passer les deux premiers. Circonstance atténuante: If The Ocean Gets Rough date déjà de 2007. Cinq ans ont donc passé, sans que Mason ne donne de nouvelles. Fils de deux chanteurs folk, Jemima James et Michael Mason, Willy avait pourtant trouvé rapidement une première audience, se dégotant une série de premières parties prestigieuses (Radiohead, Bright Eyes, Norah Jones, Damien Rice…). Mais ce n’est pas parce qu’on fait de la musique qu’on se retrouve forcément à l’aise avec tout ce qui tourne autour. Pas prêt pour le rock’n’roll circus, Mason est donc rentré chez lui, du côté de Martha’s Vineyard, île au large de Cape Cod, sur la côte Est. Dans le magazine Mojo, on apprend qu’il y a notamment été animateur sur une petite radio locale, donnant les dernières nouvelles du coin sur l’état des récoltes ou les bons plans pêche du moment…

Exil intérieur

A 28 ans, Willy Mason s’est toutefois décidé à remettre le nez à la fenêtre. En 2011, il était déjà réapparu, à la faveur du mini-tube No Room For Doubt, duo aérien avec Lianne La Havas, ou encore sur le Hawk de Isobel Campbell et Mark Lanegan. Le mois dernier, il sortait enfin son propre album. Après autant de temps, le scénario semblait couler de source: de retour d’exil volontaire, ressourcé par les bienfaits de la vie simple à la campagne (…), Willy Mason allait forcément mettre ses tripes sur la table, jouer la nudité folk. Carry On est très loin de tout ça.

Il y a d’abord le chant de Mason. Une manière souvent nonchalante de pousser les mots, que l’on prendra volontiers pour une forme de pudeur, de sensibilité d’autant plus touchante qu’elle est retenue. Produit avec l’aide de Dan Cairn, vu chez Hot Chip et MIA -très loin donc de l’univers folk de Mason-, l’album est aussi parsemé de petites touches électroniques subtiles (Painted Glass). De quoi tirer le disque d’un éventuel cliché folk naturaliste, sans pour autant que les « additifs » ne paraissent déplacés. Sur un titre comme Talk Me Down, les percussions claudiquent comme sur un Tom Waits, période Bone Machine. Même principe sur Restless Fugitive, escapade zen de six minutes qui prend presque des contours trip hop. C’est aussi l’une des clés du disque, avec le titre suivant, Show Me The Way To Go Home, unique morceau de l’album en guitare-voix. Là, après le vagabondage et le retour à la maison, il évoque un autre genre de voyage et de quête, visiblement pas plus simple. Comme une sorte d’exil intérieur: « My mind is a nation, with all of these divisions. » Le genre de déchirements qui nourrissent subtilement mais durablement un disque comme Carry On

LAURENT HOEBRECHTS

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