Will Samson

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Après une vie d’errance entre Angleterre, Australie et Portugal, ce jeune Britannique installé à Bruxelles sort Welcome Oxygen, splendide album automnal.

Il donne rendez-vous près du bois de la Cambre, avec l’idée d’aller parler au coeur de la forêt. Mais la météo belge du 11 septembre en décide autrement: même pour un citoyen anglais, la verdure est aujourd’hui trop humide. Repli dans un café de La Bascule à l’heure de l’après-midi lymphatique: le jeune homme de 28 ans, mince, barbu, réservé, commande un thé. Avec ce truc que lui-même définit comme une caractéristique nationale, « la retenue émotionnelle de l’homme britannique ». Il a entre autres grandi à Henley-on-Thames, bourgade pastorale de l’Oxfordshire où habita George Harrison, Beatles fameux pour son triple album solo où il posait en roi des nains de jardin. « C’était pas loin de chez moi, une propriété derrière un long mur rouge, je crois bien qu’elle appartient toujours à sa famille. »

Bizarrerie des synchros accidentelles: le matin même de l’interview, on reçoit un mail annonçant la sortie d’un disque de Dhani Harrison -fils de George- et crac, on se retrouve devant un type qui lui ressemble étrangement, y compris la dentition britishissime. Mais pas ses musiques, qui racontent d’autres histoires, davantage incarnées dans des chansons amniotiques traquant l’intimité. Particulièrement sur le quatrième album d’une discographie éparse (lire la critique page 37). « Disons que Welcome Oxygen est un dialogue avec trois personnages: mon père, mort en 2011 d’un cancer des poumons, il avait 53 ans, une ex-girlfriend et moi-même. Tout en sachant que l’album ne serait pas né sans les circonstances particulières de mon séjour à Lisbonne au printemps 2016. » La cité portugaise n’est alors qu’une étape supplémentaire d’un périple en ligne de fuite, lorsque que Will, né en décembre 1988, commence à souffrir de symptômes peu usuels. « Je pensais avoir un virus qui traînait en ville (…) et puis je me suis évanoui dans la salle de bain, m’écrasant littéralement le visage au sol, m’ouvrant profondément la gencive supérieure. » Il a l’énergie d’appeler les secours mais ceux-ci ne parviennent pas à le sortir d’une série de syncopes successives. « Même après une batterie de tests à l’hôpital, les médecins ont été incapables de me dire de quoi je souffrais exactement. Je n’ai pas pu chanter pendant un mois. »

John Martyn

Dix-huit mois plus tard, Will -qui ne consomme ni drogues ni alcool- n’a trouvé qu’une seule clé à l’épisode maladif: l’impulsion qui lui a fait enregistrer la quasi-entièreté d’un album en une dizaine de jours alors que son biorythme est généralement lentissime. « J’ai voulu partir du Portugal avec un disque »,explique le natif d’Oxford, ville précieuse qu’il a vécu, là encore, versant campagne. « Mes parents étaient typiquement de la classe moyenne anglaise, avec une tendance à la bougeotte: j’avais à peine quelques semaines qu’on est partis habiter à Perth, en Australie. » Gamin, la bande-son musicale familiale est essentiellement paternelle et se concentre sur John Martyn, folkeux névrotique aux excès shakespeariens. « J’ai mis longtemps à vraiment l’écouter parce qu’au départ, c’était la musique associée au père, donc rejetée par l’adolescent que j’étais. J’y suis retourné bien plus tard, comprenant les enjeux de Martyn comme ceux de Nick Drake. »

Le teenage Will se met obsessionnellement à la batterie, qu’il quittera pour la guitare, plus appropriée aux déménagements successifs, sans gommer l’apprentissage de la synchronicité rythmique: « Sans la batterie, je serais sans doute incapable de coordonner ce dont je joue aujourd’hui sur scène: outre le chant bien sûr et la guitare, un pied guidant les synthés basses, l’autre les pédales d’effets. » Il y a de l’indice virtuose chez Samson et, sans vouloir jouer le Freud amateur, l’incertitude d’une bohème perpétuelle l’ayant mené à résider à Bristol, Brighton, Londres et Berlin. « Je suis parti de la capitale allemande peut-être parce que tous les gens que j’y rencontrais dans les soirées étaient, d’une manière ou l’autre, liés au monde de la musique. » Toujours le besoin d’espace non-balisé.

Bruxelles n’arrive pas complètement par hasard dans le parcours: « La ville est à la fois au coeur de l’Europe donc proche de la France, des Pays-Bas ou de l’Allemagne, ce qui est plus économique en termes de tournées continentales, mais aussi immédiate d’accès vers l’Angleterre où je retourne voir ma famille. » Will y partage un appartement deux chambres avec une Française -rencontrée pour raisons purement locatives- et tente d’exister dans les mailles de la Belgique administrative. Il ne faut pas longtemps pour que la conversation glisse sur la strangulation du marché musical: « J’ai plus de 100 000 visites par mois sur Spotify et ça me rapporte… quelques cents! » Pas qu’à domicile, la situation soit meilleure: « En Grande-Bretagne,le cachet de concert est le plus souvent à peine la moitié de ce qu’il est en Belgique ou en France. De plus, à Londres et dans tout le sud de l’Angleterre, la vie est tellement chère qu’il semble par exemple impossible d’envisager d’acheter un jour ne fût-ce qu’un petit appartement. Malgré le passé prestigieux du rock anglais, la culture n’est absolument pas aidée par l’État. »

C’est là que le presque trentenaire rejoint les légions ordinaires des gens de son âge, nonobstant un talent musical manifeste, partie prenante d’une génération annoncée comme plus pauvre et socialement fragilisée que celle des parents. Peu importe donc la richesse des chansons, le tiroir-caisse s’annonce peu rempli: « À tel point que je pense prendre un job l’année prochaine… sans doute dans le jardinage. » Symptôme d’une dure réalité qui frôle l’absurde vu le déploiement généreux de Welcome Oxygen, disque ancré dans les racines de Will, où l’on retrouve des ancêtres chiliens et indiens. Cette dernière couleur identitaire rejoignant, autre hasard, celles de George Harrison et de ses fantaisies Hare Krishna.

Le 28/09 à l’Atelier 210.

Rencontre Philippe Cornet

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