KEN LOACH RENOUE AVEC LA COMÉDIE SOCIALE AVEC THE ANGELS’ SHARE, RÉCIT SAVOUREUX DE LA CURIEUSE ÉQUIPÉE DE JEUNES DÉLINQUANTS DE GLASGOW INITIÉS À L’ART DU WHISKY.

Entre Ken Loach et Paul Laverty, c’est une affaire qui roule, comme l’on dit. Depuis 1996 et Carla’s Song, le second est le scénariste attitré du premier. Ce qui, l’air de rien, fait de The Angels’ Share leur dixième long métrage en commun -parmi lesquels diverses pépites, comme My Name is Joe, Sweet Sixteen ou encore The Wind that Shakes the Barley, le film ayant valu la Palme d’or au réalisateur britannique. Lorsqu’on les retrouve sur l’une des plages bordant la Croisette, c’est d’ailleurs leur complicité qui frappe d’emblée; celle qui, par exemple, permet à Loach, interrogé sur ses goûts en matière de whisky, de répondre, dans un grand rire auquel son comparse fera bientôt écho: « J’apprécie l’arôme, mais je ne bois guère d’alcool. Paul le fait en mon nom. »

Si l’on en est à parler pur malt avec le duo, ce n’est pas suite à un caprice éthylique, mais bien parce qu’il est énormément question de whisky dans The Angels’ Share -cette part des anges n’étant autre que la quantité infime de la précieuse boisson qui s’évapore, « échappant aussi bien à la distillerie qu’au percepteur, avec la part de magie que cela suppose », rigole Laverty. « Ken et moi avons souvent de longues conversations autour d’histoires possibles, poursuit-il. Le whisky nous a semblé intéressant, parce qu’il y avait là de quoi bâtir un scénario à multiples niveaux. C’est la boisson nationale (le film se déroule en Ecosse, ndlr) , pour laquelle on fait de la publicité et qui véhicule divers stéréotypes, mais il se trouve aussi que de nombreux jeunes n’en ont jamais goûté, et ne se sont même jamais rendus dans la région où il est distillé. C’est aussi un moyen de projeter son bien-être et son influence, alors qu’on considère que ces jeunes ne sont pas assez sophistiqués pour pouvoir l’apprécier. Il y avait donc beaucoup de niveaux, de contradictions et d’ambiguïtés, ce qui nous plaisait à tous les deux. »

Génération perdue

The Angels’ Share met en scène un petit groupe de jeunes délinquants de Glasgow ayant écopé de travaux d’intérêt général, et qu’un éducateur inspiré va initier au précieux breuvage. De dégustations huppées en visite de distilleries, l’un d’eux, Robbie, va se découvrir d’étonnantes dispositions pour l’art du whisky. Un don qui va amener le film en terrain inattendu, Loach renouant pour sa part avec la comédie sociale. S’il fallait trouver un pendant à ce nouvel opus dans sa filmographie, on pencherait assurément pour Looking for Eric, avec lequel il partage une morale pour temps de crise que n’aurait sans doute pas réprouvée un Robin Hood. « Ces jeunes n’ont pas de perspective de travail, et encore moins celle d’un boulot stable qu’ils pourront garder, ils n’auront pas de maison où se sentir en sécurité, pas d’accès aux soins de santé, ni de pension. Il s’agit, à bien des égards, d’une génération perdue, observe Ken Loach. Mais si on les considère individuellement, ils ont du potentiel, de l’imagination, et la capacité de mener leurs idées à bien. Nous avons voulu raconter une histoire qui illustre cela et qui montre combien avoir un boulot, avec tout ce qui va avec, est primordial pour vivre dans la dignité. Même si la méthode adoptée n’est pas la panacée… »

De fait. Au passage, celle-ci n’est pas sans rappeler quelques-unes des plus fameuses Ealing Comedies du tournant des années 40 et 50, façon Whisky Galore! ( Whisky à gogo!) d’Alexander Mackendrick ou The Lavender Hill Mob de Charles Crichton. Au jeu des références Loach et Laverty préfèrent toutefois la vérité de l’histoire: « Nous nous en sommes tenus au sujet qui nous préoccupait », précise le réalisateur. Sur quoi le scénariste renchérit: « Le tout, c’est d’être honnête avec les personnages dans le monde que l’on a créé. Les parallèles éventuels ne sont que coïncidences. » Voire: il en est un, en effet, qu’induit leur collaboration. « Se replonger dans le passé peut se révéler intéressant, poursuit Laverty. Je n’y avais pas du tout pensé au moment d’écrire le scénario, mais j’ai revu Le voleur de bicyclette juste avant de partir pour Cannes. Le ton est fort différent, c’est une tragédie, mais au c£ur du film, on trouve un homme qui cherche désespérément à trouver un travail, synonyme de dignité. Vittorio De Sica et son scénariste, Cesare Zavattini, ont adapté le roman de Luigi Bartolini et en ont tiré un film magnifique. » Autres temps, mêmes effets: entre De Sica et Zavattini, les apôtres du néo-réalisme, et Loach et Laverty, la correspondance n’est cette fois nullement fortuite…

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À CANNES

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