Western moderne

© FRANK LORIOU

Têtu mais pas borné, Jean-Louis Murat continue d’alimenter ses récentes obsessions synthétiques, tout en retournant aux mélodies. Rusé comme un sioux.

On pardonnera aisément à ceux qui ont lâché prise. C’est qu’il n’est pas toujours simple de suivre Jean-Louis Murat, ses humeurs, ses amours, ses emmerdes. Entre coups d’éclat et brusques changements de direction, le chanteur a toujours pris un malin plaisir à brouiller les pistes. D’où une discographie, inaugurée il y a plus de 30 ans, qui se révèle aussi foisonnante que chahutée. Il y a quelques années, il déclarait ainsi dans ces mêmes colonnes: « Moi, chanteur populaire? Vous avez bien remarqué que je fais tout pour ne pas l’être. » En effet. Dandy contrarié, l’Auvergnat est un artiste contrariant.

Cela n’avait sans doute jamais été autant le cas que sur Travaux sur la N89. Sorti l’an dernier, le disque tenait de l’itinéraire bis. Ou plutôt du chantier à ciel ouvert. Un exercice de déconstruction dans lequel Murat passait ses chansons au tamis d’une electronica biscornue et mal fagotée. La manoeuvre était saisissante. Mais aussi déstabilisante. Avec au bout du compte, l’impression que l’audace, aussi fascinante soit-elle, menait à une impasse. Une coquetterie.

Jeu de piste

Un an plus tard, Jean-Louis Murat n’a pas délaissé les machines: synthés, boîtes à rythmes et sequencers sont toujours bel et bien là. Sur Il Francese, il repense cependant à les encadrer davantage. Un « retour aux chansons », qui n’est pas pour autant une reddition: identifiable en quelques secondes, Murat continue malgré tout de vouloir pousser les meubles.

Ses paysages naturels, ses obsessions animalières, sa poésie tourbeuse: tous les éléments habituels de la partition Murat sont bien présents. Mais avec un sens du décalage et de l’artifice inédit. Où son goût pour le surréalisme devient aussi toujours plus cryptique. « Ma Milanaise aime trop le plaisir/Alors Kozak pas russe viendra l’accueillir/J’en sais rien », croit-on comprendre sur Achtung, premier morceau de l’album (un clin d’oeil au Achtung Baby, l’album « berlinois » de U2?). Plus loin, le jeu de piste se poursuit: au milieu de Gazoline surgit un larsen de guitare, enchaîné à un sample de fanfare militaire, tout cela avant de reprendre le fil du groove, comme si de rien n’était. Ailleurs, Murat s’amuse encore à glisser du vocoder ( Ciné Vox) ou suggère le supplice de la goutte (le western entre Meurthe et Moselle de Sweet Lorraine). Vous êtes toujours là?

Western moderne

En duo avec Morgane Imbeaud, Hold-up est plus limpide. C’est le single de l’album, dont le clip a été présenté comme un « appel à la vigilance sur le retour de l’ordre moral dans les relations de séduction ». La réponse de Murat à #metoo? Peut-être, si ce n’est que derrière, il enchaîne avec Marguerite de Valois, figure historique, féministe avant la lettre, qui fut figée sous les traits de la Reine Margot. On ne coincera pas l’animal si facilement…

C’est d’ailleurs bien la ligne de conduite de Murat. L’auteur de Cheyenne Autumn joue à l’Indien. Un Apache qui a pris le maquis, dans un paysage français où il a toujours détonné. Pour cela, on lui accorde certainement trop de crédit, on veut bien l’admettre. Mais à l’instar de Il Francese, imparfait, voire bancal, ce serait un luxe que de passer tout à fait à côté.

Jean-Louis Murat

« Il Francese »

Distribué par Pias. En concert le 12/12 au Reflektor (Liège), et le 13/12 au Botanique (Bruxelles).

7

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