West Side Stories

Les motifs typographiques ont remplacé le tatouage facial, spectaculaire mais pas malin, chez les "cholos" des gangs latino-américains. © AFP / oscar Rivera

Les gangs latino-américains -MS-13 en tête- ont quitté les rues de L.A. pour envahir toutes les cultures urbaines. La littérature noire n’est pas en reste, qu’elle tienne de la fiction déjantée ou du documentaire à couper le souffle.

Le Salvadorien Miguel Angel Tobar, alias « El Niño de Hollywood », avait 31 ans quand il a été assassiné de plusieurs balles, en 2014, mais seulement 12 quand la Mara Salvatrucha (MS -13) l’a recruté et lui a commandité son premier meurtre -un boulanger, dont il n’a jamais rien su. Le pistolet qu’il avait reçu s’est enrayé, il a donc fini le travail à la machette, décapité l’inconnu, et gravé sur sa chair morte  » La Bête vient d’accoucher d’un autre fils« . Une ratonnade collective de 13 secondes chrono plus tard, rite d’entrée obligatoire dans la Mara, et le petit Miguel devenait « El Payaso », Le Clown, membre des Hollywood Locos Salvatrucha, faction de la MS-13 à San Lorenzo, et bientôt son tueur attitré, son sicario, qui lui vaudra son surnom d’El Niño de Hollywood -rien à voir donc avec le quartier de L.A, même si la Cité des Anges et la Californie sont inscrites profondément dans l’Histoire de la MS et de la plupart des gangs latino-américains. Un sicario devenu traître et témoin « protégé » par la police salvadorienne, qui aura tenu jusqu’au bout le compte très précis de ses assassinats.  » J’en ai descendu 56. Six femmes et cinquante hommes« . Mais avant d’y passer, El Niño a pendant des années rencontré Oscar et Juan José Martínez, deux frères, l’un journaliste, l’autre anthropologue, qui l’ont fait passer à la postérité -livre-événement dès sa sortie anglophone il y a deux ans, leur El Niño de Hollywood est désormais bientôt déconfiné et favori du prochain Prix du Livre du Réel décerné à Paris.  » Nous avons rencontré Miguel Angel presque par hasard, sans l’avoir prévu, durant une enquête sur des chefs de gangs et leurs cliques, explique ainsi Oscar Martínez. Nous avons parlé des heures. Il nous a raconté sa vie, depuis ses plus lointains souvenirs. Depuis qu’il était un enfant effrayé qui essayait de tuer des adultes. Avec le temps, nous avons compris que la vie de Miguel Angel dépassait largement l’histoire brutale d’un pandillero, un membre de gang. « Mais pourquoi voulez-vous raconter mon histoire? », nous avait-il demandé plusieurs années après notre rencontre. « Parce que malheureusement, nous croyons que ton histoire est plus importante que ta vie », lui avions-nous répondu, gênés . »

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Le plus petit, le plus dangereux

Eme, Aztec Mafia, Latin Kings, Barrio 18, Florencia 13… Depuis plusieurs décennies, les gangs latino-américains nés dans les quartiers de L.A. ont remplacé les Bloods ou les Crips dans les rues et les statistiques criminelles, mais aussi dans les cultures urbaines ( lire par ailleurs) qui ne pouvaient qu’être fascinées par ce mélange d’ultra-violence et d’iconographie très forte, entre crânes rasés, codes fashion et corps massifs recouverts parfois entièrement de tatouages à la manière des yakuzas. Or parmi tous ces gangs, la MS-13 est devenue à la fois le plus violent, le plus massif (avec environ 70 000 membres), le plus étendu (présent dans toute l’Amérique du Nord, dans toute l’Amérique centrale et depuis peu en Espagne) et le plus influent culturellement… Sans que l’on s’interroge vraiment sur cette apparente incongruité: comment l’un des pays les plus pauvres et les plus petits d’Amérique centrale a-t-il pu engendrer la mafia latino la plus puissante de l’Histoire?  » Il y a peu de groupes criminels sur lesquels on a écrit tant de crétineries, estime Oscar Martínez. La complexité du sujet des pandillas est souvent sous-estimée. Et la Mara Salvatrucha a inspiré beaucoup de conneries. Juan, lui, est un anthropologue qui s’est consacré à l’étude des pandillas, en particulier la Mara Salvatrucha, mais qui s’est aussi approché du Barrio 18 et de toutes ces cohortes d’expulsés des États-Unis qui avaient appartenu à l’une des dizaines de pandillas latinas du sud de la Californie. Juan a interviewé des fondateurs de la MS, des dirigeants de la MS, des chequeos de la MS -l’échelon inférieur de toute la structure-, des anciens, des traîtres, des victimes. »

Oscar Martínez
Oscar Martínez© sarah melendez

Un pur travail d’anthropologie de terrain, incarné dans un premier ouvrage paru en 2014 ( lire ci-contre), devenu littérature du réel après leur rencontre avec El Niño de Hollywood.  » Juan a voulu que, pour ses lecteurs, la pandilla cesse d’être seulement un sigle, deux lettres gigantesques, pour devenir un quotidien, des noms, des dynamiques de groupe, des destins individuels, des mots, des morts, des gosses, des maisons. » Ils décident donc, au lendemain de l’assassinat d’El Nino, d’unir leur force pour écrire cette histoire menée telle un polar, alternant le parcours criminel du sicario avec l’histoire de la MS-13, soudain plus complexe et politique que simplement spectaculaire:  » La Mara Salvatrucha est l’histoire de l’échec de certains pays qui n’ont pas su quoi faire de jeunes qui ne savaient que faire de leurs vies. C’est l’histoire de politiques sociales désaxées qui ont fini par créer une fourmilière d’assassins. » Et de décortiquer comme rarement la dynamique mortifère qui s’est installée depuis les années 70 entre le Salvador et les USA, dans une « true fiction » qui restera.

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El Niño de Hollywood, de Oscar et Juan José Martínez, éditions Métailié, traduit de l’espagnol (Salvador) par René Solis, 336 pages.

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Livres

S’il traîne toujours un « cholo » (membre de gang latino) dans la plupart des polars américains contemporains, très peu voire aucun avant Gabino Iglesias n’avait pris le sujet à bras-le-corps. Seul l’auteur mexicain Juan Pablo Villalobos avait fait de la destinée de ces gamins de rue transformés en machines de guerre le sujet principal d’un roman (Dans le terrier du lapin blanc, publié en 2011 chez Actes Sud). Les choses devraient changer à nouveau à cause de Juan José Martínez, dont le Voir, entendre et se taire avait fait sensation aux États-Unis avant El Niño de Hollywood: l’anthropologue y raconte son année passée au coeur même de la Mara Salvatrucha, de quoi nourrir pour longtemps bien des fictions en manque de réalisme.

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Films

Le cinéma a été moins avare envers les gangs latinos que la littérature. Dès 1950, Luis Buñuel en scrutait les prémices dans Los Olvidados (Pitié pour eux), mais ce sont les films American Me et Les Princes de la ville qui dans les années 90, figeront pour longtemps les codes et clichés des gangs latinos à Hollywood -leur Boyz N the Hood. La référence cinématographique absolue reste le documentaire franco-mexicain La Vida Loca (photo) tourné en 2008, au coeur même de la Mara 18, autre branche salvadorienne de la MS-13. Son réalisateur, Christian Poveda, sera lui-même assassiné un an plus tard.

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Musique

Pas de culture urbaine sans musique: la « culture cholo » s’est fait sa place dans la culture chicano, déjà très ancrée dans le hip-hop West Coast via des artistes comme Kid Frost, Mellow Man Ace (membre un temps de Cypress Hill) ou plus récemment Lil Rob, dernier représentant de ce « Chicano Rap » en fait très éloigné des racines musicales du MS-13: les premiers membres, dans les années 70, étaient fans de… heavy metal et de rock stoner -d’où leurs références perpétuelles aux doigts du Diable. Plus neuf, il faut aller se frotter aux Prayers (photo) et à leur album Young Gods, duo explosif et très MS qui se revendique « Cholo-Goth », tenant plus de la musique indus que du mariachi.

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Mode

L’influence de la culture cholo sur la mode est multiple: le « lowriding » (qui consiste à surélever et littéralement faire sauter sa voiture sur des embrayages hypertrophiés, métaphore de puissance et de liberté) est devenu une composante essentielle de la culture urbaine américaine, avec ses rassemblements et ses codes vestimentaires qui ont remis à l’honneur marcels, bandanas et baggies. Même influence souterraine dans le monde du tatouage, qui a redécouvert les motifs purement typographiques, et longtemps bannis, en même temps que les gangs latinos en généralisaient l’usage dans leurs rangs -tout en abandonnant peu à peu le tatouage facial, spectaculaire mais pas malin.

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Barrio Noir

Le Portoricain Gabino Iglesias débarque dans le polar avec le récit completamente loco d’un petit dealer aux prises avec la MS-13. Un récit sous peyotl mais pas dénué de réalisme pour autant.

 » Indio a lâché mon visage et s’est retourné. Son dos était entièrement tatoué: une femme nue, un diable souriant, plusieurs flingues, et beaucoup d’autres dessins que je n’arrivais pas à distinguer. Il s’est approché de la chaise et a de nouveau attrapé Nestor par les cheveux. Il lui a alors incliné la tête sur la gauche, puis il a posé la lame du couteau sur sa gorge et il m’a regardé. Ses yeux étaient sales, néfastes, comme si l’encre sur son visage s’était infiltrée jusque dans ses capillaires. Et sans montrer la moindre émotion, il s’est mis à scier le cou de Nestor. » Santa Muerte, protège-nous, comme tu vas, peut-être, protéger Fernando, qui n’arrête pas de te prier: la Mara Salvatrucha débarque à Austin, et l’enfer va se déchaîner. Loin du document des frères Martínez (lire ci-contre), le premier polar de Gabino Iglesias navigue pourtant dans les mêmes gangs, en prenant lui le pli de la fiction et d’un genre inclassable, entre polar ultra-violent et pulp excentrique, qu’il a lui-même pris soin de baptiser « Barrio Noir « :  » J’ai ajouté ce terme sous le titre parce que j’étais fatigué d’expliquer comment je mixe l’horreur, le crime, le noir, le réalisme magique… Comme mon quartier, mon « barrio », me vient naturellement quand j’écris, j’ai inventé ce terme pour désigner mon propre mélange des genres.  » Santa Muerte, qui se lit dans un souffle tant il nous le coupe, fait donc lui aussi grand cas de la MS,  » parce que c’était impossible d’évoquer la criminalité de rue sans parler d’elle », nous a expliqué l’auteur, aussi atypique que son récit -Gabino Iglesias est aussi culturiste, « rien de mieux pour démarrer la journée que de lever de la fonte ». Une évocation sans fard aucun qu’il a voulue la plus réaliste possible malgré la folie de son polar sanglant.  » J’ai fait beaucoup de recherches, parlé avec les Latin Kings en Floride, rencontré des membres du Tango Blast à Houston. Chaque gang fonctionne différemment, mais leurs buts sont identiques: la puissance et l’argent. Leur violence est juste le moyen d’y parvenir, et elle est très humaine: on leur apprend à briser le crâne de leurs ennemis dès qu’ils sont en âge de marcher! J’essaie d’apporter cette part de réalité dans mon récit, pour montrer aux gens comment les choses fonctionnent vraiment. Est-ce que j’ai pris des risques? Je ne pense pas: les membres de gangs ne lisent pas beaucoup de romans. »

Santa Muerte, de Gabino Iglesias, éditions Sonatine, traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Szczeciner, 192 pages.

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Juan José Martinez
Juan José Martinez© sarah melendez

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