ARTISTE LA PLUS TWEETÉE ET FACEBOOKÉE DU MOMENT, L’ULTRA SOPHISTIQUÉE ET MYSTÉRIEUSE LANA DEL REY SEMBLE SORTIE D’UN ROMAN D’ELLROY, SE PRÉSENTE COMME UNE GANGSTA NANCY SINATRA ET BOSSE AVEC DAMON ALBARN. FEMME FATALE TALENTUEUSE OU ARNAQUE BIEN EMBALLÉE?

Elle ressemble à une biche prise dans les phares d’un Hummer sur Mulholland Drive. Une biche avec des lèvres pulpeuses et refaites qui renvoie aux femmes fatales des romans de James Ellroy et aux héroïnes mystérieuses de David Lynch. Face sombre du rêve américain. Sur base d’un morceau bien foutu ( Video Games) à la voix alanguie et au piano nostalgique et d’un clip vintage, des images de dessins animés, de skateurs, de people en débauche à la sortie du Marmont et d’un Los Angeles regretté, Lana Del Rey est avant même la sortie de son album de toutes les conversations et de tous les Tweets.

Quelque 3 millions de visiteurs ont vu la vidéo sur YouTube. 67 000 personnes aiment ça sur Facebook.  » On me la demande 2 ou 3 fois par jour. Parfois sans même savoir comment elle s’appelle. Vous n’auriez pas blablabla Rey?« , rigole un vendeur de disques indépendant. La jeune femme déjà qualifiée de Rita Hayworth de la musique, de Chris Isaak au féminin, de Nancy Sinatra gangsta -un petit surnom qu’elle a elle-même soufflé aux médias, vive l’autopromo- peut sortir ce qu’elle veut. Vu la vitesse à laquelle sa Cadillac décapotable est lancée sur l’autoroute de la gloire (fake or not), le disque de cette Américaine qui dit aimer les bolides, les mauvais garçons et la bonne musique se vendra par camions.

Dans la vraie vie, Lana Del Rey s’appelle Lizzy Grant. Elle naît à Manhattan mais grandit à Lake Placid, un petit patelin rural de 3000 habitants au milieu des montagnes. Lizzy est la fille de Rob Grant, un courtier immobilier qui fait carrière dans le business des noms de domaine Internet et passe souvent les Beach Boys dans sa Ford Thunderbird. Elle apprend à chanter dans les chorales des églises de son enfance, est bercée par le hip hop (Biggie Smalls, Eminem), la pop, le r’n’b.

Disparu d’iTunes

De formation jazz, partie à New York pour étudier la métaphysique, elle se fait pour la première fois repérer à Brooklyn lors d’un concours de songwriting. Lizzy ne gagne pas mais l’un des juges tombe sous le charme. Elle signe sur son petit label indé, et sort un EP Kill Kill en 2008 dans l’indifférence presque générale. Son album, produit par David Kahne (Paul McCartney, les Strokes, Regina Spektor) ne rencontre guère plus d’enthousiasme.  » Ma musique était trop sombre. Personne n’a voulu dépenser de l’argent dessus« , déclare la demoiselle au magazine GQ. Après avoir pris la poussière dans un bureau, le disque floqué Lana Del Ray (avec un a) aka Lizzy Grant finit par atterrir sur iTunes. Il a depuis disparu de la circulation. Vous avez dit bizarre? La demoiselle argue qu’elle veut attirer l’attention sur ses nouvelles chansons. Ça se comprend. Surtout quand on faisait un peu de tout mais pas très bien (pop, folk, jazz, americana, touches électro) et qu’on veut se réinventer en pin-up singer songwriter style et glamour.

Lana Del Rey, un nom choisi pour sa consonance très hollywoodienne par ses managers et ses avocats, se défend d’être un personnage ou une créature de studio et jure sur ses posters de Marilyn Monroe qu’elle a réalisé elle-même ses clips. Il y a néanmoins de quoi se poser des questions sur son authenticité. Quelques pistes? Lizzy est déjà soutenue par une solide agence de relation publique. Ses vidéos disparaissent de la Toile pour réapparaître plus propres et soignées. Dans l’industrie du disque, les agents et tourneurs connaissaient son existence avant même les premiers échos de Video Games. Les organisateurs de concerts étaient depuis longtemps sur la balle pour la programmer cet automne (ses rares dates, aucune en Belgique, sont évidemment sold out). Quant à son album prévu en mars et distribué par Universal, sa sortie pourrait être avancée. Sûr que ça ferait un carton pour les fêtes de fin d’année. Quand on sait que Lana revendique Réfléchissez et devenez riche ( Think and grow rich) de Napoleon Hill comme livre de chevet, on se dit qu’il est temps que Lady Gaga sorte de ce corps.

Icône next door

Il y a un redoutable art de la communication 2.0. chez cette demoiselle de 24 ans qu’on jurerait venue d’un autre temps et incapable de se servir d’un ordinateur. Si Lana revendique l’influence des Monroe, Ginsberg, Dylan, Presley, Cobain, Sinatra et autre Warhol, elle pourrait grâce aux nouvelles technologies devenir un nouveau type d’icône. L’icône next door. Accessible.

Sur Twitter, la poupée donne des conseils cinéma ( Les Affranchis, Le Parrain, Casino) qui collent à son image. Fait réagir Nancy Sinatra sur le surnom dont elle s’est affublée. Sur Facebook, elle communique directement avec ses fans, annonce le tournage du clip de Born to die, son prochain single, avec le réalisateur français Yoann Lemoine (Yelle, Moby, Katy Perry). « Concède » aimer la chanson qu’elle a faite avec Richard Russell (le boss de XL Recordings), Damon Albarn et Bobby Womack. Rien que ça? Et toutes ces choses sans perdre de son mystère.

Tout ce qu’on peut faire avec Lana Del Rey aujourd’hui, c’est attendre. Aller écouter sur YouTube les morceaux souvent mièvres de son premier disque malgré sa voix à la Jennifer Charles (Elysian Fields). Jeter une oreille sur les remixes de Jamie Woon, Joy Orbinson, Balam Acab… Se poiler en matant quelques parodies. Ou plus drôle, suivre les débats enflammés que la miss suscite sur Internet. « Lana Del Rey a conquis l’Amérique avec la chirurgie esthétique, les jeux vidéo, une régression nostalgique, et un appel au sexe destiné à tous les critiques musicaux de la planète », note Amy Klein, de Titus Andronicus, sur son blog. La vérité ne doit pas être bien loin. Quelle que soit la valeur de l’album à venir.

TEXTE JULIEN BROQUET

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