QUARANTE-SIX ANS APRÈS LA PHRASE HISTORIQUE DES WHO -« I HOPE I DIE BEFORE I GET OLD »-, LE ROCK EST SQUATTÉ PAR DES SURVIVANTS SEPTUAGÉNAIRES ET AU-DELÀ! L’IDÉE D’UNE MUSIQUE POUR ET PAR DES JEUNES A PRIS SA RETRAITE.

OK, Dylan a 70 ans, Higelin 71, Mick Jagger 68, Bowie bientôt 65 et Roger Daltrey qui hurlait avec tellement de conviction sur My Generation ( » J’espère que je mourrai avant d’être vieux« ) fêtera en mars prochain son 68e anniversaire. Le public rock comme les stars vieillissent, mais n’abandonnent pas la course. Ceux qui ont passé l’âge de la retraite renâclent à partir: Dylan est embarqué dans un Never Ending Tour commencé en… 1988 et qui dépasse le 2000e show, Jagger laisse tomber ses vieilles pierres qui roulent (difficilement) au profit d’un super-groupe qui comprend des musiciens ayant la moitié de son âge (Damian Marley, 33 ans) ou dont il pourrait être grand-père (Joss Stone, 24 ans). Le machin, baptisé Superheavy, a très moyennement fonctionné dans les charts (n°10 en Belgique) mais donne peut-être l’illusion faustienne à Mick de retenir le temps. Manque un Gainsbourg pour secouer tout cela: la vieille canaille suprême n’aurait que 83 ans… En voiture Simone!

Seasick Steve

Beau cas d’école. Moins par l’âge tout juste vénérable -70 piges- que par le succès tardif. Son premier grignotage des charts notable date de 2006. Dog House Music devient disque d’or en Grande-Bretagne: Steven Gene Wold, 65 ans, brise alors 45 années d’anonymat! Et une galerie de galères propres au style chanté: son blues, essentiellement composé d’originaux, a tout de l’incruste Mathusalem, charriant des alluvions caramels plus intimes avec Robert Johnson qu’avec le Macchiato de chez Starbucks. Bien sûr, il y a la musique, rocailleuse et grogneuse, rustique et -si on veut- poétique. Mais aussi tout le passé ouvertement hobo d’un type parti de chez lui à l’âge de 13 ans pour déambuler dans le Tennessee et le Mississippi, ce dernier fournissant une symbolique plaque de voiture que le Steve accroche à sa MDM (Mississippi Drum Machine), modeste boîte en bois frappée pour donner le beat. Dans une époque viscéralement photoshoppée, la silhouette roots de Seasick est comme un sirop de Xanax sur le marketing: ce blanc à l’allure de coupeur de coton des années 30 -salopette prolo, barbe du mec privé de rasoir, guitare des catacombes- donne paradoxalement un coup de fraîcheur au vieux blues.

Brigitte Fontaine

Rencontrer la Brigitte -72 ans depuis juin-, c’est un peu interviewer Bernadette Soubirous sous médicament: un mélange d’illumination mystifiante et de provoc’ plastique. Madame Fontaine s’habille d’un curieux salmigondis de Petits Riens et de marques couturières, mélangeant casquette de ski, robe rococo, moonboots, chasuble corbeau, sarouel synthétique, le tout sous tonsure monastique ou coiffure de dévergondée de pensionnat. Ce patchwork un brin invraisemblable s’accompagne d’un clopage soutenu et d’une voix qui croasse d’improbables réponses faisant rire les animateurs de télévision, enchantés de tant d’audace septuagénaire. Le côté transgressif troisième âge nous agace un brin, la mutation de cette ancienne chanteuse Rive Gauche -elle a beaucoup bourlingué en compagnie d’Higelin- en madone branchouillée faisant partie des bizarreries qui passent pour de la grande aventure. Musicalement, la Fontaine a su séduire l’amateur de légendes mûres, Etienne « éternel ado » Daho, notamment via l’EP Reserection sorti en 1995. Depuis lors, la Brigitte fait une seconde carrière discographique, enregistrant de futurs disques d’or ( Kékéland en 2001, Rue Saint Louis en l’île en 2004) en compagnie de Noir Désir, Sonic Youth, M ou Zebda… Devenant un phénomène très parisien, chantant avec Olivia Ruiz et blaguant avec Jamel Debbouze. Les fables de la Fontaine? On préfère les autres.

Wanda Jackson

Ouh, cela sent bon l’Amérique des Dunkin’ Donuts, Burger Kings et autres pourvoyeurs de cholestérol. Wanda, 74 ans, habite Oklahoma City où elle vit en compagnie de son mari-manager, ancien programmateur chez IBM. Miss Jackson est célèbre à 2 titres: sa romance avec Elvis en 1955 et son succès comme chanteuse de rockabilly, forme countryisante de rock’n’roll en vogue dans les années 50-60. Même si son succès perdure au-delà, Jackson vire sa cuti lorsqu’elle redécouvre, début seventies, les bienfaits de la religion: elle embarque alors son gospel révélatoire dans des tournées évangéliques faisant églises combles. Sans jamais disparaître complètement des tablettes rock, elle végète entre souvenir chromo et semi-retraite du décibel. Après un premier come-back discographique en 2003 ( Heart Trouble) en compagnie d’Elvis Costello et des Cramps (…), c’est Jack White qui fait le coup de pub en produisant l’album The Party Ain’t Over, paru début 2011. Du rétro-vintage garanti 100 % vernis à ongles rose et coiffure choucroutée, la dame arborant même le genre d’imper en fausse peau de zèbre si joli dans les intérieurs fifties. En début d’année, Wanda a fait un petit tour promo chez Jools Holand ou David Letterman puis est repartie préparer ses Martini avec olives au bord de sa piscine à Oklahoma City, capitale du pétrole et des tornades.

Jerry Lee Lewis

Logiquement, on devrait s’épancher sur le plus vieux rocker en circulation, soit le génial Charles Edward Anderson « Chuck » Berry, 85 ans et un incunable rock’n’roll ludique ( Roll Over Beethoven, Johnny B. Goode). Ou dire un mot sur Little Richard, bientôt 79 piges, toujours maquillé comme un arbre de Noël gay, toujours frétillant sur un clavier qui hurle encore Tutti Frutti, Long Tall Sally et -ça rime-  » Good Golly, Miss Molly ». Mais c’est le cadet Jerry Lee Lewis, 76 hivers, qui a gardé au plus frais sa réputation des années 50-60 où il honore déjà son surnom d’enfance, The Killer. Le dernier album du tueur est une série de 18 titres parus il y a un an où il duettise en compagnie de Jagger, Richards, Sheryl Crow ou Clapton. Le titre est plus significatif que la musique: Mean Old Man, soit Méchant vieil homme dans la langue de Brigitte Fontaine. Le passé turbulent de ce contemporain de Presley a déjà nourri moult bouquins et un biopic: mariage avec sa cousine de 13 ans (…), mort suspecte de 2 de ses 5 épouses, drogues, armes, alcool, divorces, embrouilles en tous genres. Alors si ces dernières années, Jerry Lee Lewis freine un peu sur la pédale à scandales, malgré son incroyable tronche de momie survivante, croiser son regard correspond toujours à rencontrer Charles Manson version chemise hawaïenne. l

TEXTE PHILIPPE CORNET

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