Avec The Tragic Tale of a Genius, inspiré par Hitchcock et la folle trajectoire de Brian Wilson, My Little Cheap Dictaphone fait rimer petits Wallons et grandes ambitions.

C’est l’aboutissement de plus de 2 ans de travail et 9 mois de studio. D’une étroite et intense collaboration rassemblant des artistes venus du rock, de la musique classique, du théâtre, de l’illustration, du cinéma et de la vidéo. The Tragic Tale of a Genius, c’est un peu, beaucoup même, l’antithèse de ce qu’on a l’habitude de faire chez nous. De tout ce qui se contente de peu et finit par se bouffer la queue. My Little Cheap Dictaphone y tient. Il n’a pas concocté un opéra rock.  » L’appellation évoque en moi le hard un peu ringard des années 70« , avoue Redboy, le leader du groupe. Il a monté un opéra pop. Un projet ambitieux. Insensé. Un concept album vivant retraçant le parcours tragique d’un musicien surdoué. Hanté. Déchiré par ses propres démons.  » J’ai lu pas mal d’autobiographies et j’ai remarqué de nombreux points communs entre les artistes qu’elles racontaient. Les fêlures nées durant l’enfance. L’univers qu’ils finissaient par se créer pour y échapper. Je pense à Tom Waits, à Johnny Cash. Ou même à Ian Curtis et au film Control . Mais celui dont l’existence collait le plus à ce que je voulais raconter reste sans conteste Brian Wilson. Le leader des Beach Boys a été battu et humilié par son père. Il a passé 2 ans couché dans un lit. S’enfilant 2 ou 3 grammes de coke tous les jours. Il a dilapidé des millions de dollars. S’est fait virer du groupe qu’il avait lui-même fondé. »

L’album raconte 12 étapes de sa vie. Pas en alignant les anecdotes et les faits. Mais en imaginant comment il a pu les ressentir. Comment il a géré le succès et la chute. La drogue et les filles. The Tragic Tale of a Genius explique comment on perd pied et devient dépendant. Comment on vainc ses addictions et sort la tête de l’eau.  » Les génies sont faits pour les histoires tragiques. Ce qui est cassé, torturé, dégage un truc. Une fragilité, des émotions. La sincérité. Le frisson.  »

Pour ce troisième album où cohabitent des chansons de… 220 pistes qu’il a dû trier, mixer, My Little Cheap Dictaphone aurait pu y laisser sa santé. Le groupe liégeois avoue par moments s’être senti à bout mais il a continué d’insuffler tout son temps, son énergie, ses économies dans un projet en lequel il croyait.  » Très populaire ces dernières années, le concept du concert commence quelque part à s’essouffler, remarque Redboy. Les gens, je pense, veulent voir autre chose désormais. Nous avons donc essayé de faire en sorte qu’ils puissent comprendre l’histoire qu’on voulait partager sans parler anglais. »

Et pour y parvenir, les lascars ont cassé leur tirelire. « Nous nous sommes même séparés de quelques trucs. Notamment des guitares. Nous ne voulions pas nous brider, nous sentir frustrés. » A entendre le disque, à voir le spectacle qui l’accompagne, Redboy et ses acolytes ne risquent pas de nourrir trop de regrets.  » Le point de départ pour la musique comme pour les visuels, c’est Alfred Hitchcock. J’ai toujours adoré les arrangements de Bernard Herrmann. L’un de mes compositeurs préférés. Ni pompeux ni sirupeux. Capable de jouer avec brio sur le côté dramaturgique de la musique. Esthétiquement, on a misé sur le noir et le blanc. Le côté années 50. Les silhouettes. »

 » Quand on dit opéra rock, on entend Rocky Horror Picture Show . Ce genre de choses, enchaîne Eve Martin. Nous, nous sommes plus dans le concert visuel. Le chanteur qui raconte une histoire à son public. » Avec son comparse Nicolas Bueno et Catherine Cosme, habituée aux plateaux de cinéma, Eve a ajouté au son l’image.  » Le premier scénographe que nous avons contacté imaginait plein d’automatismes, des pont-levis, sourit Redboy. Nous avons dès lors émis une exigence. Que le décor rentre dans le van. »

Même si la Communauté française a donné un coup de main, apporté sa pierre à l’édifice, la clique a monté son projet avec les moyens du bord. Beaucoup d’énergie. De coups de main. Parfois des bouts de ficelle.  » La logistique a été une vraie prise de tête, reprend Eve. Nous avons déjà dû concevoir un décor qui s’adapte à la fois aux petites et aux grandes scènes. Nico et moi avons été extrêmement marqués par La Nuit du chasseur . La manière qu’avait Charles Laughton de jouer avec les ombres. Tout ou presque repose sur de l’animation. Nous voulions nous échapper de la réalité. Essayer de créer un univers entier. Redboy tenait à raconter une histoire sur scène. Nous voulions tout intégrer sans jamais donner l’impression de factice, de chiqué. »

Représentant tour à tour la conscience, le diable, la tentation du anti-héros au centre de Tragic Tale of a Genius, Jonathan Donahue de Mercury Rev, Ralph Mulder d’Alamo Race Track et Pall Jenkins de Black Heart Procession contribuent à la magie d’une £uvre produite par Frans Hagenaars (Evil Superstars) et mixé au Texas par John Congleton (Polyphonic Spree, The Roots…). Quand on vous parlait d’ouverture et d’ambition…

Texte Julien Broquet

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