Qui dit nouvel environnement dit nouvelles habitudes. La culture n’y échappe évidemment pas. Souvenez-vous, dans l’antiquité numérique, grosso modo avant 1999 et l’arrivée de Napster, le mélomane exécutait une chorégraphie bizarre: il glissait une plaque dans le tiroir de son lecteur et s’asseyait confortablement pour sentir les notes le traverser toutes paupières closes. C’était simple comme bonjour et ça faisait souvent du bien par où ça passait. Le fan de musique ne semblait ni gêné d’entendre à la croche près la même mélodie quand il rejouait ses plages préférées, ni frustré de ne pas pouvoir mettre son grain de sel dans la sauce acoustique. Un rituel plus ou moins immuable depuis que la musique est enregistrée, c’est-à-dire depuis la fin du XIXe siècle. Internet et sa nombreuse descendance, en vrac le home studio, le do it yourself, le mp3, le piratage, Spotify, le crowdfunding ou encore le multitasking ont porté un coup rude à cette attitude révérencieuse et passive -en apparence du moins- de l’auditeur. Désormais bombardé d’informations, connecté partout et tout le temps, il semble avoir muté pour devenir une sorte de bête insatiable assoiffée d’expériences sensorielles. L’offre s’adaptant à la demande, on voit ainsi se multiplier les initiatives défricheuses et iconoclastes porteuses, si pas d’un renouveau créatif, en tout cas d’une transformation radicale des rapports entre producteurs et consommateurs. Dans le registre participatif par exemple, Beck ne fait pas dans la demi-mesure. Son dernier album, Song Reader, ne s’écoute pas, il se joue. Dans le coffret soigné, pas de CD ni même de vinyles mais juste les partitions des 20 titres. S’il veut les entendre, l’acheteur devra se mettre au piano et payer de sa personne. L’artiste californien, grand brasseur de genres, affirme qu’il ne fait que reprendre une idée de 1937 quand le succès de la chanson Sweet Leilani interprétée par Bing Crosby fut tel que la maison de disques décida de commercialiser la partition. Résultat: 56 millions de copies vendues… Un recyclage qui arrive au bon moment: Beck fait parler de lui, ce qui est loin d’être gagné dans le brouhaha numérique actuel, et titille la fibre créative du public 2.0. Pas sûr dans ce cas-ci qu’on ne soit jamais aussi bien servi que par soi-même mais soit… Encore plus insolite, et sans doute promis à un plus bel avenir, l’Anglais Gwilym Gold, ex-frontman des Golden Silvers, a conçu un album qui utilise l’application Bronze disponible sur tous les iMachins. Particularité: les morceaux ne sont jamais joués deux fois de la même manière. A chaque écoute, le logiciel triture les basses, les percussions et les voix pour confectionner une variation inédite. Là encore, au-delà de l’attrape-geek, cette innovation fait de l’oeil à la génération impatiente et vite lassée des digital natives. Deux exceptions qui ne font peut-être pas le printemps culturel… Sauf qu’un peu partout, les formats traditionnels, de la musique mais aussi de la lecture, du cinéma ou de la télé, se voient court-circuités par des créations répondant aux nouvelles normes. Ça va de l’adaptation en trois cases de BD de romans cultes à la Web série interactive mobilisant tous les outils numériques (type Alt-Minds). Un bienfait pour l’humanité? Disons que le doute est permis.

PAR LAURENT RAPHAËL

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