Roscoe, Valhalla liégeois
Folds, impeccable troisième album de Roscoe, est nourri de chaleur mélancolique et d’intenses mélodies narratives. Sans oublier les breaks enlevés et la voix de Pierre Dumoulin, viking sentimental.
Par l’un de ces hasards peut-être signifiants, Pierre Dumoulin débarque alors qu’on avale avec retard la série Vikings. Sans aller jusqu’au Valhalla -lieu où les valeureux combattants scandinaves se doivent de trouver un éternel repos-, on a ce flash. Grand gaillard au-delà du mètre 80, 39 ans, belle gueule taillée dans l’incertitude aventureuse, barbe nordique, voilà le maestro de Roscoe. Face à nous, un Viking 2.1. » Non, dit-il, il n’y a pas de leader dans Roscoe, qui est d’abord une aventure collective. Celle de cinq musiciens qui refusent d’être linéaires. Suite à un premier album, le deuxième nous a amenés au sentiment d’avoir peut-être fait le tour des enjeux, d’avoir déjà confirmé l’usage de nos armes musicales. Avec le même circuit court belge et les mêmes musiciens. Mais on a finalement eu le déclic, l’envie d’écrire et d’enregistrer. On adore faire de la musique à cinq. Il y a alors quelque chose qui ne se passe pas avec d’autres. »
Outre le grand Pierre, Roscoe en 2022, c’est un autre Pierre -Minet- à la guitare, Ben Bovy à la batterie, Manu Delcourt aux claviers et Luc Goessens à la basse. Des amis d’enfance, à l’exclusion du Parisien Delcourt, largement adoubé par les Liégeois, Au niveau du son, Folds ( lire la critique dans le Focus du 17 mars) s’avère impressionnant. Comme un jeune cousin européen de The National, l’album se faufile dans un dédale de chansons riches en textures. Où l’avant-plan du morceau se multiplie en fractales d’émotions avec d’ambitieuses parties instrumentales. Elles nous laissent des impressions de fraîches aventures au spleen mémoriel. » Sur ce nouvel album autoproduit de dix titres, chacun des musiciens en a amené deux. Mais aucune plage n’est pas signée des cinq: on en arrive à une chimie qui est supérieure à l’addition des membres du groupe. Je peux voir une chanson de ma plume complètement déviée de sa première intention. C’est génial et c’est comme ça que l’on construit les choses. Roscoe, c’est le communisme (sourire) . Non, en fait, Roscoe n’est pas politique mais introspectif. On mise sur les atmosphères avec parfois l’impression d’être des moines copistes. Sans improvisation. »
Eurovisions
Pierre est né dans une famille liégeoise de la moyenne bourgeoisie: une mère correctrice d’orthographe dans un magazine télé – » ça peut servir » – et un père prof, reconverti dans les assurances. Deux grandes soeurs complètent la fratrie. La maman a succombé à un cancer il y a deux ans: « Folds contient des phrases écrites en pensant à elle. Et quand je me retrouve en scène à les chanter, je pourrais en chialer… Par chance, je suis quelqu’un qui n’a pas eu beaucoup à souffrir dans la vie jusqu’à cette perte-là. Les textes de ce disque, c’est aussi six années d’expériences de vie et la réalisation du fait que je ne dis pas forcément les choses au quotidien, histoire de préserver mon entourage. Et quand ça sort, c’est plutôt de manière maladroite. »
L’Ukraine étant maintenant plongée dans l’enfer, difficile de ne pas penser à Kiev et l’expérience vécue par Pierre Dumoulin il y a cinq ans: il se retrouve là-bas au printemps 2017 avec la jeune Bruxelloise Blanche et le titre écrit ensemble pour l’Eurovision, City Lights. De l’électro-pop à séquenceurs portée par un beat charnel et la voix crayeuse d’une jeune artiste douée qui n’a pas encore 18 ans. La chanson, qui finit en quatrième place du concours, sera certifiée platine en Belgique, 20 000 exemplaires vendus, et connaît également le succès en Autriche, Espagne ou Suède. Lorsqu’il s’agit d’envisager la suite, un premier album, Dumoulin est logiquement sur la grille de départ. Signée par Pias, Blanche se retrouve alors dans le panier d’un label français. » Et là, via une nouvelle directrice artistique qui s’occupait du projet, j’ai été dégagé. Mais cette histoire est derrière moi, je n’ai même plus envie d’en parler. Sauf que l’Eurovision est quelque chose de très particulier: malgré des brèches incroyables de mauvais goût, les gens intéressés ont un grand amour de la musique. »
Grand Poste
Pierre a laissé tomber son statut d’artiste autour du deuxième album de Roscoe. » J’en avais bénéficié et n’avais pas envie de le tirer toute ma vie. Pour moi, c’est un statut qui aide à se lancer, à construire un projet. Par après, il faut pouvoir avancer sans cela. » Ces jours-ci, il continue ses collaborations d’écriture en dehors de la matrice Roscoe. Il se retrouve à composer ou travailler avec, par exemple, de jeunes poulains d’Universal: » Ils m’appellent et me demandent une session de 8 heures avec untel. Et j’adore cela, parce que c’est un input de songwriter complètement instinctif et intuitif. Après, ils en font ce qu’il veulent, le produisent comme ils veulent. » Pierre se retrouve donc à bosser avec Gala, qui a décroché le titre de la version kids de The Voice van Vlaanderen, et puis Ibe Wuyts, vainqueur à 17 ans du même télé-crochet en 2019. Sans oublier Noémie Wolfs, chanteuse d’Hooverphonic entre 2010 et 2015. » Je travaille beaucoup plus avec le nord du pays qu’avec Bruxelles et la Wallonie. » Ces temps-ci, la digestion de l’époque et des sentiments personnels vaut des insomnies régulières à Pierre. Peut-être en tirera-t-il un futur album solo? Des aventures futures que Dumoulin va incessamment vivre dans l’ancienne Grand Poste liégeoise, en bord de Meuse, où il installe son studio de songwriting. » Un chouette lieu de création. Un endroit plus confortable qu’un studio classique, qui se veut super cosy. Il est possible de louer l’espace avec ou sans ingé son, avec ou sans moi (sourire). L’écriture commune est quelque chose de très présent en Flandre, beaucoup moins en Wallonie. Une histoire qui vaut certainement un entretien en soi.«
Roscoe, Folds. Distribué par Pias.
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