ÉPOUSE DU REGRETTÉ RAOUL RUIZ, LA CINÉASTE LUI REND HOMMAGE À TRAVERS LINHAS DE WELLINGTON, LE FILM SUR LEQUEL IL TRAVAILLAIT AU MOMENT DE SA DISPARITION.

Racontant la débâcle de l’armée napoléonienne, partie envahir le Portugal pour s’en revenir sans gloire, Linhas de Wellington porte assurément la griffe de Raoul Ruiz. Et pour cause, puisque c’est là le film sur lequel travaillait le réalisateur franco-chilien avec Carlos Saboga, le scénariste des Mystères de Lisbonne, au moment de son décès. Ruiz trop tôt disparu, sa compagne d’une vie, Valeria Sarmiento, monteuse de nombreux de ses films, et par ailleurs réalisatrice -on lui doit, notamment, l’intrigant Inconnu de Strasbourg, qui réunissait Ornella Muti, Charles Berling et Johan Leysen-, a décidé de reprendre le projet en l’état. « Raoul avait reçu le scénario de ce film alors qu’il était au Chili, en train de récupérer d’une greffe du foie. Il s’est ensuite rendu à Lisbonne, pour y voir des comédiens, et commencer les repérages. J’ai repris son scénario, en tenant compte des changements qu’il avait demandés à Carlos Saboga. Mais si j’ai voulu lui rendre hommage, je savais aussi pertinemment que, bien que connaissant son style, je ne pouvais pas faire un film comme Raoul. Je me devais de le faire à ma façon. »

Encadrée par les comédiens de Ruiz, Sarmiento a donc repensé l’histoire. Foisonnante, celle-ci multiplie les lignes de récit, jusqu’aux plus inattendues parfois -ainsi de l’épisode magique réunissant Michel Piccoli, Catherine Deneuve et Isabelle Huppert. De la fort belle ouvrage, assurément, même si, à l’aune du cinéma de Ruiz et de ses échappées borgésiennes, Linhas de Wellington apparaît quelque peu cintré. Cette réserve posée, le film témoigne d’une vision singulière, « plus proche du peuple que des généraux », pour reprendre les termes d’une réalisatrice qui, ayant dû fuir le Chili de Pinochet, n’a pas manqué de trouver des résonances intimes dans cette histoire: « L’invasion du Portugal par les troupes de Napoléon peut sembler fort éloignée du Chili, mais je pouvais comprendre et trouver un lien émotionnel avec l’exil chilien, et essayer de lier l’histoire des femmes avec celles d’amies qui ont été torturées et violées au Chili pendant la dictature de Pinochet. Et j’ai aussi pensé qu’il était important de faire un travail politique, et de se souvenir que l’Europe est pleine de cadavres à l’heure où elle traverse une crise. »

Par son contexte historique, mais aussi par son refus du formatage, le film apparaît ainsi comme un acte de résistance. A cet égard, on ne peut que penser, une fois encore, à l’oeuvre de Ruiz qui, tant par son ampleur que par sa teneur, semblait se défier des canons cinématographiques en vigueur. « Raoul a gardé cette liberté avant tout parce que l’argent ne l’intéressait pas. Et parce que pour lui, petit ou grand film, c’était toujours un film important. Il mettait toute son énergie et toute sa force dans les projets sur lesquels il travaillait, même s’il n’y avait qu’une semaine de tournage. Et chaque film constituait l’occasion de réfléchir. » Disposition que ne trahit certes pas Linhas de Wellington, qui offre par ailleurs l’opportunité de (re)découvrir une cinéaste ayant longtemps évolué dans l’ombre: « J’ai d’autres projets, mais par superstition, je préfère ne pas vous en dire plus pour l’instant…« , conclut-elle. En toute discrétion.

?LINHAS DE WELLINGTON, AVEC JOHN MALKOVICH, MATHIEU AMALRIC, MELVIL POUPAUD. SORTIE LE 19/12.

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À VENISE

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