ÉCOUTE-T-ON TOUS LES MÊMES HITS? INTERNET A-T-IL FAIT BOUGER LE CENTRE DE GRAVITÉ DE LA POP MONDIALE? LOS ANGELES ET LONDRES DONNENT-ELLES TOUJOURS LE TON? TENTATIVE D’UNE GÉOPOLITIQUE DES TUBES

C’était en 2011. Les MTV Europe Music Awards inauguraient une nouvelle catégorie. Celle du « Best Worldwide Act ». Surprise: l’über-star Britney Spears, certes sur la pente déclinante, s’y faisait brûler la politesse par… Big Bang, une groupe de k-pop sud-coréen. Rebelote l’année suivante. Cette fois, c’est carrément Rihanna qui est repartie les mains vides, laissant le trophée au Chinois Han Geng. En 2013, la compatriote de ce dernier, Li Yuchun, lui succédera, au nez et à la barbe du boys band One Direction. Ajoutez à cela le phénomène Gangnam Style en 2012, et il n’en fallait pas plus pour que la question soit posée: assiste-t-on à un redéploiement de la géopolitique de la pop? Les pays émergents vont-ils prendre les rênes du business musical? Certes, un territoire comme le Brésil a toujours compté. Mais verra-t-on bientôt la k-pop ou des tubes à la sauce tandoori envahir les hit-parades du monde entier? On n’en est pas encore là. A cet égard, le cas du cinéma indien est exemplaire: Bollywood a beau représenter la plus grosse industrie du genre au monde, ses films ont toujours autant de mal à s’exporter en dehors de l’Asie…

Pour autant, cela ne veut pas dire que les « lignes » ne bougent pas. Il y a quelque temps, une étude irlandaise a d’ailleurs livré des résultats étonnants. Intitulée « The Geographic Flow of Music », elle se penche sur la manière dont se répartissent les préférences musicales. Son outil de mesure: la webradio Last.fm. Le site est un monstre statistique. Il enregistre en effet toutes les écoutes et préférences de ses utilisateurs jusqu’à pouvoir leur dresser une série de suggestions à écouter. En 2011 par exemple, le site a enregistré quelque 11 milliards de notifications. Une vraie mine d’or pour les chercheurs de l’University College de Dublin… Les stats, c’est en effet leur dada. A coup de distances euclidiennes, d’analyses de vecteurs et de matrices, s’appuyant sur des recherches centrées sur le leadership dans les vols d’oiseaux (« Hierarchical group dynamics in pigeon flocks »?!), l’étude entend répondre à une série de questions.

La première: existe-t-il réellement des hyper-stars globales? Écoute-t-on la même chose partout? Chaque semaine, Last.fm dresse ainsi la liste des 400 artistes les plus écoutés dans le monde -le site est disponible aussi bien en anglais qu’en turc, russe ou chinois. Qui sont-ils? A ce petit jeu, une enquête de 2010 avait déjà montré que sur les tops 40 de 22 pays, 31 artistes (dont 23 Américains) apparaissaient simultanément dans au moins 18 régions différentes… En étudiant les données de Last.fm, les chercheurs du Clique Research Cluster irlandais nuancent toutefois le propos. A bien y regarder, des spécificités locales persistent. La nationalité, la langue et la localisation géographique continuent même de jouer un plus grand rôle qu’on ne le croit. Logiquement, les villes dont les préférences se rapprochent le plus sont toujours des villes d’un seul et même pays. Certains résultats sont parfois interpellants-en Europe, le goût des Belges se rapprocherait le plus de celui des Portugais- mais semblent tenir la route dans l’ensemble. A un niveau encore supérieur, malgré l’homogénéisation supposée de la mondialisation, la langue garde un rôle crucial: le Chili a beau partagé le même continent que le géant brésilien, c’est avec les villes mexicaines et espagnoles qu’il a le plus d’affinités.

Montréal über alles

Mais la principale contribution de l’enquête irlandaise est ailleurs. Elle a ainsi voulu repérer, parmi les villes étudiées, quelles sont les faiseuses de tendances. C’est ici qu’interviennent les pigeons: dans le grand flot musical, les capitaines de vol sont-ils bien ceux que l’on croit? Le classement des endroits les plus influents établi par l’étude est en tout cas surprenant. En Europe, par exemple, c’est Oslo et Stockholm -et non Londres ou Berlin- qui sont les plus influentes (Paris l’est pour la musique indie). En Amérique du Nord, si dans l’imaginaire collectif Los Angeles et New York semblent être toujours les creusets privilégiés des prochaines hype, c’est… Atlanta qui arrive pourtant en tête.

Plus étonnant encore: si l’on se recentre sur le seul genre indie, c’est Montréal qui est la plus « trendy ». Certes, la scène locale ne manque pas de vivacité, d’Arcade Fire à Grimes en passant par Godspeed You! Black Emperor. Mais tout de même: comment expliquer de tels résultats? Les enquêteurs eux-mêmes semblent troublés. Interrogé dans la Presse, l’un d’eux tente: « En Amérique du Nord, Montréal est unique en ce sens que c’est une grande ville où la langue dominante n’est pas l’anglais. C’est peut-être un facteur. » Depuis quelques années, l’industrie musicale ne s’y est d’ailleurs pas trompée: une étude de 2011 place Montréal à la 3e place des villes d’Amérique du Nord concentrant le plus d’activités musicales (labels, endroits de concerts…) -derrière Nashville et Los Angeles, mais devant New York ou San Francisco.

La morale de l’histoire? C’est comme un morceau de David Guetta: il n’y en a pas. Après tout, que l’industrie se soit braquée sur certains lieux n’a jamais empêché de voir des tubes éclore un peu partout. Y compris dans des endroits aussi « décalés » que Kingston, Sheffield, Dakar ou Versailles…

TEXTE Laurent Hoebrechts

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