Rencontre avec l’animatrice belge qui a bossé sur le nouveau Wes Anderson
Formée à La Cambre, l’animatrice belge Kim Keukeleire s’est spécialisée dans l’animation en volume. Retour sur un riche parcours l’ayant conduite de Chicken Run à Isle of Dogs.
C’est le genre de CV qui en impose. Chicken Run, Fantastic Mr. Fox, Frankenweenie, Ma vie de Courgette ou, aujourd’hui, Isle of Dogs: l’animatrice belge Kim Keukeleire a été associée, depuis une bonne quinzaine d’années maintenant, à quelques-uns des fleurons de l’animation en stop-motion. Pas de quoi entamer la modestie de celle qui, si elle compte parmi les artistes les plus appréciées à opérer sur ce médium, raconte y être venue par accident, pour ainsi dire: « J’ai commencé à travailler comme étudiante, quand j’étais encore en humanités, à colorier des cellos, pour gagner des sous, sans avoir aucune idée de ce qu’était l’animation, explique-t-elle, alors qu’on la rencontre dans un café saint-gillois. Les gens d’Anima m’ont demandé si je ne voulais pas faire la caisse ou les entrées pour la première édition du festival. J’y ai découvert Peter Lord et les Conversation Pieces , les films de Ladislas Starewitch, ceux des frères Quay. Ils m’ont marquée, et c’est sans doute comme cela que je suis allée vers le volume… »
Son cursus, Kim Keukeleire (également appelée Kim Kong) le suivra à La Cambre, où elle fait partie de la même promotion que Guionne Leroy, future directrice de l’animation sur Toy Story, et Stéphane Aubier et Vincent Patar, les créateurs de Panique au village. Quelques pubs et « petits trucs » plus tard, et après « avoir postulé avec insistance », elle se retrouve à Bristol chez Aardman, les spécialistes de la pâte à modeler. Et d’être associée à l’aventure Chicken Run, le premier long métrage produit par le studio, sur lequel elle est assistante animatrice. « Une étape énorme pour moi, parce que j’ai aussi appris à travailler dans de grosses équipes, à en connaître la structure et le fonctionnement, tout en jouissant d’un certain « confort », avec le luxe d’avoir des gens veillant à ce que l’on n’ait besoin de rien. Et puis, les poupées sont d’une telle qualité que cela revient à travailler avec de petites horloges, alors qu’en Belgique, c’est plutôt avec des bouts de fil de fer. Les moyens sont différents… »
Aller contre-nature
Après avoir été animatrice sur Max & Co, des frères Guillaume, elle est engagée dans l’équipe de Fantastic Mr. Fox, première incursion de Wes Anderson dans le domaine de la stop-motion -une technique il est vraie taillée sur mesure pour l’univers de ce maniaque du détail. Venant du cinéma en « live action », celui-ci adopte une approche différente des réalisateurs issus du sérail de l’animation: « Je pense qu’il adore la stop-motion car il peut encore plus tout contrôler, jusqu’au moindre détail des décors. Sinon, on sent qu’il vient du « live » parce qu’il y a des éléments auxquels des réalisateurs d’animation pourraient chipoter pendant des semaines, alors qu’il s’en fout complètement. Quand il y a des déplacements, par exemple, cela ne l’intéresse pas d’avoir une animation absolument magnifique; de toute façon, bien souvent, il accélère ces moments, nous demandant d’enlever des images ou de faire des marches très rapides. Il ne s’arrête pas à la beauté d’une démarche, parce qu’en live, on ne se préoccupe pas du moment où un acteur passe d’un endroit à un autre, ce n’est pas ça qui est intéressant. » Manière de faire qui, si elle peut parfois déboussoler, est aussi drôle et pertinente, observe-t-elle. « Mais cela ne conviendrait pas à tous les réalisateurs, c’est un style qui appartient à Wes, même en live action, où il lui arrive d’accélérer certaines choses. Il n’applique pas toutes les règles d’animation, comme Disney ou les grands animateurs. Certains de ceux qui ont travaillé sur Mr. Fox ont été déstabilisés et n’y ont pas pris de plaisir. C’est bizarre, on a parfois l’impression de faire une mauvaise animation. Mais il faut oser aller contre-nature. » Le résultat achevant de chasser les doutes éventuels…
Le côté artisanal
Wes Anderson a réalisé tant Mr. Fox qu’ Isle of Dogs à distance, communiquant par courriel avec les équipes travaillant au studio de 3 Mills, en Angleterre. Si la méthode peut surprendre le profane, elle est pourtant plus courante qu’on ne l’imagine, Kim Keukeleire soulignant que Tim Burton n’avait pas procédé autrement pour Frankenweenie – « il était encore moins présent. Wes Anderson n’est pas sur le plateau, mais il nous donne ses directives, rien ne se fait sans son approbation. Tout est discuté avec lui, jusqu’aux détails des couleurs d’une fourchette. Il a dû passer 20 heures sur 24 à tout visionner: l’animation, mais aussi la fabrication des poupées, la mise en place des décors… »
Kim Kong a, pour sa part, été mobilisée pas loin de deux ans par un film sur lequel elle a occupé la fonction de « lead animator ». « Nous étions trois, et nous sommes arrivés très tôt sur la production pour faire des tests et des recherches par rapport aux voix et aux personnages. Wes compte un peu sur nous pour apporter quelque chose aux personnages. Après, quand nous sommes rejoints par les autres animateurs, nous pouvons leur donner des exemples. Nous nous acquittons également de scènes délicates ou importantes, notre travail servant de référence pour la suite. » Elle s’est aussi occupée plus spécifiquement de Jupiter, le chien zen auquel F. Murray Abraham prête sa voix, de Spots, le fidèle compagnon d’Atari, et des scènes de ce dernier à l’hôpital, donnant vie et personnalité aux uns et aux autres. Un processus dont Wes Anderson confie combien il reste mystérieux à ses yeux, et qui passe par le mouvement et l’acting – « il faut être fin pour que l’on n’ait pas l’impression de voir une poupée qui ouvre et ferme la bouche, ne pas avoir du « muppet show », souligne-t-elle. Quelque chose comme un tour de magie, qui explique peut-être que la stop-motion ait traversé les époques: « Cela tient, je pense, au côté artisanal, manuel, à la texture. Les enfants voient plein d’images de synthèse, mais elles sont beaucoup plus insipides, et finissent par se ressembler. Ma théorie, c’est que les gens aiment bien sentir le côté artisanal, qui renvoie aussi à un plaisir d’enfance, quand les séries étaient souvent en stop-motion. Et puis, il n’y en a pas tant que ça… »
Service minimum pour Wes Anderson lors du dernier festival de Berlin, le réalisateur américain s’en tenant à la traditionnelle conférence de presse, prolongée par un concept d’un genre inédit: une rencontre entre le cinéaste et ses coauteurs, Roman Coppola, Jason Schwartzman et Kunichi Nomura, à l’Académie des Arts, à deux pas de la porte de Brandebourg, à laquelle étaient conviés quelques dizaines de journalistes accueillis par un verre de saké au son d’un orchestre de percussions japonaises. Florilège.
La genèse du projet.
« Il y a quatre ou cinq ans de cela, Wes nous a parlé d’une idée gravitant autour de mâles-alpha canins. Nous avons alors réfléchi à une histoire, et à son atmosphère,explique Jason Schwartzman. Roman Coppola renchérissant: Nous savions qu’il y aurait un cadre décrépit, une décharge, un garçon, des chiens alpha et le Japon, voilà pour l’allumage. » « J’ai gardé les carnets de notes prises lors de nos conversations,ajoute Wes Anderson. Le nom des chiens figure déjà à la première page. Il y avait les chiens et la décharge, et ils m’ont dit: « Bien, c’est un bon début. » Nous sommes tous trois amoureux du cinéma japonais, et nous en avons beaucoup parlé, avant que je ne demande à Kunichi de se joindre à nous -nous nous connaissons depuis mon premier voyage au Japon, en 2004. »
Un film japonais.
« Wes m’a dit qu’il voulait faire un film situé au Japon, et il m’a demandé, par exemple, quel était l’uniforme que portaient les employés de grands magasins dans les années 60, se rappelle Kunichi Nomura. Nous étions en permanence en contact. » « On peut trouver beaucoup de choses en Googlant, encore convient-il d’avoir le bon clavier,relèvera pour sa part le cinéaste. Kunichi m’a aidé à comprendre comment obtenir une histoire étroitement liée au Japon. Nous nous sommes inspirés de la culture japonaise, des estampes et gravures sur bois de l’époque Edo, et du cinéma nippon, mais aussi d’endroits précis: l’île abandonnée de Gunkanjima, par exemple. Nous nous sommes servis de lieux existants comme références. Par ailleurs, le paysage japonais recèle une dimension dramatique. La côte est très différente de celle du Texas, le golfe du Mexique n’est pas particulièrement réputé pour ses tsunamis. Même si le film est une pure fantaisie, nous avons veillé à être aussi authentiques que possible. »
L’influence du cinéma.
Wes Anderson: « Le film devait se situer dans le futur, mais un futur comme on pouvait l’imaginer par le passé, comme si Akira Kurosawa avait tourné en 1962 un film de science-fiction situé en 2007. Le cinéma de Kurosawa a été une grande inspiration, mais plutôt ses films urbains, comme Les salauds dorment en paix ,Scandale , Chien enragé ou L’Ange ivre. Nous avons aussi pensé à Nuits blanches , de Luchino Visconti, et ses canaux pollués. Mais nous avons veillé à préserver à la ville une dimension poétique, romantique et mystérieuse. »
Le film le plus politique de son auteur?
« La politique fait partie de la fiction, observe ce dernier. Mais en l’occurrence, elle est assez éloignée de la situation du Japon et plus proche de celle du Texas. Le monde a beaucoup changé pendant le processus d’écriture, et cela s’est répercuté d’une manière ou d’une autre sur le film que nous étions en train de faire. »
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