Une vérité bonne à dire

Adam Driver incarne Daniel Jones, le dénociateur des méthodes peu reluisantes de la CIA. © the searchers

Scott Z. Burns retrace dans un thriller engagé l’enquête ayant conduit à la révélation des méthodes d’interrogatoire adoptées par la CIA au lendemain des attentats du 11 septembre.

Spotlight de Tom McCarthy, Argo de Ben Affleck, Vice d’Adam McKay…: voilà quelques années que le cinéma américain tente de renouer avec la fibre politique qui l’irriguait généreusement pendant les années 70. Ainsi, aujourd’hui, de The Report ( critique en page 36), thriller de Scott Z. Burns inspiré de faits réels. Un film plongeant dans les méandres de l’Histoire récente des États-Unis sur les pas de Daniel Jones (Adam Driver), un employé mandaté par le United States Senate Select Committee on Intelligence et la sénatrice Dianne Feinstein (Annette Bening) pour enquêter sur les méthodes d’interrogatoire adoptées par la CIA au lendemain des attentats du 11 septembre. Travail de longue haleine -sept années consacrées à éplucher d’innombrables documents- qui conduira à la rédaction d’un rapport établissant notamment la pratique de la torture de détenus, somme dont la publication s’avérera toutefois plus compliquée qu’escompté.

Une parabole sur l’époque

Collusions, dissimulations, tentatives d’intimidation, on trouve ici tous les arguments d’un thriller politique classique, avec la circonstance aggravante que rien n’a été inventé. De quoi donner froid dans le dos, ce dont convient volontiers Scott Z. Burns, rencontré à La Haye en compagnie de Dan Jones, ce  » héros américain » de l’ombre dont le destin a inspiré le film. Si son nom n’est guère familier du grand public, Burns n’est pas un inconnu pour autant: on lui doit notamment les scénarios de The Bourne Ultimatum et du prochain James Bond, No Time to Die, mais aussi d’une série de films de Steven Soderbergh, de The Informant! au récent The Laundromat.

À l’instar de ce dernier, The Report aurait pu adopter la forme d’une satire lestée d’humour noir, l’auteur ayant d’abord été interpellé par l’histoire de James Mitchell et Bruce Jessen, les deux psychologues à l’origine du programme d’interrogatoires renforcés de la CIA, un contrat de 80 millions de dollars à la clé.  » J’ai découvert leur histoire dans un article de Vanity Fair en 2007. J’ai passé plusieurs mois à faire des recherches pour définir ce que pourrait être ce film. Entre-temps, le rapport a été publié, et je m’y suis plongé, pour avoir une idée plus précise des faits. Ce qui m’a conduit à contacter Daniel Jones, l’enquêteur principal. Nous avons eu de nombreuses conversations téléphoniques avant de nous rencontrer à New York, et il m’a raconté l’histoire derrière le rapport, qui m’est bientôt apparue plus importante que le rapport lui-même: j’y ai vu une parabole sur l’époque que nous vivons, la crise de responsabilité au sein du gouvernement et le besoin de transparence. »

Au coeur du propos, on trouve, en plus de la mise en oeuvre de méthodes aussi injustifiables qu’inopérantes au demeurant (ce que le film ne se fait faute d’établir), une série de dysfonctionnements, dont le premier sera le crédit accordé aux deux psychologues:  » Il faut se reporter au sentiment qui prévalait en Amérique au lendemain du 11 septembre. La peur et la paranoïa étaient immenses, et je ne puis que conjecturer sur l’anxiété qui devait régner au sein de la CIA du fait de n’avoir pas pu prévenir ces attentats. Des dispositions qui poussent plus facilement les gens à accepter des solutions outrancières. Le budget alloué au contre-terrorisme a augmenté considérablement, et l’agence a pu explorer différentes idées censées garantir notre sécurité, contexte dans lequel un programme comme celui-là a pu paraître séduisant… »

Trahison des idéaux

Et les dérives de se multiplier, significatives, jusqu’aux tentatives d’obstruction à la publication du rapport. Ce qu’explore en définitive ce film tendu et effarant à bien des égards, ce n’est rien moins que le mal pernicieux rongeant la démocratie américaine de l’intérieur -un propos trouvant une acuité d’autant plus grande que porté par l’abnégation et l’opiniâtreté d’un homme issu du sérail.  » Pour moi, souligne Dan Jones , une partie du système repose précisément sur le fait que des individus en son sein se dressent, le cas échéant, pour en souligner les défaillances, afin de pouvoir y remédier. D’où l’importance des lanceurs d’alerte. Il y a des choses que l’on ne peut passer sous silence, le bon fonctionnement de la démocratie est à ce prix. »  » J’ai été inspiré par le cinéma de Sidney Lumet et d’Alan J. Pakula, et des films comme Les Hommes du président ou The Parallax View pour diverses raisons, l’une étant que je tenais à ce que ce film fonctionne comme un thriller politique, conclut Scott Z. Burns. J’espère que le public en sortira diverti, tout en adhérant au propos, et qu’il sera inspiré par un personnage comme Daniel Jones qui, sans égard pour ce qu’il lui en coûterait personnellement, a accompli quelque chose d’inestimable afin de faire connaître la vérité. J’aimerais aussi que les spectateurs trouvent dans The Report une source d’espoir, parce que notre système est merveilleux même s’il fait face à des problèmes, mais également de colère, parce que ceux qui ont été investis des idéaux merveilleux associés à l’Amérique les ont trahis. Sergio Leone a eu un jour une phrase magnifique où il disait que l’Amérique était l’endroit où étaient agrafés nos espoirs et nos rêves en un monde meilleur et un système plus juste, mais qu’il lui fallait être prudente et se montrer à la hauteur, sans quoi une nouvelle Amérique allait voir le jour pour y raccrocher ces mêmes rêves et espoirs. C’est un peu ce dont parle ce film… »

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