DE TABOU, L’ULTRA-VIOLENCE EST DEVENUE LE PLUS PETIT DÉNOMINATEUR COMMUN D’UNE PART IMPORTANTE DU CINÉMA COMMERCIAL…

Longtemps, elle aura pu faire scandale. En 2002 encore, quand éclata au Festival de Cannes celui d’Irréversible. Désormais, elle s’expose fièrement dans le cinéma de genre (action, horreur, surtout) le plus populaire. Et sans créer de tumulte. On peut même dire de l’ultra-violence qu’elle est devenue l’élément attractif par excellence d’un certain type de production commerciale où elle s’est banalisée tout en se faisant de plus en plus extrême. « Loin de déranger, cette violence-là cherche à être « fun », « jouissive », elle cherche la complicité du spectateur, jamais son inconfort« , constate Gaspar Noé, invité de ce dossier et cinéaste transgressif s’il en est puisque chacun de ses films défie les tabous (le politiquement correct dans Seul contre tous, la violence extrême dans Irréversible, la drogue dans Enter the Void et aujourd’hui le sexe non simulé dans Love). Un chemin de la transgression que Michael Haneke suit lui aussi, dans un style ô combien différent mais avec un impact certain, son Funny Games s’affichant notamment en avertissement au spectateur sur tout regard complaisant envers la violence gratuite…

Sanglant, sans gant

On est loin de l’époque où le polar choquait les foules (le Scarface de 1932 et ses rafales de mitraillette, Public Enemy en 1931, où James Cagney écrasait le demi-pamplemousse du petit-déjeuner sur le visage de Mae Clarke) et où le film noir saisissait par sa cruauté (Richard Widmark poussant une dame en fauteuil roulant dans l’escalier de Kiss of Death en 1947, Fritz Lang filmant les atroces ravages d’un café servi bouillant en pleine face dans The Big Heat six ans plus tard). Le jeune spectateur moyen d’aujourd’hui a vu des centaines de scènes de meurtre horrible et de tortures poussées (dans la série des Saw, Hostel ou Martyrs)! Le « gore » et le « slasher movie » ont bâti leur empire dès les années 70 et 80, et les remakes de leurs classiques n’en finissent plus de fleurir…

Le grand basculement s’est produit au début des seventies, à l’heure de Sam Peckinpah, quand le réalisateur du déjà très brutal The Wild Bunch (1969) signait le « scandaleux » Straw Dogs (1971), laissant John Boorman réaliser le non moins choquant Deliverance (un retour à la nature faisant de citadins la proie de tueurs et violeurs en 1972) tandis que le génial Stanley Kubrick touchait au paroxysme avec A Clockwork Orange en 1971. Malgré la censure, le tabou de l’ultra-violence tombait, bientôt piétiné par le « giallo » italien, le film d’arts martiaux oriental et la vague irrésistible du cinéma d’horreur façon tueurs fous, cannibales voraces et morts-vivants déchaînés… Avec des pointes radicales comme le redoutable Henry, Portrait of a Serial Killer (1986) de John McNaughton ou l’hallucinant Angst (Schizophrenia en 1983) de Gerald Kargl, cité en exemple de transgression ultime par Gaspar Noé himself.

Se distinguant de l’exploitation pure et simple, des cinéastes comme John Woo et -surtout- Quentin Tarantino ont porté l’esthétisation de la violence extrême au rang d’art à part entière. Ils jouent la carte chorégraphique pour l’un, celle de l’humour pour l’autre, avec le même effet de faire du spectateur un comparse. L’ultra-violence ne choque presque plus. Reflet de notre temps médiatique, marquée par les déferlements sanglants d’Internet, tentée par le faux documentaire pour troubler à nouveau, elle n’a plus de tabou que le nom.

L.D.

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