À L’OCCASION D’UNE FOIRE DU LIVRE MISE SOUS LE DOUBLE SIGNE DU ROYAUME-UNI ET DE L’HISTOIRE, L’ÉCRIVAIN R.J. ELLORY ÉTAIT DE PASSAGE À BRUXELLES. FOCUS LUI A DONNÉ CARTE BLANCHE…

J’avais seize ans en avril 1982, lorsque ma grand-mère maternelle est décédée. Son mari, Roger, dont je porte le prénom, s’était noyé plusieurs années auparavant, en 1957. Ma mère est morte d’une pneumonie en 1971 alors que j’avais six ans, et je n’ai pas connu mon père, envolé avant ma naissance. Quand ma mère est morte, c’est ma grand-mère qui m’a élevé; en tant que dernière aïeule, elle occupe donc souvent mes pensées.

Cette femme demeure néanmoins une véritable énigme. En consultant papiers et documents après son décès, j’y ai trouvé les traces d’une histoire dont elle ne m’avait jamais rien dit, et qui à ce jour n’a pu être totalement vérifiée. Après discussion avec des gens qui l’ont bien connue, j’ai cru comprendre qu’elle avait travaillé pour le gouvernement Churchill, servi comme secrétaire de Arthur Harris, commandant en chef des forces de bombardement de la Royal Air Force, et passé la dernière année de la guerre en poste administratif dans le site de décryptage du Royaume-Uni, connu aussi sous le nom de Bletchley Park.

Peu importe que ce soit vrai ou non, l’important c’est que les questions que cela a soulevé ont déclenché en moi un vif intérêt pour tout ce qui avait trait à la Seconde Guerre mondiale. Qu’elle ait servi dans la WRAF, la branche féminine de la Royal Air Force, ne fait à présent plus aucun doute; et que mon grand-père ait été menuisier dans la Royal Air Force (réparant et reconstruisant des avions partiellement constitués de bois et de toile) non plus, mais le rôle qu’elle a joué dans l’ensemble de l’effort de guerre britannique demeure un mystère à part entière.

Cela fait trois décennies à présent que ma fascination pour ce sujet me hante et, à l’approche non seulement du centenaire du début de la Première Guerre mondiale, mais aussi du septantième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, elle continue d’occuper mon esprit, au même titre que les histoires que j’ai lues, les livres que j’ai compulsés et l’Histoire qui a laissé ses traces partout en Europe continentale.

Du coup, lorsque j’ai été invité à revenir à Bruxelles, je n’ai pu m’empêcher de penser à Mike Donnet et à Léon Divoy -ces étudiants belges qui ont arrêté le train Malines-Auschwitz armés de simples pinces coupantes et de revolvers de petit calibre, sauvant tous ses occupants d’une mort certaine- ainsi bien sûr qu’au Réseau Comète et à Andrée (Dédée) de Jongh, de Schaerbeek.

Le fait qu’en Belgique cette histoire soit probablement célèbre et qu’on la raconte souvent ne la rend pas moins remarquable. Au Royaume-Uni comme en Europe continentale, l’on ignore l’immense impact qu’a eu la résistance belge sur la défaite des forces de l’Axe, ce qui ne change rien au fait que cela ait bel et bien eu lieu. Nombre de gens ont sacrifié leur sécurité personnelle et celle de leur famille, des milliers d’entre eux sont morts, et à l’approche de ces commémorations nous serions bien inspirés de le reconnaître, de nous souvenir, de commémorer et de les saluer pour nous avoir libérés du joug de la tyrannie.

La comtesse Andrée Eugénie Adrienne de Jongh n’a pas toujours été comtesse. En fait, elle n’a été anoblie par la Belgique qu’en 1985. A cette époque, elle avait déjà consacré sa vie d’après-guerre au caritatif, que ce soit au Congo belge, au Cameroun, à Addis-Abeba ou au Sénégal. Durant la guerre, elle a oeuvré à la mise en place d’une filière d’évasion à travers la France occupée et celle de Vichy, afin que des aviateurs alliés puissent rallier la Grande-Bretagne; cela lui a valu la Médaille de la liberté américaine, la médaille de George (en termes de courage, la plus haute récompense britannique accordée à des non-militaires), la Légion d’honneur française, l’ordre de Léopold, la croix de guerre et le grade honoraire de lieutenant-colonel de l’armée belge. Cette jeune femme délicate et élégante a fait traverser les Pyrénées à des pilotes de chasse, une marche que ces derniers ont bien failli trouver totalement épuisante. Une fois sa mission accomplie, elle est repartie seule en sens inverse afin d’en mettre d’autres en sécurité.

L’on estime que Dédée et ses compatriotes ont sauvé les vies de plus de 800 aviateurs. Cela peut ne pas sembler énorme, mais cela correspond à plus de 30 % des aviateurs britanniques ayant volé entre juillet et octobre 1941 lors de la bataille d’Angleterre. Ces hommes qu’elle a sauvés sont remontés dans leurs avions brûlés et endommagés, les faisant peut-être atterrir sur des aérodromes britanniques où mon grand-père les a réparés, avant de les renvoyer de l’autre côté de la Manche pour un nouveau combat. Je me plais à imaginer Roger discutant avec certains d’entre eux, à me dire qu’ils ont échangé récits d’exploits audacieux et d’aventures incroyables, et qu’il a peut-être même connu certains de ceux qui ont traversé les Pyrénées pour être mis en sécurité, avec à leur tête une femme de 25 ans ayant travaillé jadis comme dessinatrice publicitaire à Malmédy.

En juin 1943 la Gestapo a arrêté le père de Dédée, qui sera fusillé. Dédée elle-même a été dénoncée et capturée à Urrugne, dans le Pays basque français, dernière étape avant la traversée des Pyrénées. Torturée, elle a fini par avouer qu’elle était l’organisatrice et le moteur du Réseau Comète, mais la Gestapo a refusé de croire que cette jeune femme ait pu faire preuve d’un tel héroïsme, d’un tel courage et d’un tel sacrifice de sa personne. Pour finir, ils l’ont envoyée à la maison d’arrêt de Fresnes, à Paris, puis dans le camp de concentration de Ravensbrück, et ensuite à Mauthausen. Elle a survécu aux trois, pour se consacrer ensuite à des oeuvres caritatives et humanitaires.

Lorsque ma mère est morte en 1971, à 28 ans, elle avait le même âge que Dédée lorsque l’Acte de reddition militaire a été signé, dans cette ferme rémoise. Ma mère, qui est toujours demeurée une étrangère à mes yeux, était danseuse et comédienne. Elle aimait sortir, danser, chanter et aller au théâtre. Elle n’a pas connu la guerre et n’aurait jamais compris qu’une jeune femme ait pu endurer ce qu’avait enduré Dédée. Désireux que tout ceci soit révélé au grand public, j’avais, pour ma part, juste envie de vous parler de mes récentes préoccupations, et d’affirmer ainsi mon amitié et mon respect pour un pays de gens extraordinaires, dont l’Histoire l’est tout autant.

Certes Anvers regorge de diamants, mais l’on en trouve aussi dans des endroits tels que Schaerbeek.

R.J. ELLORY EST NÉ À BIRMINGHAM EN 1965. APRÈS L’ORPHELINAT ET LA PRISON, IL DEVIENT GUITARISTE DANS UN GROUPE DE ROCK, AVANT DE SE TOURNER VERS LA PHOTOGRAPHIE ET LA LITTÉRATURE, TENDANCE POLARS. AUTEUR DE SEUL LE SILENCE, VENDETTA, LES ANONYMES OU LES ANGES DE NEW YORK, IL EST PUBLIÉ EN FRANCE AUX ÉDITIONS SONATINE.

TRADUCTION: EDITH SOONCKINDT – PAR ROGER JON ELLORY

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