dans son dernier opus, consacré meilleur roman de l’année par le NY Times, arthur phillips revisite l’amour courtois et le roman d’espionnage à la lueur bleutée de la génération iPod. Rencontre.

Il pleut sur Brooklyn. Après avoir traversé l’East River en suivant les soubresauts souterrains de la F line, celle-là même qui hante de ses stations son dernier roman, on le retrouve, quarantenaire aux yeux lagune et à la barbe rase, écrivain coqueluche du New York Times -il est l’un de ses « bestselling authors » favoris-, dans un petit café très vintage style sur Henry Street. Chez lui ou presque.  » J’écris ici, c’est mon bureau en quelque sorte. Ils ont ouvert il y a 7 ans et je suis assis à cette place à peu près depuis. Rien de ce qui peut se passer ici ne me distrait, contrairement à chez moi. Ils me nourrissent, me servent du thé ou du café à volonté. Ils ont même pris l’habitude de diffuser la musique de mon iPod… »

Une vision extrême et définitive du travail en open space pour cet ancien musicien de jazz qui y aura élaboré, dans les vapeurs d’une machine à café à l’ancienne et les gémissements d’une porte d’entrée constamment reclaquée, Une simple mélodie, son 3e livre traduit en français après les remarqués Angelica et L’Egyptologue. Le roman, histoire d’une liaison sans cesse différée entre Cait O’Dwyer, chanteuse irlandaise écumant de sa voix rocailleuse les clubs de Brooklyn, et Julian Donahue, publicitaire en plein deuil, file leurs tentatives de rencontre avortées, la poursuite du mystère et la tension érotique qu’ils s’imposent par chats et sms interposés. Tout en défrichant avec bonheur les codes de l’idéal courtois médiéval -celui de l’amour inaccessible- et les méandres du roman d’espionnage.

Point remarquable du roman, les fantasmes de Julian y sont délivrés au compte-goutte des 8146 chansons qui tournent en boucle dans son iPod, sa carte d’identité sonore, son double numérique en intra-auriculaire. De ces morceaux en perfusion, le roman s’accommode comme d’une véritable bande son, où les Smiths battent le pavé avec Billie Holiday et les Stones.  » Parfois, écouter de la musique aide à écrire, assure le natif de Minneapolis . Mais si je tombe sur de la musique que j’aime ou qui signifie beaucoup pour moi en travaillant, je dois couper parce que sinon ça m’absorbe totalement. Très vite, une heure peut passer sans que j’aie rien fait d’autre, rien écrit.  »

iPod touch

Sous un placard assez racoleur -la couverture de son édition française annonce  » Le premier grand roman d’amour de la génération iPod« -, la love story de Phillips conduit en effet une réflexion nourrie sur la façon dont le petit boîtier a coulé le béton d’une vraie révolution.  » Il y a eu des tas de mutations dans l’histoire de la musique. Mais il suffit de revenir ne serait-ce qu’avant 1880 et les débuts de la musique enregistrée pour imaginer un monde incroyablement silencieux, penser à ce qu’était qu’une ville sans musique dans les rues, les cafés ou les ascenseurs… » Ses yeux s’agitent: « J’avais 12 ans quand j’ai acheté mon premier walkman. Soudain, le monde a changé… L’iPod est une invention incroyable, un appareil qui porte en lui tous les possibles. Qui vous fait vous sentir plus vivant. Je continue à penser que l’expérience émotionnelle et artistique la plus profonde m’a été donnée quand j’écoutais de la musique en marchant seul dans les rues. Je ne peux simplement plus imaginer ma vie sans ces expériences, il y en a eu trop, et de trop importantes. Ça me fait travailler, m’aide à résoudre mes relations avec les gens, me comprendre moi-même. Ça m’isole et m’empêche d’entendre le monde qui m’entoure. J’imagine qu’un neuro-psy pourrait expliquer en quoi ça modifie les réseaux de nos cerveaux… »

A l’autre bout du roman, New York. Une ville-monde, un iPod sans limites de capacités dont Phillips semble capter puis recracher tous les spasmes et coulées sonores.  » New York est une ville bâtie sur tous les possibles auditifs. Tout ce qu’on peut avoir envie d’entendre est à portée de mains. C’est une expérience que je vis tous les jours: mettre ma musique dans mes écouteurs et tenter de déverser New York à l’intérieur. J’essaie toujours de capter l’endroit où je vis. J’ai des playlists dans mon iPod organisées en fonction des adresses où j’ai vécu. Et quand je les écoute, je suis de nouveau là-bas, à Budapest ou Paris où j’ai habité un temps.C’est en quelque sorte la BO de ma vie. Je pense vraiment qu’on remplit les chansons, qu’on en fait tous constamment autre chose. Mais que personne d’autre ne peut les entendre. Ce sont nos connexions. A un moment donné, tout le monde écrit les siennes ou les trouve par accident. . .  »

Soudain, aux quatre coins du café, les baffles propulsent des cuivres. Couvrent les voix. Arthur Phillips se fige. Nous demande si on identifie le morceau. C’est du Philip Glass. Rubric, le mouvement 4 de Glassworks.  » La première fois que j’ai entendu ça, j’avais 17 ans, j’étais en Afrique, dans un bus. On roulait dans la campagne kenyane au coucher du soleil. J’écoutais ce morceau sur une cassette et soudain tout à l’extérieur a commencé à ressembler à ça, chaque arbre qu’on dépassait, chaque rayon qui tombait. Le paysage était la musique. C’était il y a presque 30 ans et chaque fois que j’entends cette musique, c’est l’Afrique. » Au dehors, l’averse a repris de la puissance. Phillips nous invite à aller l’oublier dans une librairie qu’il aime, à deux blocs et quelques inondations de là, puis nous donne ses adresses de mélomane éclairé sur Manhattan. Des clubs, des marchands de disques.  » Vous devriez les aimer… » A progresser sur les trottoirs détrempés, les entêtants crescendos de Philip Glass semblent soudain nourrir le déluge. l

Une simple mélodie de Arthur Phillips, éditions du Cherche-Midi, traduit de l’anglais (USA) par Edith Ochs, 300 pages.

RENCONTRE YSALINE PARISIS à New York

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